Deuxième paragraphe : La dérive de la
SARL
La SARL se démarque des sociétés par
actions par l'existence d'un fort intuitu personae entre ses
associés qui la rapproche par là même des
sociétés de personnes et en fait une société
commerciale hybride particulièrement destinée à
l'exploitation des PME. Cette ligne de démarcation essentielle se
traduit par l'existence dans la SARL, de parts sociales qui ne sont cessibles
à des tiers que moyennant le respect d'une procédure
légale d'agrément évitant ainsi que les associés ne
se voient imposer l'arrivée d'un impétrant jugé
indésirable par la collectivité.
Cette spécificité de la SARL n'exclut pas la
tolérance d'un certain remaniement contractuel du régime
d'autorisation des cessions de parts sociales. Toutefois, l'admission
d'agencements statutaires trop souple des conditions d'agrément des
cessionnaires est inconcevable étant donné qu'il risque
d'ébranler l'une des
152 Id., p.15.
caractéristiques substantielles de cette structure
à savoir son caractère intuitu personae et de signer sa
dérive.
Certes, les statuts ne peuvent, par une quelconque
stipulation, décider de la libre cession des parts sociales. Cependant,
la question se pose de savoir si la règle nouvelle qui permet aux
associés de fixer statutairement une « majorité moins forte
» les autorise-t-elle à n'exiger qu'une majorité strictement
symbolique ? Au vu du texte, la réponse parait devoir être
positive. Cela signifie-t-il qu'on pourrait statutairement obtenir
l'agrément de tiers étrangers à la société
à la volonté d'un seul associé ultra minoritaire ? La
réponse serait oui. Sans aucun doute, une telle
éventualité est alarmante vu qu'elle conduit à une
confusion totale. En effet, cet assouplissement nous parait édulcorer
singulièrement la portée de l'alinéa premier de l'article
109 du C.S.C. qui cherche à sécuriser la SARL et à
préserver sa stabilité en valorisant son caractère
fermé. De toute évidence, trop de souplesse peut conduire au
laxisme voire à l'anarchie153.
Il importe aussi de préciser que la typologie classique
des sociétés commerciales semble interdire que la libre
cessibilité caractérisant les sociétés de capitaux
se transpose, même si ce n'est que de faits, à la S.A.R.L. La
S.A.R.L. pourrait, par une telle transposition, perdre son identité, et
ne plus être qu'un clone mutilé des sociétés de
capitaux. Cela risque de précipiter l'éclatement de cette
structure, qui perdrait de sa cohérence théorique, et
compromettrait sa lisibilité en pratique.
153 CHAMPAUD, Claude ; DANET,
Didier. Cession de parts sociales de SARL : Assouplissement des
conditions d'agrément. RTD Com. 2004 Chron., p. 325.
Quelque louable soit l'objectif de contractualisation
poursuivi par le législateur, il doit être étudié
avec la plus grande attention. En effet, la volonté de simplifier le
fonctionnement des sociétés commerciales et de réduire au
maximum le nombre des règles impératives trouve ses limites dans
la nécessité de conserver à chacune des formes juridiques
existantes son « identité propre », de préserver ses
caractéristiques essentielles.
La possibilité offerte aux associés de
réduire la majorité exigée pour l'agrément des
cessionnaires et qui s'inscrit dans le cadre d'une plus grande
contractualisation du droit de la SARL ne doit évidemment pas aboutir
à mutiler cette structure.
Dès lors, il est impératif d'attirer l'attention
sur le fait que libéraliser excessivement les conditions d'autorisation
des cessions de parts sociales dans la SARL méconnait un aspect
essentiel de cette société, à savoir son caractère
intuitu personae. On pourrait admettre une modération de
l'intuitu personae, mais pas son écartement. En d'autres
termes, la possibilité d'alléger statutairement les
modalités d'agrément des cessionnaires doit être
conservée, mais elle doit être méticuleusement
encadrée. À cet égard, il serait opportun de fixer un
seuil minimal de la majorité requise pour l'autorisation de la cession
auquel les associés ne peuvent déroger. Cette délimitation
permettrait de préserver la spécificité de la SARL tout en
conservant le choix de flexibilité poursuivi par le
législateur.
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