Deuxième paragraphe : Dégradation de la
société
Les modifications introduites par le C.S.C. au régime
de la cession des parts sociales n'ont que partiellement touché le
caractère fermé de la SARL. Le législateur s'est
contenté de la mise en place d'une issue pour l'associé
désirant quitter la société. C'est comme s'il reconnait un
droit de retrait au profit des associés.
L'analyse à laquelle on s'est adonné dans les
paragraphes précédents démontre que les dispositions de
l'article 109 du C.S.C. ne facilitent que la sortie de l'associé
désirant quitter la société, et ce, à travers
l'instauration d'une obligation de rachat qui pèse sur les
associés. Des obstacles d'ordre juridique et pratique s'installent
souvent devant toutes tentatives d'entrée de nouveaux
associés.
Or, la reconnaissance du droit des associés de
céder leurs parts sociales ne doit pas avoir pour seul objectif de ne
pas laisser l'associé prisonnier de ses parts, mais aussi de
préserver la structure sociétaire et d'en garantir la
continuité. En vue du régime actuel, ces derniers objectifs se
révèlent difficilement réalisables. En effet, les
associés, soucieux de l'harmonie de leur groupement et ne disposant pas
des fonds nécessaires pour racheter les parts eux-mêmes, optent
généralement pour un rachat par la société des
parts proposées évitant ainsi toute précipitation qui
affecterait la stabilité de la société. Ce rachat par la
société se solde nécessairement par une réduction
du capital social. Il en résulte qu'une cession des parts sociales,
opérée sous le règne des conditions restrictives
actuelles, est généralement synonyme d'un amoindrissement des
richesses de la société et d'une réduction de ses fonds
propres.
Il est cependant à signaler que la réduction du
capital social ne peut pas le ramener en dessous du minimum légal
édicté par l'article 92 du C.S.C. Or, la médiocrité
de ce minimum légal incite à tirer la sonnette d'alarme du fait
des risques éventuels menaçants la société et ses
créanciers. En effet, la multiplication des « cessions- retraits
» pourrait déboucher à vider la société de sa
substance. La durée de vie de la SARL se verra donc raccourcie et le
risque de son effondrement hâtif augmenté alors que notre
économie, déjà fragile, requiert des
sociétés solides, stables et durables. De plus, cela risque
d'anéantir la solvabilité de la SARL dont le
capital constitue le gage exclusif des créanciers
sociaux149.
En imposant à l'associé d'une SARL qui souhaite
vendre ses parts d'obtenir l'agrément de la majorité des
associés représentant les trois quarts du capital social,
l'article 109 du C.S.C. a mis en place les conditions d'un jeu
stratégique entre cédant, cessionnaire et associés dont le
développement pèse parfois lourdement sur des
sociétés dont la survie ou la croissance appelle une
restructuration du capital social150. Ce blocage
accable la SARL et minimise les chances de son évolution.
On pourrait voir dans cet accablement de la SARL une
volonté délibérée du législateur de la
pénaliser. En effet, la tendance actuelle de la législation
tunisienne relative aux sociétés commerciales consiste à
inciter au recours à la forme anonyme synonyme de stabilité et de
sécurité. D'ailleurs, de multiples dispositions cherchent
à favoriser cette structure sociétaire au détriment des
autres structures. Néanmoins, face à l'incapacité de ces
incitations à détrôner la SARL, le législateur
aurait peut être eu l'idée « ingénieuse » de la
pénaliser en facilitant la tâche à ceux qui veulent la
quitter tout en obstruant les tentatives de ceux qui veulent y
adhérer.
149 Art. 5 du C.S.C.
150 CHAMPAUD, Claude ; DANET,
Didier. Cession de parts sociales de SARL : Caractère
impératif. RTD Com. 1996 Chron., p. 67.
Cette démarche, qu'elle soit intentionnelle ou
spontanée, est certainement sujette à caution. En effet, la
pénalisation de la SARL ne saurait inciter la plupart des investisseurs
à l'abandonner puisqu'ils ne peuvent s'aventurer à adopter la
forme anonyme qui dépasse de loin la modestie de leur projet. Ils seront
contraints à s'organiser sous la forme d'une SARL et de subir son
régime contraignant et non sécurisé.
En vue de concrétiser son objectif dont on ne peut nier
la pertinence, le législateur aurait dû encourager l'ouverture de
la SARL faisant d'elle une « petite société de capitaux
» qui dispose de mécanismes permettant à la fois d'encadrer
juridiquement des petites et moyennes entreprises dont les capitaux sont
relativement modestes et de favoriser son essor et sa migration
spontanée vers la forme anonyme.
Une telle approche aura le mérite d'éviter les
déviations et les abus d'une part, et de garantir un
développement à la fois stable et dynamique de la
société, d'autre part.
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