Deuxième chapitre : Altération de la
structure sociétaire
La doctrine dénonce, depuis longtemps et de
manière récurrente, la trop grande rigidité du droit des
sociétés et préconise de contractualiser davantage cette
matière, en renvoyant aux statuts les règles qui régissent
les sociétés fermées, sans pour autant porter atteinte
à leurs caractéristiques inhérentes.
Or, le législateur semble méconnaitre ces
revendications dans le cadre du C.S.C. à tel point qu'une lecture
harmonieuse de notre droit des sociétés n'est guère
possible. Ce constat se vérifie au niveau du régime de
l'agrément des nouveaux cessionnaires lors des cessions de parts
sociales. En effet, la « réécriture » de ce
régime a causé plus de tort que de bien à la SARL. La mise
en oeuvre des dispositions qui le régissent risque d'altérer
cette structure sociétaire de façon significative en raison du
maintient d'une grande rigidité du régime légal de
l'agrément (Section 1) et de l'admission d'agencements statutaires qui
portent atteinte aux caractéristiques inhérentes de la SARL
(Section 2).
Section 1 : Répercussions de la
sévérité du régime légal de
l'agrément
Les règles limitatives de la cession des parts sociales
dans la SARL sont sévères ; le législateur l'admet
expressément dans l'avantdernier alinéa de l'article 109 du
C.S.C.146. Cette sévérité
concerne essentiellement le régime légal de l'agrément qui
s'avère excessif. La rigidité de ce régime pourrait
aboutir à un verrouillage de la société (premier
paragraphe) et pourrait même causer sa dégradation
(deuxième paragraphe).
Premier paragraphe : Verrouillage de la
société
L'article 109 du C.S.C. adopte un régime légal
d'agrément qui concrétise le caractère fermé de la
SARL. En effet, les parts sociales ne peuvent être cédées
à des tiers étrangers à la société qu'avec
le consentement de la majorité des associés représentant
au moins les trois quarts du capital social. Or, même si ce verrou
constitue l'un des attraits de la SARL147 et
exprime d'évidence le maintien du lien qui rattache encore la SARL aux
sociétés de personnes, il n'en reste pas moins qu'il n'est plus
tolérable pour deux raisons au moins.
146 L'avant dernier alinéa de
l'article 109 du C.S.C. prévoit que : « Toutefois,
les statuts peuvent prévoir une limitation de la cessibilité,
sans que les conditions en soient plus sévères
que celles énoncées au présent article ».
147 CHAMPAUD, Claude ; DANET,
Didier. Cession de parts sociales de SARL : Agrément des
tiers cessionnaires étrangers à la société.
RTD Com. 1999. Chron., p. 441.
D'une part, la double majorité exigée pour
l'agrément des nouveaux cessionnaires est injustifiée
étant donné qu'il est possible de la détourner à
travers la mise en oeuvre des dispositions de l'article 131 du
C.S.C148. Une manipulation peu loyale, mais
parfaitement légale pourrait mettre en échec l'exigence de la
double majorité pour agréer un cessionnaire contesté. En
effet, lorsque le cédant n'arrive pas à convaincre la
majorité des associés d'agréer le cessionnaire qu'il
propose malgré qu'il détienne les trois quarts du capital social
ou qu'il a l'appui des associés représentant les trois quarts du
capital social, il peut déclencher une modification des statuts visant
à réduire la majorité exigée pour agréer les
nouveaux cessionnaires ce qui lui permettra éventuellement de
réaliser la cession qu'il prévoyait. Cette manipulation met en
doute l'efficacité des exigences du régime d'agrément et
peut porter atteinte à l'égalité entre associés. Il
s'en suit que l'anomalie selon laquelle les conditions de majorité pour
agréer un nouvel associé sont plus sévères que
celles exigées, normalement, pour une modification des statuts doit
prendre fin.
D'autre part, les dispositions de l'article 109 du C.S.C.
instituent une double majorité favorisant l'exercice d'oppositions
minoritaires, voire individuelles, dans le processus d'agrément de
nouveaux cessionnaires. La majorité de trois quarts paralyse la
société par la
148 Le premier alinéa de
l'article 131 du C.S.C. prévoit que : « Les
statuts de la société ne peuvent être modifiés que
par une délibération approuvée par les associés
représentant les trois quarts au moins des parts sociales et
réunis en assemblée générale extraordinaire.
Toutefois, les statuts peuvent prévoir une majorité
inférieure. Toute clause statuaire exigeant une majorité plus
élevée est réputée non écrite ».
constitution d'un « noyau dur » d'associés
qui peut s'opposer à toute modification de sa composition. Cette forte
majorité favorise le blocage de l'entrée de nouveaux
associés et aboutit indéniablement au verrouillage de la
société.
On pourrait déduire de ce qui précède que
la SARL n'a pas changer de visage dans le cadre du C.S.C. puisqu'elle demeure
une société verrouillée, une société trop
fermée et strictement rattachée aux sociétés de
personnes ce qui ne répond guère aux exigences de
flexibilité et de sécurité imposées par la
conjoncture économique tant sur le plan national qu'international.
Afin de mieux adapter la SARL à son rôle de
structure juridique d'entreprises de moyennes dimensions économiques, il
faut sauter cette pierre angulaire qui rattache encore les SARL aux
sociétés de personnes et remettre en cause le caractère
trop fermé de cette structure sociétaire. Encore une fois, le
législateur est appelé à mettre à jour les
dispositions relatives à la cession des parts sociales dans la SARL en
s'inspirant, à juste titre, de la réforme française
amorcée par l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant
simplification du droit et des formalités pour les entreprises.
La réforme convoitée vise une
libéralisation du contrôle des cessions des parts sociales,
apportant une souplesse qui faisait cruellement défaut. La règle
appétée abandonnera le principe d'une super majorité et ne
se réfèrera qu'au consentement de la majorité des
associés représentant la majorité des parts sociales.
L'abaissement des trois quarts à la moitié du
seuil de représentativité constitue un assouplissement sensible
des
conditions d'autorisation de la cession des parts de la SARL
à un tiers étranger à la société.
Néanmoins, cet assouplissement risque d'être jugé comme
traduisant une poussée forcée des SARL dans la catégorie
des sociétés de capitaux et une méconnaissance de la
réalité des SARL à caractère familial. Il en
résulte la nécessité de tolérer que les statuts
prévoient une majorité plus forte permettant ainsi aux
associés qui le voudraient de donner à leur SARL une coloration
contractuelle rehaussée d'une pointe d'intuitu personae. Or, on
estime que la liberté de renforcer la majorité exigée pour
agréer les cessionnaires devrait être plafonnée à la
majorité qualifiée, et ce, afin d'éviter les
dérives contractuelles.
|