Deuxième paragraphe : Déficiences de
l'obligation de rachat
Le dispositif protecteur mis en place afin d'assurer que le
cédant ne reste pas prisonnier de ses parts oblige ces
coassociés, s'ils refusent d'agréer le cessionnaire,
d'acquérir ou de faire acquérir les parts du
cédant138. Cette obligation de rachat, tel
que prévue par l'article 109 du C.S.C., est source de malaises. Ce n'est
pas l'obligation de rachat elle-même qu'on conteste, c'est plutôt
les modalités de sa mise en oeuvre qu'on estime lacunaires et
déséquilibrées à plusieurs titres.
D'abord, les associés non cédants doivent faire
face au problème de la répartition des parts à racheter.
En effet, L'article 109 du C.S.C. ne précise pas sur quels
associés pèse l'obligation de rachat. Sont évidemment
visés les associés hostiles à l'agrément, mais les
autres, favorables au cessionnaire pressenti, doivent pouvoir revendiquer le
droit de participer à l'opération d'achat. En l'absence de
clauses statutaires de préemption, « la solution la plus juste
consisterait à effectuer, si possible, une répartition
proportionnelle ; à défaut, il faudrait procéder à
un tirage au sort pour respecter l'égalité entre
associés139 ».
Pour couper court à des contentieux éventuels,
il est conseillé d'organiser dans les statuts les modalités
particulières de cette
138 L'article 109 du C.S.C. dispose dans son
quatrième alinéa que « si la société manifeste
son refus d'approuver la cession, les associés sont tenus
d'acquérir ou de faire acquérir les parts dans un délai de
trois mois à compter de la date du refus ».
139 RIPERT, Georges. Traité
élémentaire de droit commercial, T.1,
12ème éd. par ROBLOT, René. Paris : LGDJ, 1986,
p. 679.
acquisition. Rien ne parait exclure la validité d'une
clause qui prévoirait que l'obligation de rachat pèse sur tous
les associés proportionnellement au nombre des parts qu'ils
détiennent140 ou que le rachat pèse
uniquement sur les associés ayant refusé l'agrément tout
en gardant aux autres associés la faculté, s'ils le souhaitent,
d'y participer.
Mais, à défaut d'une telle clause, il n'est pas
possible de contraindre un associé, même ayant refusé
l'agrément, à participer au rachat dès lors que l'article
109 du C.S.C. ouvre une option entre le rachat par les associés ou des
tiers et celui par la société avec réduction du
capital.
Ensuite, il est possible que les associés ne disposent
pas, au moment de la cession, des sommes nécessaires à
l'acquisition des droits sociaux proposés à la vente. Par
ailleurs, il n'est pas toujours évident de trouver un tiers ayant les
faveurs de la société, intéressé par le rachat, et
disposant au surplus des fonds nécessaires, au moment
requis141.
Cette incommodité est accentuée par
l'impossibilité de proroger le délai de trois mois exigé
pour la réalisation du rachat ce qui minimise les chances des
associés non cédants de surmonter les obstacles
susmentionnés. Il serait plus raisonnable de permettre une telle
prorogation sur autorisation de la justice et pour une période
140 CA Paris, 3ème ch., 18 nov. 1969,
Bull. Joly 1969, p. 873.
141 MORTIER, Renaud. Le rachat par la
société de ses droits sociaux. Préf. Jean-Jacques
DAIGRE. Nouvelle Bibliothèque de thèses. Paris : Dalloz, 2003,
p.146.
bien déterminée à l'instar du Code de
commerce français qui prévoit que ce délai peut être
prolongé une ou plusieurs fois par décision du président
du tribunal de commerce statuant à la requête du gérant,
sans que cette prolongation puisse excéder six
mois142.
De plus, le législateur n'accorde pas aux
acquéreurs, contrairement au cas du rachat par la société
elle-même, la possibilité d'obtenir un délai de paiement.
Il s'en suit que les parts achetées par les associés ou les tiers
doivent être payées au comptant, sauf accord contraire des
parties.
En outre, dans le cas, qui est le moins fréquent en
pratique, où les associés optent pour un achat par un ou des
tiers, ceux-ci doivent naturellement être eux-mêmes
agréés par la majorité des associés
représentant au moins les trois quarts du capital social. À cette
étape de la procédure, le cédant reste encore
associé et peut donc prendre part au vote de telle sorte que, selon
l'importance de sa participation dans le capital de la société et
si les autres associés sont divisés sur l'entrée de ce
tiers dans la société, l'agrément risque d'être
difficilement obtenu.
Enfin, le législateur prévoit dans l'article 109
du C.S.C. que « la société peut également, dans le
même délai et avec le consentement express du cédant,
racheter les parts au prix fixé selon les modalités
énoncées ci-dessus et réduire son capital du montant de la
valeur nominale des parts cédées » et que « le
président du tribunal de première instance du lieu du
siège social peut, sur ordonnance sur
142 Art. L. 223-14 al.3 du Code de commerce
français.
requête, accorder à la société un
délai de paiement qui ne peut excéder un an. Dans ce cas les
sommes dues par la société au cédant seront
majorées des intérêts légaux en matière
commerciale »143.
Cette hypothèse du rachat des parts par la
société n'est guère aisée à mettre en oeuvre
et semble peu envisageable puisqu'elle est soumise au consentement du
cédant144. Il est peu probable que le
cédant consente au rachat par la société puisqu'il risque
fort de se placer dans une situation inconfortable. En effet,
l'opération de rachat par la société doit se conformer aux
dispositions des articles 136 et 137 du C.S.C. auxquelles l'article 109 du
C.S.C. ne déroge pas. S'appliquent donc, les conditions régissant
toute réduction du capital tel que les conditions de majorité,
l'intervention des commissaires aux comptes et la possibilité pour les
créanciers de faire opposition. De plus, si le prix de rachat de chaque
part est supérieur à la valeur nominale, la réduction du
capital est limitée à cette valeur nominale. Le surplus doit
être prélevé sur les réserves, mais à
l'exclusion de la réserve légale et des réserves
statutaires puisque celles-ci ne peuvent pas être distribuées.
143 Art. 109 al.5 et 6 du C.S.C.
144 L'exigence du consentement du
cédant s'explique par le fait que la société ne se
substitue pas au cessionnaire initial ; l'acte de rachat se différencie
de l'acte de cession dont il est censé compenser l'échec
d'où l'impossibilité d'imposer le rachat au cédant. C'est
bel est bien parce qu'un nouvel acte se forme qu'un nouvel accord est
exigé.
L'ensemble de ces contraintes alourdit particulièrement
la procédure et produit entre la société et
l'associé cédant, une véritable partie de « pin
gpong » rendant le rachat très
incertain145.
Il résulte de ce qui précède que tant les
associés non cédants que l'associé cédant souffrent
des anomalies du régime d'agrément. Mais, ce ne sont pas les
seuls, même la structure sociétaire elle- même en souffre et
subi le risque d'une altération tant attentatoire.
145 MORTIER. Op. cit., p.147.
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