Section 2 : Les malaises des associés non
cédants
Sous le règne de l'article 171 du C.C., les
associés jouissaient d'un contrôle renforcé sur la
composition de la société. Toutefois, un tel contrôle
faisait paradoxalement obstacle à l'exercice de leur droit de disposer
de leurs parts. Afin de mettre fin à cette anomalie, le
législateur s'est engagé, dans le cadre de l'article 109 du
C.S.C., à assouplir le caractère trop fermé de la SARL
garantissant ainsi une issue pour les associés qui désirent
céder leurs parts.
Or, les modalités de cet assouplissement ont
affecté, cette fois, le droit de regard des associés sur la
composition de la société. En effet, même si les
associés d'une SARL gardent encore un pouvoir non négligeable
pour contrôler l'entrée de nouveaux cessionnaires, on ne peut
prétendre à un contrôle digne d'une société
caractérisée par la prédominance de l'intuitu
personae en son sein.
130 LÉCUYER. Loc. cit.
HALLOUIN, Jean-Claude. Sur le refus
d'agrément..., in Mélanges en l'honneur de Jean PAILLUSSEAU,
Aspects organisationnels du droit des affaires. Dalloz 2003, p.313 et s.
SAINTOURENS, Bernard. L'attractivité
renforcée de la SARL après l'ordonnance n° 2004-
274 du 25 mars 2004. Rev. Sociétés 2004, Chron. p.207.
Les associés non cédants souffrent
désormais de malaises dus à la relativité de leur droit de
regard (premier paragraphe) et à la déficience de l'obligation de
rachat à laquelle ils doivent se plier (deuxième paragraphe).
Premier paragraphe : Relativité du droit de
regard
En vue d'affirmer la prédominance de l'intuitu
personae dans la SARL et de conserver la stabilité et
l'équilibre de cette société, le législateur dote
les associés d'une procédure d'agrément qui leur permet de
garder un droit de regard sur la composition de leur société.
Certes, les associés peuvent bloquer l'intrusion des
tiers indésirables dans la société. Néanmoins, leur
droit de regard risque d'être relativisé du fait des
problèmes que soulèvent les cessions entre associés et des
incertitudes qui entourent les cessions consenties en faveur d'un conjoint,
d'un ascendant ou d'un descendant.
Pour ce qui est des cessions entre associés, on
remarque que notre législateur ne les évoque pas explicitement.
Mais, on pourrait déduire d'une lecture à contrario de
l'alinéa premier de l'article 109 du C.S.C. qu'elles sont libres. Cette
libre cessibilité ne nuit pas au caractère fermé de la
SARL puisque le cessionnaire est déjà connu des autres
associés et que l'opération a pour seule conséquence de
modifier la répartition des parts sociales.
Cependant, la libre cessibilité entre associés
n'est pas sans inconvénient. À vrai dire, elle peut provoquer un
bouleversement dans la répartition des parts avec pour corolaire un
renversement de la majorité ou une prise de contrôle. Les
associés non cédants vont subir cette prise de contrôle
sans aucune possibilité de s'y opposer. Seuls des aménagements
statutaires prévus à l'avance permettent d'éviter cette
situation. Les associés doivent avoir la diligence de prévoir
dans les statuts des clauses d'agrément pour ce type de cession. Ces
clauses statutaires d'agrément sont permises par l'article 109 du C.S.C.
à condition qu'elles soient moins sévères que celles
prévues pour la cession à un
tiers131.
Les associés peuvent, en outre, assortir la
liberté de cession entre associés de pactes de
préférence qui, sans la restreindre complètement, la
préparent ou la conditionnent à l'instar des promesses de vente
ou d'achat. Tandis que les clauses statutaires d'agrément visent
à écarter les associés désireux de se porter
acquéreurs, les pactes de préférence confèrent la
primauté à certains
131 L'avant dernier alinéa de
l'article 109 du C.S.C. dispose que : « Toutefois, les
statuts peuvent prévoir une limitation de la cessibilité,
sans que les conditions en soient plus sévères que
celles énoncées au présent article ».
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Il est à noter que cet alinéa souffre
d'imprécisions tant au niveau de la traduction qu'au niveau de la
rédaction. Sa version arabe ne correspond pas exactement à la
traduction en langue française ce qui est de nature à laisser
planer des doutes quant à la sévérité des
limitations et à leurs champs d'application. De plus, le
législateur aurait dû préciser que « les statuts
peuvent prévoir d'autres limitations à la
cessibilité... ». Cette précision aura pour mérite
d'exprimer au mieux sa volonté, de respecter la cohérence du
texte et d'éviter un amalgame avec le dernier alinéa de l'article
109 du C.S.C.
associés pour acquérir les parts sociales que les
autres envisagent de vendre132.
Au-delà de ces aménagements statutaires, une
intervention législative pourrait contribuer à éviter de
tels bouleversements d'équilibres. En effet, il est possible de
prévoir un droit de préemption permettant à tous les
associés de préempter, dés le départ, sur les parts
cédées. Ainsi, lorsqu'un associé désire quitter la
société, sa participation est répartie entre les autres
associés restants. Un tel droit règle les relations entre
associés et leur permet de garder un droit de regard sur la composition
de la société sans enfreindre à la liberté de
cession des parts sociales entre associés.
En ce qui concerne les cessions consenties en faveur d'un
conjoint, d'un ascendant ou d'un descendant, la question est de savoir si elles
entrent sous le couvert de la procédure d'agrément.
Encore une fois, le législateur tunisien s'abstient de
prévoir une réponse claire et tranchante et ce contrairement
à son homologue français qui prévoit, dans le cadre de
l'article L. 223-13 du Code de commerce, la liberté de transfert, peu
importe qu'il s'agisse d'une transmission successorale, d'une liquidation de
communauté de biens entre époux ou d'une cession entre conjoints
et entre
132 GIBIRILA, Deen. SARL - Parts sociales -
Cession. Transmission. J.Cl. Commercial, Fasc.1238. LexisNexis, 2004.
ascendants et descendants133.
Cette disposition déroge, certes, au principe d'ordre public de
l'agrément des cessions de parts sociales à des tiers mais se
justifie, selon la doctrine française, par le fait que la cession
effectuée au profit de conjoints ou de parents en ligne directe ne porte
pas autant atteinte au caractère fermé de la
société que la cession à un tiers et qu'on peut admettre
que les membres d'une même famille ne forment, dans une certaine mesure,
qu'une seule personne134.
En l'absence d'une disposition similaire et en se basant sur
l'interprétation du ministère de la justice du premier
alinéa de l'article 109 du C.S.C. selon laquelle on doit entendre par
tiers toute personne qui n'est pas, au moment de la cession, déjà
propriétaire de parts sociales135, on
pourrait conclure que les opérations de cession soit à un
conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant sont
assimilées juridiquement à des cessions effectuées au
profit de tiers et doivent donc se plier à la procédure
d'agrément. Cette déduction pourrait bien être
confirmé par les dispositions de l'article 321 du
133 L'alinéa premier de
l'article L. 223-13 du Code de commerce français
prévoit que : « les parts sociales sont librement transmissibles
par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens
entre époux et librement cessibles entre conjoints et entre ascendants
et descendants ».
134 GUYON. Op. cit., n° 504.
135 JORT. Débats de la Chambre des
députés. Session 2001-2000. N° 4, mardi 31 octobre
2000, p.87
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C.S.C.136 qui, en excluant d'une
manière expresse les proches du champ de mise en oeuvre des clauses
d'agrément, semble admettre la qualification de ces personnes comme
« tiers ». Cependant, cette même déduction pourrait
être infléchie par les dispositions de l'article 116 du C.S.C. qui
risque d'assoir la solution opposée puisqu'il rattache les conjoints,
les ascendants et les descendants aux associés en vu d'interdire la
société d'avaliser ou de garantir leurs engagements envers les
tiers137.
Il s'en suit que même si la première
déduction parait la plus soutenable, il n'en reste pas moins qu'une
telle ébauche de la législation tunisienne, qui pour une fois
défie le droit comparé, mérite d'être
complétée en l'énonçant clairement au sein de
l'article 109 du C.S.C. La concrétisation de cette prise de position
permet d'éviter toute incertitude et de mettre en échec les
interprétations suivistes. Dès lors, les associés non
cédants se réjouiront pleinement d'un contrôle
renforcé sur la composition de la société.
136 L'article 321 du C.S.C. dispose que :
« Sauf en cas de succession ou de cession soit à un conjoint, soit
à un ascendant ou à un descendant, la cession à un tiers
d'actions émises par une société ne faisant pas appel
public à l'épargne, peut être soumise à
l'agrément de la société par une clause statutaire
».
137 Art. 116 du C.S.C. tel que modifié
par la loi n° 2005-65 du 27 juillet 2005, modifiant et
complétant le C.S.C. : «Il est interdit à la
société d'octroyer des crédits à son gérant
ou aux associés personnes physiques, sous quelque forme que ce soit, ou
d'avaliser ou de garantir leurs engagements envers les tiers. L'interdiction
s'étend aux représentants légaux des personnes morales
associées ainsi qu'aux conjoints, ascendants et descendants des
personnes visées ci-dessus. Tout intéressé peut se
prévaloir de la nullité de l'acte conclu en violation des
dispositions ci-dessus ».
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