V. Les incertitudes
V.1. La prise en compte des incertitudes
Plusieurs sources d'incertitudes peuvent intervenir depuis une
évaluation de risques. Tout au long de la démarche et plus
particulièrement au moment de l'élaboration du modèle
conceptuel, il a dû énoncer des hypothèses qui ont
conditionné le résultat final.
En effet, le développement du modèle conceptuel
peut être considérer pour l'un des plus importantes sources
d'incertitudes dans l'évaluation des risques. Si les relations les plus
importantes ne sont pas prises en compte ou du moins sont
spécifiées de manière incorrecte, la
caractérisation du risque peut ne pas trop bien estimer les
éventuels risques (EPA, 1998). Le manque d'informations sur le
fonctionnement des écosystèmes et la faiblesse dans
l'identification dans l'interrelation spatio- temporelle des paramètres
sont également d'importantes sources d'incertitudes.
Les incertitudes peuvent surgir également de trop
grandes considérations accordées aux effets secondaires. Dans
certains cas, il est intéressant d'avoir une maîtrise du mode de
transfert dans l'environnement, ou de l'état (par exemple la
spéciation où un métal est plus toxique pour les
organismes vivants) où il exerce des effets indésirables (EPA,
1998).
Plusieurs stresseurs peuvent se présenter sous la forme
d'un amalgame, et dans le modèle conceptuel on tient compte que d'un
seul stresseur. Les experts peuvent ne pas être d'accord avec un tel
modèle. Toutefois, lorsque les modèles simplifiés et le
manque d'informations sont inévitables, l'évaluateur des risques
doit approfondir son étude bibliographique pour justifier son
modèle et arranger les composantes de ce modèle dans un ordre
hiérarchique d'incertitudes (SMITH et SHUGART,
1994).
Les incertitudes résultant du modèle conceptuel
peuvent être explorés en considérant des relations
alternatives. Si plus d'un modèle est possible, l'évaluateur de
risque peut évaluer lequel des algorithmes de déduction
plausible, fournit le meilleur résultant en appliquant
séparément les modèles jusqu'à la phase d'analyse.
Il peut également combiner les différents pour modèles
pour développer un nouveau plus pertinent (EPA, 1998).
Les données toxicologiques et physico-chimiques des
substances, la bonne connaissance de leur transfert et de leur mobilité
dans les milieux de l'environnement, les caractéristiques des milieux,
des populations humaines, des communautés écologiques, la
fiabilité de la mesure des substances notamment dans des milieux
complexes, etc. sont autant de valeurs présentant des divergences dans
la littérature et dont les sources scientifiques plus ou moins fiables
nécessitent de justifier le raisonnement retenu afin d'observer sa
transparence. La discussion de ces incertitudes, au regard des choix qui ont
été faits, est donc indispensable pour apprécier le risque
dans toute sa dimension (ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
V.2. Les incertitudes et les effets
environnementaux
La caractérisation des risques pour les
écosystèmes nécessite de garder présent à
l'esprit que les éléments en traces sont toujours présents
sous différentes formes et à ces concentrations variables dans
l'environnement. Leur présence est due à une origine naturelle
(fond géochimique) ou résulte de pollutions liées à
l'extraction des minerais, à leur transformation ou à l'emploi de
certains de leurs dérivés. Les formes bio disponibles sont
susceptibles d'interférer à différents niveaux des
processus biologiques et d'être responsables de graves perturbations. Si
certains éléments sont considérés comme des
oligo-éléments indispensables à la vie chez certaines
espèces (zinc, cuivre, sélénium, chrome, nickel) tous
peuvent être à l'origine d'effets toxiques si les doses
absorbées sont importantes (ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
Les hypothèses engendrant de l'incertitude sont
nombreuses. Elles tournent autour des paramètres qui conditionnent la
(bio) disponibilité et la mobilité des substances dans les
milieux sur les essais de laboratoire qui ont permis de proposer des valeurs de
références toxicologiques. Les expérimentations
menées en laboratoire, dans des conditions simplifiées, ne
simulent pas l'ensemble des situations de l'environnement. En outre, elles
n'ont pas forcément été conduites sur des populations ou
communautés représentatives de celles présentes sur les
écosystèmes étudiés. Quant aux données
concernant les expositions, elles sont difficilement interprétables car
la représentativité des échantillons examinés est
souvent limitée. De plus, elles tiennent rarement compte des
possibilités d'évolution au cours du temps des formes
présentes sous l'influence de la nature du biotope ou de
l'activité de la biocénose. Toutes, ces incertitudes concourent
à majorer le risque calculé. Dans le cas des effets
environnementaux, l'appréciation chiffrée de cette incertitude
globale est difficile voire impossible en l'état actuel des
connaissances (ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
V.3. les incertitudes et les effets
sanitaires
La quantification des risques sanitaires est attachée
de nombreuses sources d'incertitudes qu'il est nécessaire de bien
identifier afin d'estimer un intervalle de confiance pertinent autour du risque
calculé. L'influence des hypothèses soutenues se fera dans le
sens d'une sur ou d'une sous-estimation du risque encouru par les cibles
choisies (ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
La première des incertitudes repose sur le raisonnement
mono polluant établit classiquement. En effet, les données
étant très rares sur les conséquences d'un mélange
de polluants, on les distingue tous séparément. Les synergies et
antagonismes sont donc ignorés délibérément. Dans
le même ordre d'idée, on ajoutera que tous les polluants ne sont
pas accessibles à la mesure. Dans ce cas aussi, leur ignorance peut
être pénalisante car il n'est pas possible de tenir compte de leur
toxicité (ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
Les valeurs toxicologiques de référence sont
établies après affectation d'un certain nombre de facteurs de
sécurité palliant la méconnaissance de l'extrapolation
inter espèce, de la variabilité intra espèce, de
l'utilisation d'un LO(A)EL plutôt que d'un NO(A)EL : elles vont
plutôt dans le sens d'une surestimation. De plus, l'évaluateur
aura tendance à choisir la valeur la plus pénalisante à
titre de sécurité. Ici aussi, l'utilisation de lignes directrices
dans la sélection d'une valeur toxicologique de référence
est indispensable. L'évaluateur des risques doit pouvoir identifier les
principales sources d'incertitudes et tenter d'y remédier, au moins pour
les incertitudes majeures, sous forme de propositions de recherches
(ACADEMIE DES SCIENCES, 1998).
V.4. La gestion de l'incertitude
La gestion de l'incertitude, note DUJET
(1998), est au coeur des problèmes d'analyse des
systèmes complexes. Nombreuses sont les incertitudes qui peuvent surgir
de l'étape de conception jusqu'à celle de l'évaluation des
anthroposystèmes.
Théoriquement, il existe deux types d'incertitudes. Un
premier type d'incertitude qui naît de l'absence de frontières
nettes entre une classe d'objets (états) et une autre classe, et le
deuxième, une incertitude de type aléatoire (non
spécifique) où se manifeste la difficulté à
spécifier la solution exacte (DuJET, 1998). Dans les applications de la
méthodologie générale d'évaluation des risques
sanitaires et écologiques, GUYOMET et al
(2002) notent deux démarches qui sont traditionnellement
utilisées pour tenir compte de l'incertitude dans l'évaluation de
l'exposition d'une cible vivante aux polluants contenus dans les rejets ou
déchets des anthroposystèmes. Une approche que l'on qualifiera de
« déterministe» et l'approche «
probabiliste». La démarche déterministe consiste
à attribuer des valeurs dites « sécuritaires et majorantes
» aux paramètres incertains qui influencent le risque d'exposition.
Si le risque calculé demeure en deçà d'un seuil maximal
admissible fixé par l'autorité compétence, on estime alors
que les rejets ou déchets de l'anthroposystème
étudié ne pose pas de problème sanitaire ou
écologique (GUYOMET et al., 2002). La démarche
probabiliste consiste à représenter les paramètres
incertains par des distributions de probabilité et à transmettre
l'incertitude relative à ces paramètres sur celle du risque
encouru par la cible, en appliquant par exemple la technique dite Monte Carlo
(VosE, 1996).
Les données utilisées, le plus souvent dans les
évaluations de risques manquent de précision, sont inexactes,
incertaines et parfois trop aléatoires. Dans les situations, où
l'information disponible n'est pas suffisante quantitativement pour la mise en
oeuvre de distributions de probabilité statistiquement
représentatives, il parait difficile de déterminer les
incertitudes associées aux risques estimés. ZADEH
(1965) a introduit, dans ses travaux sur la théorie des
systèmes, la notion de « sous- ensemble flou» (en
anglais « Fuzzy set»), à partir de l'idée
d'appartenance partielle à une classe, de catégorie aux limites
mal définies, de gradualité dans le passage d'une situation
à une autre, dans une généralisation de la théorie
classique des ensembles, admettant des situations intermédiaires entre
le
tout et le rien. Les développements de cette notion,
souligne BOUCHON-MEUNIER (1999), fournissent des moyens de
représenter et de manipuler des connaissances imparfaitement
décrites, vagues ou imprécises et ils établissent une
interface entre des données décrites symboliquement (avec des
mots) et numériquement (avec des chiffres). La logique floue
conduit à raisonner sur de telles connaissances.
La théorie des possibilités,
introduite par ZADEH (1978), constitue un cadre
permettant de traiter des concepts d'incertitude de nature non probabiliste.
Lorsqu'elle est considérée à partir de la notion
d'ensemble flou, la théorie des possibilités constitue un cadre
permettant d'exploiter, dans un même formalisme, imprécisions et
incertitude.
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