VI. Conclusion
VI.1. La démarche générale de
l'EDR
L'évaluation des risques écologiques ou
sanitaires peut-être prospective ou rétrospective (SuTER, 1993).
Le processus d'évaluation de risque comprend trois étapes (voir
la figure 6) : la formulation de problème, l'analyse et la
caractérisation du risque (EPA, 1992).
L'étape de formulation du problème,
considérée comme la phase de planification et de
délimitation, consiste en une prise de connaissance de la
problématique sanitaire et écologique posée par les
substances dangereuses émises ou qui seront émises par le
système à évaluer. Au cours de cette étape,
l'évaluateur du risque aura à élaborer un modèle
conceptuel (le scénario), dans lequel seront identifiés:
· les stresseurs, les écosystèmes à
protéger, les éléments à risque (définitions
des points finaux d'évaluation) ;
· les échelles spatiales et temporelles des
phénomènes, les approches utilisées (tests de
toxicité, bio-essais,...) ;
· les données factuelles nécessaires.
La phase d'analyse comprend deux
opérations parallèles, la caractérisation de l'exposition
et la caractérisation des effets écologiques. CHAPMAN
(1991) note trois types d'outils découlant de la formulation du
problème qui peuvent être mis en oeuvre pour la réalisation
de la phase d'analyse :
· les modèles expérimentaux ;
· les indicateurs in situ ;
· les modèles mathématiques incluant les
modèles statistiques et les modèles déterministes.
Les modèles expérimentaux sont les essais
classiques du devenir, du comportement et des effets des polluants (a) à
différents niveaux d'organisation, c'est-à-dire les essais de
laboratoire (tests monospécifiques) et les différents essais
intégrés -- depuis les essais plurispécifiques jusqu'aux
mésocosmes -- et (b) pour différents types de polluants, depuis
la substance pure jusqu'au milieu pollué « bio-essais »
(RmERE, 1998).
Les indicateurs in situ consistent en des observations et des
études de terrain sur la réaction des éléments
vivants par rapport aux xénobiotiques. Ils comprennent :
· les mesures effectuées sur un site pour
déterminer les concentrations de polluants ;
· les observations de nature
éco-épidémiologiques, destinées à mettre en
évidence les effets toxiques. L'utilisation d'organismes sentinelles et
l'observation d'effets toxiques sur des végétaux cultivés
ou des animaux encagés sur le site, relèvent aussi de cette
dernière approche.
Les modèles mathématiques sont le plus souvent
utilisés pour exprimer les résultats des essais classiques. Ils
se divisent en deux grandes catégories :
a- les modèles statistiques--
Ces modèles servent à la description et à
l'interprétation des résultats des tests. La classique relation
log(dose)-probit qui relie la concentration du toxique à la
mortalité, est l'un des exemple de ces modèles. Les
modèles statistiques (modèles de régression) sont des
algorithmes qui servent à extrapoler de l'espèce testée
à l'espèce présente dans le milieu naturel, ou à
des doses qui sont en dehors de la gamme testée, ou encore à des
produits différents (RIVIERE, 1998).
b- Les modèles déterministes--
Ils sont élaborés après une analyse fine des
phénomènes physiques, chimiques et biologiques qui peuvent
intervenir lors de l'exposition, dans les conditions du scénario, des
écosystèmes cibles aux effluents pollués
étudiés. La prédiction de ces phénomènes
peut être basée sur des données théoriques, mais
elle peut aussi, et cela est à notre avis tout à fait souhaitable
compte tenu de la complexité des phénomènes mis en jeu
dans le cas des dépôts de sédiments, s'appuyer sur des
résultats expérimentaux (BABUT et PERRODIN,
2001).
L'exposition désigne le contact des
éléments vivants avec un agent physique ou chimique (EPA, 1986).
La National Research Council (1983) définit cette étape comme
« l'opération de mesure et d'estimation de l'intensité, de
la durée et de la fréquence de l'exposition à un produit
dangereux ». Pour SUTER (1993), c'est «
l'opération qui relie source et effet ». La réalisation de
cette étape suppose, selon RIVIERE (1998),
l'identification précise :
· du cadre spatial et temporel
· des éléments en présence (X, le
polluant et Y, le pollué)
· des forces qui les animent ( --> )
· de leur interaction (XY)
La caractérisation des effets écologiques se
base sur les essais de toxicité et d'écotoxicité
réalisés sur différentes espèces animales ou
végétales, ou encore sur des données
écoépidémiologiques provenant d'espèces domestiques
ou sauvages exposées à la pollution environnementale (organismes
sentinelles).
L'étape finale « la caractérisation
des risques » est la confrontation de l'évaluation des
effets à celle de l'exposition (BABUT et PERRODIN,
2001).
Le paradigme de l'évaluation des risques offre un cadre
général permettant d'élaborer, à partir d'un
modèle conceptuel spécifique, une méthodologie pour
estimer l'éventuel risque lié à toute activité qui
émet des rejets et des déchets. Il permet d'extrapoler des
maillons inférieurs de la chaîne, considérés dans le
processus pour des points finaux (d'évaluation et de mesure),
jusqu'à l'homme. Fondamentalement, le processus d'évaluation des
risques écologique permet de mieux appréhender les interactions
existantes entre les différentes espèces vivantes des
systèmes abiotiques.
VI.2. Conclusions et objectifs
L'objectif de cette étude est d'évaluer les
risques pour la santé humaine et pour les écosystèmes
liés à l'exposition des substances émises par les
hôpitaux à partir de leurs rejets liquides. Les problèmes
écologiques et sanitaires posés par les effluents hospitaliers
ont à moyen-terme des coûts économiques et sociaux externes
qui se manifesteront particulièrement au niveau de certains secteurs. Le
tableau 10 illustre certains effets économiques et sociaux pouvant
résulter de l'exposition des effluents hospitaliers.
Tableau 16 : Les effets économiques et sociaux
pouvant résulter de l'exposition des E.H.
Exposition des effluents hospitaliers
|
Effets économiques et sociaux
|
Emission de polluants vers les écosystèmes
naturels
|
Induction d'un danger pour les milieux vivants (eau, sol, air)
|
Pollution des eaux de surface et des nappes
|
Augmentation des coûts de production d'eau potable
|
Pollution des écosystèmes aquatiques et du sol
|
Destruction de la biodiversité des milieux avec des
effets directs sur les populations, en
particulier des bactéries, des algues, des
invertébrés avec des conséquences sur le
potentiel épuratoire des écosystèmes artificiels (les
STEP) et des écosystèmes naturels . Effets indirects sur les
peuplements des poissons qui représentent une source importante de
protéine pour l'homme, et parfois la seule source de protéines
pour des populations de PED
|
Contamination des coquillages
|
Diminution de la pêche à pied, effet indirect sur
l'industrie de l'artisanat
|
Pour l'atteinte des objectifs de l'étude, la
méthodologie générale de l'EDR fournit un cadre
théorique permettant d'élaborer le modèle conceptuel
à partir du mode gestion des effluents hospitaliers observé dans
les pays industrialisés et dans les PED.
Dans les pays industrialisés les hôpitaux sont
répertoriés comme des infrastructures collectives urbaines. Pour
les activités de soins et de recherches médicales, les
établissements de santé utilisent un important volume d'eau et
beaucoup de substances chimiques. En France, Les dispositions prévues
par les arrêtés préfectoraux spécifiques, concernant
l'exploitation des établissements hospitaliers autorisés, leur
attribuent le statut d'Installations Classées pour la Protection
de l'Environnement (ICPE). Etant des établissements
classés, les hôpitaux sont obligés de respecter un certain
nombre de prescriptions, notamment en matière de rejets liquides (CLIN
PARIS-NORD, 1999). Les effluents liquides ainsi
générés par les hôpitaux, sont donc rejetés
dans le réseau d'assainissement urbain pour être ensuite
traités par la STEP communale. Etant un élément de
l'ensemble du système urbain, les rejets hospitaliers deviennent donc,
dans la gestion des sous- systèmes de la ville ou des réseaux
physiques urbains, un objet de recherche rattaché aux politiques de
santé publique et d'aménagement de l'espace. Pour mieux
appréhender les modes de transfert des
polluants hospitaliers du terme source vers les cibles
pré-sélectionnés, la figure 14 reproduit le mode de
gestion des rejets liquides observé dans une grande ville du Sud-Est de
la France.
EFFLUENTS DES DIFFERENTS
SERVICES HOSPITALIERS
![](evaluation-risques-sanitaires-ecotoxicologiques-effluents-hospitaliers14.png)
RESEAU D'ASSAINISSEMENT HOSPITALIER
Collecteur du réseau d'assainissement hospitalier
(contenant les rejets liquides
hospitaliers : domestiques, industriels et spécifiques aux
activités de soins et de recherches médicales)
Réseau d'assainissement urbain (contenant les effluents
hospitaliers et les effluents classiques communaux)
Emissaire (Conduite reliant la STEP au milieu
récepteur). Les eaux usées contenues dans cette canalisation sont
partiellement épurées. Elles révèlent
des concentrations non négligeables pour des substances
difficilement dégradables telles : AOX, médicaments,
radioéléments, désinfectants, solvants chlorés,
etc. ...)
STATION D'EPURATION COMMUNALE
MILIEU NATUREL (rivières ou
océans)
Figure 14: Mode de gestion des effluents liquides
hospitaliers observé dans une grande ville du Sud-Est de la
France.
La précarité des conditions économiques
des pays en développement a fait du rejet des effluents dans les cours
d'eau ou dans la mer et de l'épandage sur les sols, les seuls moyens de
traitement et d'élimination des eaux usées. Ces méthodes
provoquent, le plus souvent, la contamination des eaux de surface, des
eaux souterraines et du sol. A Port-au-Prince, les eaux usées
domestiques et industrielles collectées au niveau de cet espace urbain
se déversent directement dans la mer sans aucun traitement
préalable. Les collecteurs du système de drainage des eaux
pluviales servent, entre autres, de latrines à des milliers de
sans-abris de la zone métropolitaine (EMMANUEL et AZAEL,
1998). La figure 15 fournit une compréhension du mode de
gestion des effluents liquides de certains hôpitaux de Port-au-Prince en
Haïti.
EFFLUENTS DES DIFFERENTS
SERVICES HOSPITALIERS
![](evaluation-risques-sanitaires-ecotoxicologiques-effluents-hospitaliers15.png)
RESEAU D'ASSAINISSEMENT HOSPITALIER
MILIEU NATUREL (épandage sur les
sols, recharges artificielles des nappes souterraines,
rivières
ou océans)
En tenant compte premièrement du volume et de la
complexité des effluents hospitaliers et deuxièmement de la
faible rentabilité des fosses septiques dans le traitement primaire des
effluents liquides (soit environ 30% de rétention du total de la
matière oxydable), on peut avancer que le milieu naturel reçoit
entre 80 et 100% de la charge polluante hospitalière
caractérisée entre autres par les liquides biologiques, les
microorganismes pathogènes, les organohalogénés, les
solvants, les résidus de médicaments, les détergents,
etc.
Figure 15 : Mode de gestion des effluents liquides de
certains hôpitaux de Port-au-Prince en Haïti.
Les deux modes de gestion diffèrent par la dilution que
connaissent les effluents hospitaliers dans le réseau d'assainissement
urbain et dans les STEP des pays industrialisés avant d'arriver dans les
milieux naturels, alors que dans les PED la charge polluante de ces rejets
liquides arrive dans les écosystèmes pratiquement
inchangée. Le danger, inhérent à ces effluents, pour les
écosystèmes s'exprime dans les deux modes de gestion. Cependant
il est généralement plus aigu dans l'environnement des PED, pour
des raisons liées à une faible ou une absence de dilution.
En effet, il est reporté que les effluents hospitaliers
sont dilués au moins de 100 fois dans la STEP (NICNAS, 1994 ; JouBols et
al., 2002) et certaines substances chimiques notamment les
désinfectants et les détergents réagissent soit avec les
protéines (NICNAS, 1994), soit avec les sucres pour donner des
substances plus dégradables. En prenant en considération la
possibilité pour une substance comme le glutaraldéhyde de
réagir avec les protéines contenus dans les affluents et les
facteurs de dilution de la STEP, JouBols et a/. (2002) avancent «
la concentration du glutaraldéhyde dans les effluents de la STEP et dans
les eaux de surface est 1000 fois plus faible que celle mesurée dans le
réseau d'assainissement de l'hôpital ».
Par ailleurs, la Commission Européenne (1995)
recommande un facteur moyen de dilution de 10 pour les médicaments dans
les eaux naturelles. Ce faible taux de dilution est dû probablement aux
caractères peu biodégradables de ces molécules. La figure
16 présente les principaux stresseurs susceptibles de provoquer des
effets indésirables aux écosystèmes.
![](evaluation-risques-sanitaires-ecotoxicologiques-effluents-hospitaliers16.png)
Radiologiques
Microbiologiques
Chimiques
Les principaux stresseurs des effluents
hospitaliers
--1_ L.-
Les écosystèmes naturels et artificiels
exposés dans le processus de rejet
Air
À
(rejet direct parfois)
\/
Réseau d'assainissement de l'hôpital
.....L.
(--(le réseau d'assainissement
urbain)
STEP communale
\/
Eaux de surface
Sol
Eaux souterraines
Les radioisotopes utilisés
en médecine nucléaire (3H,
1251,
1311, 32P, 14C,etc.)
les coliformes fécaux, les streptocoques fécaux,
les
spores des bactéries sulfitoréductrices, les
germes multirésistants, les virus, etc.,
Les désinfectants, les détergents, les solvants
chlorés, les paramètres facilitant l'eutrophisation (N,
P), les métaux lourds (As, Ag, Cu, Cr, Hg, Ni, Zn, etc.), les
médicaments,...
Figure 16 : Les principaux écosystèmes
pouvant être exposés aux effluents hospitaliers.
Dans la figure 16, l'approche en cascade (PERRODIN
al., 2002) est utilisée pour illustrer la source et
les voies de transferts des polluants. Cette approche permet également
dIdentifier les écosystèmes à protéger. Des
pointillés sont utilisés pour représenter les effets
jugés secondaires dans le cas des risques liés aux effluents
hospitaliers. La figure 17 présente une synthèse de la
littérature et le schéma général de
l'évaluation des risques et l'objectif de ce travail de thèse.
![](evaluation-risques-sanitaires-ecotoxicologiques-effluents-hospitaliers17.png)
Schéma général de
l'évaluation des risques liés aux effluents
hospitaliers
Profil de la réponse des stresseurs
Modèle conceptuel
Points finaux d'évaluation
a
n
f
C a
t
o n
Les bactéries, les algues, les crustacés,
etc.
Les Ef. Hop. STEP, les eaux de surface, les eaux souterraines,
la
mer, le sol
Plan d'analyse
Formulation du problème
Données disponibles sur les effluents hospitaliers
Caractérisation de l'exposition:
Echantillonnage et dosage des paramètres physico-chimiques
et microbiologiques, modélisation du transfert des polluants
Profil de l'exposition
Caractérisation des effets
écotoxicologiaues: mise en oeuvre des essais de
toxicité aiguë et chronique des stresseurs sur les organismes
de laboratoire
Utilisation des méthodes qualitatives, de quotient (
PEC/ PNEC) et probabilistes. Estimation des incertitudes (Monte Carlo,
théories des possibilités, Score)
Caractérisation du risque
Analyse critique du risque
Description du risque
o
O. CD
O.
0
CD' CD 9)
CO
Q.
o CD
rt
Communication : présentation des résultats aux
responsables des hôpitaux, et ...
Gestion du risque (nouvelle réglementation, monitoring,
nouvelle ERE et sanitaire) 144
Figure 17 : Synthèse de l'approche de
l'évaluation des risques et l'objectif général de cette
étude.
Chapitre III Elaboration de méthodologies pour
l'évaluation des risques sanitaires et écotoxicologiques des
effluents hospitaliers
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