1.3.3 Internationalisation de la sous-traitance et mesures
de compensation industrielle
La recherche d'une production à bas coût, ainsi
que les pratiques commerciales dites de compensation industrielle sont autant
de facteurs qui favorisent l'internationalisation de la production dans
l'industrie aéronautique.
Parfois impulsée par les États, comme c'est le
cas pour Airbus, ou sur initiative propre des entreprises du secteur,
l'internationalisation s'affirme de plus en plus chez
1 FRIGANT, Vincent et TALBOT, Damien.
Convergence et diversité du passage à la production modulaire
dans l'aéronautique et l'automobile en Europe. Communication
présentée aux journées de travail du GERPISA, 2003.
2 Usine nouvelle. n°2783. 2001.
3 Néanmoins, l'avènement de nouveaux
modes d'organisation dits Racines et Rameaux a marqué
l'éclatement du modèle pyramidal qui a prévalu
initialement dans le secteur aéronautique. Cf. Partie. I, Chapitre. II,
Section. 2. Paragraphe. 3.
4 Les stades d'évolution des registres de
relations DO/ST seront détaillés dans la Partie. I, Chapitre. II.
Section. 1. Paragraphe. 3.
les industriels de l'aéronautique1. Certes,
elle reste confrontée à certaines limites dont la principale est
liée au désir des États de limiter le transfert de
technologies sensibles, néanmoins, la pression accrue qui s'exerce sur
les coûts à l'échelon mondial, notamment, avec l'apparition
de certains nouveaux constructeurs milite en faveur d'une intensification des
mouvements de délocalisation de la production vers des pays
émergents.
En outre, ce mouvement d'internationalisation a
été particulièrement accéléré par
l'avènement de nouvelles pratiques commerciales dites de
compensation industrielles ou Off-Set et auxquelles les
nouveaux clients ont de plus en plus recours. En effet, dans un climat fort
concurrentiel, les avionneurs sont amenés, pour pouvoir décrocher
des marchés, à concéder de plus en plus de mesures de
compensation en faveur des pays clients2. Pour le civil comme pour
le militaire, la plupart des gouvernements veillent à ce que
l'acquisition d'équipements étrangers soit accompagnée
d'une endogénéisation3 graduelle des
compétences dans des firmes nationales. C'est ainsi que les contrats de
vente sont assortis de clauses qui stipulent qu'une partie de la production
doit se faire sur le sol de l'État acheteur (ou de la compagnie
aérienne acheteuse)4. Les pays émergents voient en ce
mécanisme un moyen de soutenir l'emploi, de transfert et d'appropriation
des technologies mises en oeuvre.
En plus d'être justifiée sur les plans
économique et technologique, cette internationalisation est
généralement justifiée politiquement pour faciliter
l'accès aux nouveaux marchés.
Les grands constructeurs ont dû se plier à ces
règles pour pénétrer certains marchés à
l'image de Boeing qui a confié la production de 35% du Boeing 787 au
Japon5. Tel est le cas également pour Airbus qui compte
parmi ses fournisseurs des sociétés
1 Concernant le programme A380 par exemple, la part
relative des équipements provenant de l'extérieur est proche de
la moitié de la valeur du programme tout entier, alors que cette part ne
dépasse pas le 1/4 pour le reste de la gamme.
2 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
3 BOURGAULT, Mario. Analyse des rapports entre
donneurs d'ordres et sous-traitants de l'industrie aérospatiale
nord-américaine. Montréal : CIRANO, 1997. Série
Scientifique. N° 97s-27.
4 HAAS, Joachim et OURTAU, Maurice. La
sous-traitance : organisation industrielle et gestion de l'emploi et des
qualifications. LIRHE, Université des sciences sociales de
Toulouse. Rapports du Céreq. L'évolution de l'emploi et des
qualifications dans la construction aéronautique et spatiale,
2006.
5 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
américaines, ce qui lui facilite l'accès au
marché local. Airbus a aussi confié à la Chine une partie
du développement du programme A380 dans le but de se voir ouvrir ce
marché à très fort potentiel. De même en 2003, la
fabrication d'Eurocopter a été délocalisée en Chine
dans le but de pénétrer ce marché1.
1.3.4 Généralisation des principes
organisationnels de l'ingénierie concourante Les
programmes2 actuellement développés par Airbus sont
marqués par la généralisation des principes
organisationnels de l'ingénierie concourante, déjà
appliqués dans l'automobile (Toyota, Renault, PSA...) et dans
l'aéronautique (Boeing pour le 777)3.
Ces principes, largement inspirés du modèle
japonais de l'industrie automobile, sont repris explicitement par
Aérospatiale dès les années 19904. Ils
impliquent, dès la phase de conception, une approche systématique
appliquée au développement de nouveaux produits, prenant en
considération l'ensemble du cycle de vie du produit : de la conception
jusqu'au recyclage des composants et matériaux, en passant par sa
production, sa commercialisation, son utilisation en conditions
opérationnelles et sa maintenance5. Le concepteur prend ainsi
le soin d'intégrer, dès la phase de conception, les contraintes
de fabrication des produits (amélioration de la
«manufacturabilité« des produits) et les contraintes
d'après-vente et d'entretien en conditions opérationnelles
(amélioration de la «maintenabilité« des
produits)6. Concrètement, l'ingénierie concourante
rassemble des équipes pluri-fonctionnelles qui travaillent en
parallèle sur le développement du produit. Elle permet de
réduire
1 Source rapport annuel 2004 d'EADS.
2 Airbus mène depuis plusieurs
années, un projet européen (ENHANCE) associant une cinquantaine
de sociétés partenaires dans un programme de développement
des principes d'ingénierie simultanée concourante. Ce projet a
pour mission le développement d'une plateforme informatique qui servira
à la fois à une nouvelle norme européenne du secteur et en
même temps à la réduction d'un certain nombre de
coûts et de délais associés à la RDT : ainsi pour
les A340-500 et 600, les objectifs étaient une réduction de 30 %
pour la durée du cycle de développement et de 20 % pour les
coûts de ce cycle (par comparaison avec le développement de
l'A340).
3 HAAS, Joachim et OURTAU, Maurice. La
sous-traitance : organisation industrielle et gestion de l'emploi et des
qualifications. LIRHE, Université des sciences sociales de
Toulouse. Rapports du Céreq. L'évolution de l'emploi et des
qualifications dans la construction aéronautique et spatiale,
2006.
3 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
4 Chez Aérospatiale, cette approche dite ACE
"Airbus Concurrent Engineering" a commencé en 1995 dans le but
de raccourcir le cycle du développement de 30% et de réduire les
coûts de la production pendant le cycle de vie de l'avion. Il a
été suivi en 1999 par le programme «Enhanced
Aeronautical Concurrent Engineering« pour définir des
nouvelles méthodes de travail dans le secteur afin d'améliorer sa
compétitivité à travers le développement de
standards méthodologiques applicable le long de la chaîne
d'approvisionnement.
5 IGALENS, J et VICENS, C. Changes in the
aeronautics sector: the case of Airbus in the Midi Pyrénées,
2006
6 BRUEL, Olivier et FAVALETTO, Bruno. Achat et
logistique d'approvisionnement. In : Management Stratégique et
Compétitivité. INGHAM, Marc (Ed.): 1995, p236.
considérablement le temps de conception par rapport
à une approche séquentielle des tâches1. Cela a
conduit à l'association dans le processus de la conception de tous les
acteurs ayant compétence pour intervenir aux différents moments
et sur les différents aspects du cycle de vie et à faire de sorte
qu'ils travaillent aussi simultanément que possible2.
Désormais, les constructeurs ont abandonné
l'ancienne organisation séquentielle, pour développement de
nouveaux produits, au profit d'un mode de développement
«concourant«. Ce dernier comporte des dimensions aussi
diversifiées que la convergence, la simultanéité et la
mobilisation qui animent les différents acteurs en phase de
développement3.
Ce nouveau mode d'organisation permet de capitaliser sur les
connaissances cumulées le long de la chaîne de valeur et de les
injecter en amont afin d'anticiper les difficultés en aval. Faire bien
dès le départ permet de finir plus vite et à moindre
coût.
Même si la phase de conception représentent en
moyenne 5% du coût total d'un produit, elle en détermine toutefois
environ 75% du coût total. C'est donc durant cette phase qu'il est
possible de réduire le coût total du produit et que les
coûts d'étude des solutions alternatives et des modifications sont
les plus faibles.
|