1.1. Les caractéristiques de l'industrie
aéronautique
1.1.1 Une industrie de pointe
D'abord, elle fait partie des industries de pointe en ce sens
qu'elle met en oeuvre les hautes technologies et en favorise la diffusion dans
les autres branches d'activité. En fait, l'exigence d'une
sécurité infaillible pour les passagers est stimulatrice d'une
recherche scientifique très poussée. La compétition
acharnée dans le domaine militaire est également un levier
incontournable dans le développement de cette industrie. Ainsi, la
recherche et développement (R&D) y occupe-t-elle une place de
premier choix. Aux Etats-Unis, en 2000 la R&D dans l'industrie
aérospatiale représentait 7,3% du CA des entreprises du secteur,
contre 3,6% pour l'ensemble de l'industrie3. En Europe, elle
représentait en 2004, 14,4% du CA du secteur
aérospatial4. Conséquemment, les autres branches de
l'industrie profitent amplement de l'industrie aéronautique. Plusieurs
technologies d'origine aéronautique ont trouvé leur application
par exemple dans le textile (habillements spéciaux isothermes),
l'automobile (positionnement par satellites) ...
1.1.2 Une industrie de petites et moyennes
séries
En plus, c'est une industrie de petites et moyennes
séries, c'est-à-dire qu'elle ne peut bénéficier des
économies d'échelle à l'instar des autres industries. Par
exemple les avions commerciaux sont livrés à quelques centaines
d'exemplaires par an. Ainsi, l'amortissement des investissements dans le
secteur aéronautique sur des durées courtes est difficile,
surtout que les coûts de développement sont de plus en plus
1 GROUPE SAFRAN. Turbomeca reçoit la
certification EN9100 [en ligne],
http://www.safrangroup.com/article.php
(consulté le 26.06.2007).
2 Ce concept sera explicité
ultérieurement dans la partie. I, chapitre. II, section. 2.
3 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
4 BELIS, Marie Claude et FRIGANT, Vincent. Le
potentiel scientifique et technologique aéronautique & espace des
régions SUDOE. Rapport final 2005, 2006.
élevés et représentent parfois
jusqu'à 25% du coût total estimé du produit sur l'ensemble
de sa durée de vie (cas de l'avion de chasse français Rafale).
La complexité de la fabrication, couplée
à la faiblesse des volumes de production font que cette industrie est
faiblement automatisée1 avec une part importante de la main
d'oeuvre liée à la production (38% en Europe en 2002). En
général, un appareil commercial devient rentable au bout de dix
ans de production, pour certains types d'appareil, ce point d'équilibre
a été atteint au bout de dix huit ans.
La rentabilité reste également sensible aux
effets de variations des changes. En effet, les calculs économiques de
rentabilité d'un modèle se font sur la période du cycle de
vie d'un produit, soit une durée de vingt à trente
ans2. Or, dans un environnement hautement concurrentiel où la
plupart des transactions se font encore en Dollars américains et
où le marché américain constitue encore la principale
débouchée pour cette industrie, nombreux sont les industriels du
secteur, surtout les européens d'entre eux, qui voient leurs marges
sérieusement amoindries du fait de la fluctuation du Dollar
américain et de la forte appréciation de l'Euro face à
cette monnaie3.
Cet allongement de la période nécessaire pour
le retour sur investissement handicape énormément les efforts des
industriels en matière de recherche et développement, facteur
clé de succès dans ce secteur. Par exemple, les coûts
développement de l'A340 ont été chiffrés à
3,6 milliards de Dollars selon les estimations de 1986, ceux de l'A380 à
11 milliards d'Euros en 2004.
1.1.3 Une industrie à caractère fortement
cyclique
Insérée dans le marché mondial,
l'industrie aéronautique est sensible à la conjoncture
générale et au climat des affaires. Par de voie de
conséquence, le secteur est connue par son caractère fortement
cyclique (voir Figure 3). La demande des produits obéit à une
fonction périodique par rapport au temps et subit l'influence de
l'environnement international4.
1 BELIS, Marie Claude et FRIGANT, Vincent. Le
potentiel scientifique et technologique aéronautique & espace des
régions SUDOE. Rapport final 2005, 2006.
2 MICHOT, Yves. Rapport sur l'industrie
aéronautique et spatiale française, 2004.
3 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
4 La fin de la guerre froide a engendré une
baisse de la production aéronautique à usage militaire. Par
exemple, entre 1989 et 1998, les dépenses militaires des trois grands
(France, GB et Allemagne) ont diminué de 12%, 24%
En effet, le contexte économique
général, mais aussi le cours du dollar et celui du
pétrole, la situation financière et la rentabilité des
clients principaux pour les activités civiles et commerciales, et les
politiques budgétaires, de défense et de recherche pour les
activités militaires et les grands projets, pèsent lourdement sur
le niveau d'activité1.
En outre, le caractère cyclique de l'activité,
est essentiellement dû pour le secteur aéronautique au
renouvellement des parcs d'avions - à l'ouverture de nouveaux
marchés de transports aériens - dépendant des utilisateurs
du transport aérien.
Source : AECMA (2003)2
Figure 3. CA et nombre de salariés de l'industrie
aéronautique européenne
1.1.4 Une forte présence des États dans la
composante militaire
En fait, cette industrie est dite duale car le levier
militaire est largement profitable au segment civil et a été
souvent à l'origine de la promotion des technologies
aéronautique. Certes, en 2005, la part du civil domine avec 60% du CA
aux Etats- Unis et 68% du CA en Europe3, cependant à partir
de 2001 une forte remontée de la
et 28% (Cf. Etude «De la coopération à
l'intégration : les industries aéronautiques et de
défense« réalisé par Burckard Shmitt et
publiée par l'Institut d'étude et de sécurité). De
même pour l'aéronautique civile, les événements du
11 septembre et le SRAS ont engendré un recul important du nombre de
passager acculant ainsi les compagnies aériennes à réduire
leur nombre de vol, ce qui s'est traduit par une diminution des commandes
d'appareils de transport et par voie de conséquence de la production
(Cf. Conférence mondiale sur l'industrie aérospatiale
organisée par la FIOM, Toulouse, 16-19 Juin 2002).
1 IGALENS, Jacques. La flexibilité dans le
secteur aérospatial. Toulouse : LIRHE documentation, 2002. 237
p.
2 AECMA. European Aerospace industry: Facts &
Figures 2002, 2003.
3 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
part du militaire est observée et pourrait à
nouveau se rapprocher de 50%. Cette présence de la dimension militaire
explique la main mise relative des Etats sur ce secteur qui se manifeste selon
plusieurs formes en fonction des Etats, avec deux éléments
récurrents :
· «La préférence
nationale«1, ce qui signifie que les Etats privilégient
les entreprises nationales pour l'armement de leurs forces militaires.
· Le poids de financement étatiques dans la R&D
de l'aéronautique militaire. Aux
Etats-Unis, l'Etat a financé 62,5% des dépenses en
matière de R&D en
aéronautique militaire en 20002. En Europe, la
part des Etats en 2002
représentait 62% du total des dépenses en R&D
alors que le poids de
financement de l'Etat des activités R&D en
aéronautique était de 44%.
A ce titre, les dépenses militaires constituent un
puissant moteur des industries aéronautiques. Dans ce cadre, les
industries américaines apparaissent plus avantagées que leurs
homologues européennes tant en niveau qu'en part du PIB. En fait, le
budget américain se chiffrait à 417 milliards de Dollars (2,7% du
PIB) en 2003 contre 171 milliards de Dollars (1,8% du PIB) pour l'Europe des
vingt cinq.
1.1.5 Une industrie fortement exportatrice
En outre, l'industrie aérospatiale est fortement
exportatrice, et ce en dépit des restrictions qui la sous-tendent,
particulièrement dans le domaine militaire pour éviter la
diffusion de certaines technologies sensibles. En fait, les exportations,
représentent en Europe et aux Etats-Unis plus de la moitié du
chiffre d'affaires des industriels du secteur afin de compenser
l'étroitesse du marché national. Elles s'évaluent à
52% en 2001 pour les Etats-Unis et 53% en 2002 pour l'Europe3.
Tous les acteurs du secteur estiment que la croissance de ce
marché est assurée sur le long terme. En fait, sur les vingt
prochaines années, le taux de croissance du trafic aérien serait
supérieur de deux points à celui du PIB. Certes des
événements ponctuels pourraient interrompre la tendance
haussière du trafic, néanmoins, le
1 Cette tendance est surtout de mise aux Etats-Unis
connue sous le vocable «Buy american «. En Europe, plusieurs
voies réclament l'homogénéisation des besoins et une
politique d'Achats commune entre européens pour arriver au «Buy
european «. RACCAUD, Pierre & MALVACHE, Jean-Luc. The Future
of Europe 's Aerospace Industry. Syndex & PCG-Project Consult GmbH,
2003.
2 Aux États-Unis et en Europe, la participation
financière de l'État aux marchés de la défense est
généralement non remboursable.
3 PETIT, Thierry (Coord.). La filière
industrielle aérospatiale en Ile-de-France, état des lieux et
enjeux. IAURIF, 2005.
secteur arrivera à s'en sortir pour renouer avec son taux
de croissance tendanciel (voir Figure 4).
Source: Global Market Forcast, Airbus
(1999)1
Figure 4. Evolution du transport aérien entre
1969 et 2019
1.1.6 Une industrie fortement dominée l'Europe et les
Etats-Unis
Au final, l'industrie aéronautique reste fortement
dominée par l'Europe et les Etats- Unis au regard des chiffres
d'affaires réalisés par leurs industriels (voir Figure 5). Cette
domination est confortée grâce notamment à une
maîtrise très avancée des technologies de pointe et
à une forte implication des Etats dans ce secteur.
En effet, si le chiffre d'affaire mondial consolidé du
secteur aéronautique et spatial était de 288 milliards de Dollars
en 2004, alors 56% de ce chiffre est réalisé par des
sociétés originaires des Etats-Unis et 35% par des
sociétés européennes, il en va de même sur le plan
de l'emploi2. Cette industrie génère 1,13 millions
d'emplois directs dont 53,6% aux Etats-Unis et 34% dans l'Union
Européenne3.
1 AIRBUS. Global Market Forecast 2000-2019
[en ligne], July 2000
http://www.airbus.com
(consulté le 26.02.2007).
2 MINISTERE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, DE
L'INNOVATION ET DE L'EXPORTATION. Stratégie de développement
de l'industrie aéronautique québécoise, 2006.
3 Op. cit.
Source: MDEIE (2006)1
Figure 5. CA mondiaux et effectifs en 2004 du secteur
aéronautique
Historiquement, les Etats-Unis dominent largement ce secteur
grâce à leur maîtrise des technologies avancées,
liée à l'existence d'un marché intérieur
conséquent. La forte demande des forces aériennes
américaines, outils incontournables dans la politique extérieure
du gouvernement, profite largement à la composante civile des
industriels américains qui ont misé sur un positionnement dual.
En effet, le marché militaire intérieur, fermé aux
constructeurs étrangers2, constitue une base pour les firmes
nationales, d'autant plus que le budget fédéral soutient
énormément leurs efforts en matière de R&D3
et représente ainsi un moteur puissant de la promotion de l'industrie
aérospatiale.
Les autres grandes nations de ce secteur sont aussi le Canada,
le Japon, le Brésil, la Chine et la Russie. Leur poids est loin
d'être négligeable, leur présence est appelée
à progresser au sein des grandes nations de l'industrie
aéronautique mondiale.
Ainsi, l'industrie aéronautique présente
plusieurs caractéristiques et reste, de ce fait, fortement
convoitée par la plupart des Etats ambitionnant de se hisser au rang des
grandes nations de l'industrie aéronautique. Toutefois, le secteur de
l'aéronautique
1 MINISTERE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE, DE
L'INNOVATION ET DE L'EXPORTATION. Stratégie de développement
de l'industrie aéronautique québécoise, 2006.
2 C'est la tendance «Buy american«
évoquée précédemment.
3 Les Etats-Unis consacrent aujourd'hui un budget
trois fois plus important à la R&D que l'ensemble des membres
européens de l'OTAN et la Suède. BURCKARD, Schmitt. De la
coopération à l'intégration : les industries
aéronautiques et de défense en Europe, 2000.
est marqué par un certain nombre de tendances qui ont un
impact majeur sur les stratégies des acteurs.
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