1.3. Le partenariat vertical
1.3.1 Sous-traitance aéronautique : vers un nouveau
mode partenarial
i) La sous-traitance traditionnelle : Un mode de relation DO/ST
en déclin
Dans une relation de sous-traitance de type traditionnel, la
logique qui prévaut est celle d'un simple rapport de forces conflictuel
entre donneur d'ordre (DO) et sous- traitant (ST). Cette sous-traitance
classique s'inscrit dans une optique transactionnelle2,
selon laquelle un DO cherche uniquement à obtenir les prix les plus bas
pour une qualité et une disponibilité données.
L'idée sous-jacente est que la négociation entre les deux
antagonistes est un jeu à somme nulle.
En ce qui concerne le secteur aéronautique,
traditionnellement, les grands DOs concentraient en interne l'ensemble des
activités liées à la conception et à la production
d'un avion, y compris la conception détaillée des sous-ensembles
qui le composent. Autour de ces avionneurs gravitait un réseau captif de
sous-traitance, géré selon une logique d'Arsenal3. La
nature des activités externalisées portait souvent sur la
production de pièces élémentaires selon un cahier des
charges précisant et les spécifications des produits et les
moyens à utiliser. Le DO ne partageait ni technologie ni savoir-faire ;
de même, il n'était pas nécessaire de mettre en place des
interactions susceptibles d'améliorer le profil du ST4.
Toutefois, dans un souci d'amélioration de la
compétitivité du réseau, ce mode de gestion de la relation
DO/ST a progressivement cédé la place à des
coopérations plus étroites. Historiquement, les origines de ce
nouveau schéma organisationnel remontent aux années quatre-vingt,
où il est souligné que l'avantage concurrentiel
1 ANDERS SON, T et al. The Cluster Policies
Whitebook, IKED, The Competitiveness Institute, 2004
2 ANDERSON, James et NARUS, James. Business Market
Management : Understanding, Creating and Delivering Value. Upper Saddle
River. NJ : Prentice Hall, 1998.
3 Voir Partie. I, Chapitre. I, Section. 1.
4 TALBOT, Damien. Mondialisation et dynamiques des
coordination inter-firmes : le cas dans la sous-traitance
aéronautique. Revue Sciences de la Société,
N°54, 2001.
des constructeurs automobiles japonais réside dans leur
mode d'organisation des relations verticales1. Les DOs majeurs
préfèrent alors nouer avec leurs STs directs, des relations
durables, fondées sur la confiance, plutôt que de leur passer des
commandes ponctuelles dans le cadre de contrats d'achats classiques. Face aux
mutations spécifiques du secteur2, les constructeurs
européens des industries d'assemblage de produits complexes, se lancent
dans un processus d'adoption par hybridation des pratiques
japonaises3, initialement dans le secteur automobile, puis à
partir de la décennie quatre-vingt dix, dans le secteur de la
construction aéronautique. Ceci s'est traduit par une externalisation
poussée, une réduction drastique du nombre des fournisseurs et
une plus grande sélectivité. Parallèlement, les
constructeurs ont accru les pratiques de délégation de conception
même si, à cette époque, les pratiques sont plus
orientées vers le co-design que vers une externalisation
complète4.
ii) L'avènement du partenariat vertical
Le partenariat vertical apparaît comme étant la
forme d'alliance stratégique, qui a connu le plus d'intérêt
ces deux dernières décennies5. Ce mode de
développement organisationnel se situe à mi-chemin entre d'une
part, une relation contractuelle classique et d'autre part, une
intégration verticale6 (voir Figure 7). Du point de vue du
DO, le partenariat vertical permet de disposer de compétences et
ressources externes, sans avoir à investir financièrement.
L'idée est de reporter les risques sur les STs partenaires, selon une
logique de sharing risks7, tout en créant des
obligations de part et d`autre. La Figure 7 illustre le positionnement du
partenariat vertical. À l'opposé des relations de sous-traitance
traditionnelles, le partenariat vertical apparaît comme étant un
mode de coopération durable entre un client et son fournisseur ayant
pour objectif de délivrer une valeur accrue au client final
(conjointement à)/ (et par) une meilleure compétitivité du
réseau ainsi formé par les
1 LECLER, Y. La référence japonaise.
L'Interdisciplinaire, Limonest : 1993.
2 Voir Partie. I, Chapitre. I, Section. 1.
3 BOYER, R et al. Between Imitation and
Innovation. The Transfer and Hybridization of Productive Models in the
International Automobile Industry.Oxford University Press, Oxford : 1998.
4 LUNG, Y et VOLPATO, G. Redesigning the
automakers-suppliers relationships in the automotive industry,
International Journal of Automotive Technology and Management, vol. 2, 2002.
5 DUSSAGE, P et GARETTE, B. Industrial Alliances
in Aerospace and Defence : An Empirical Study of Strategic and Organizational
Patterns. Defence Economics, vol.4, 1993.
6 GARRETTE, Bernard. Coopérations,
alliances et compétitivité. In : Management
Stratégique et Compétitivité. INGHAM, Marc (Ed.) :
1995. p 251.
7 Voir Partie. I, Chapitre. I, Section. 1.
deux entreprises partenaires. Comme le souligne Anderson :
«Aujourd'hui, la concurrence n'est plus entre entreprise, mais entre
réseaux. Il importe donc de construire un réseau efficace avec
les partenaires-clés«1. Ceci l'est d'autant plus
prégnant que l'industrie est
globalisée2, c'est notamment le cas du secteur
aéronautique.
Court terme
Autonomie
Mise en concurrence Rapports de force
|
|
|
|
Long-terme Investissements Risques
|
|
|
ABSORPTION
INDEPENDENCE TOTALE
Moyen et long -terme Convergence
stratégique
Formes variées Indépendance
Equilibre des pouvoirs
Partenariat Niveaux d'intégration
Source : adapté de O.E Williamson
(1985)3
Figure 7. Le positionnement du partenariat
vertical
Ainsi, du moins dans sa conception4, le partenariat
vertical s'organise sur un mode d'égalité et de
complémentarité entre deux entités qui gardent leur
autonomie, mais ont un intérêt stratégique majeur à
collaborer5.
Ce nouveau mode de relation puise ses fondements dans un
concept assez récent qui est celui du marketing
relationnel1. Ce dernier a pour finalité la construction
de
1 ANDERSON, James et al. Dynamic Business
Relationships Within a Business Network Context, Journal of Marketing, 1
5oct. 1994, pp. 1-15.
2 Une industrie globale est une industrie dans
laquelle les positions stratégiques des concurrents se
déterminent en fonction d'enjeux mondiaux. Une firme globale cherche
donc à tirer parti des opportunités de recherche, de production,
de logistique et de commercialisation à l'échelle
planétaire. KOTLER, Philip & DUBOIS, Bernard. Marketing
Management. 11ème édition. France : Pearson
Education, 2004. p41 8, 419.
3 WILLIAMSON, O.E. The Economic Institutions of
Capitalism, New York, The Free Press, 1985.
4 Pour autant, certains STs tendent à
relativiser l'aspect égalitaire de ces relations partenariales, surtout
pour les modes les moins avancés (Conventionnel et Association). Ils
considèrent que la relation reste le plus souvent du fort au faible
notamment lors de retournement de conjoncture. Le rapport de force, dans ce
cas, tend naturellement à se réinstaller par une pression
supplémentaire sur les coûts ou une demande d'augmentation
intempestive de volume avec des délais plus contraignants. IGALENS J.,
VICENS C. (2006), «Changes in the aeronautics sector : the case of Airbus
in the Midi Pyrénées«, LIRHE - UMR 5066 - Toulouse.
5 BRUEL, Olivier et FAVALETTO, Bruno. Achat et
logistique d'approvisionnement. In : Management Stratégique et
Compétitivité. INGHAM, Marc (Ed.) : 1995, p227.
relations pérennes avec les autres acteurs du
marché -clients, fournisseurs, distributeurs - en gagnant leur
préférence et leur confiance à long terme. Dans cette
perspective, des gains substantiels en coût et délais, peuvent
être réalisés, du moment que les transactions ne sont plus
négociées au coup par coup mais traitées en continu.
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