2. Les facteurs personnels
D'un point de vue psychologique, le marin est contraint
à un paradoxe permanent entre l'espace maritime et l'espace Navire. Si
le premier se caractérise par son immensité, le second, lui, est
un univers de très petite taille à part entière, où
la promiscuité, malgré la réduction des effectifs dans la
marine moderne, reste très perceptible. La principale occupation du
marin, faisant face à ce double stimulus, consiste à ne pas se
perdre lui-même. Henri Laborit, médecin et marin, disait ceci :
"Rester normal, c'est d'abord rester normal par rapport à soi-
même ". Confronté à cet univers si particulier, il n'est
pas étonnant de constater que le taux de suicide des Marins Marchands
est parmi les plus élevés (ségrégation par
catégorie professionnelle, étude de Wickstrom et Leivonniemmi en
1985).
a. Le respect et l'importance du sentiment d'être
respecté
Comme toute personne, le marin est sensible au fait
d'être respecté. D'ailleurs, plus peut-être car le lieu de
vie et le lieu de travail sont ici les mêmes, et pendant parfois une
année complète.
Le respect, c'est en premier lieu un logement correct, une
nourriture de qualité correcte et en quantité suffisante, des
salaires payés en toute justice, et l'accès aux soins
médicaux. L'expérience de 3 siècles sur les mers avait
permis aux grandes compagnies maritimes de comprendre cette
réalité. La France comme la Grande Bretagne ont des tableaux
légaux indiquant les quantités minimales de viande, poisson,
légumes, ou équivalentes à attribuer au personnel.
Les armateurs considéraient comme normal d'offrir aux
marins des cabines correctes. Les piscines et salles de sport étaient
considérées comme utiles.
Malheureusement, le confort de la vieille marine est
tombé dans l'oubli. Si certains armateurs, plus conscients que d'autres
de la nécessité de maintenir à bord une certaine
qualité de vie afin de renouveler quotidiennement la force de travail
des navigants, continuent à en équiper leur navire, trop nombreux
sont les bateaux où piscine et salles de sport ont été
supprimées, où la bibliothèque est pauvrement
achalandée et souvent avec des livres dans la langue du pavillon,
rarement comprise par l'équipage.
La notion de «navire poubelle» largement
diffusée dans les médias n'est souvent pas en adéquation
avec celle ressentie par le marin. En effet, celui-ci est très conscient
de la qualité du bateau sur lequel il navigue et pour quel armateur,
mais pour peu qu'il n'y ait pas de restrictions quant à la nourriture,
les salaires et l'accès aux soins médicaux, il acceptera de
travailler dur en dépit de sa propre sécurité parfois,
afin d'améliorer la qualité du navire.
S'il est vrai que les navires poubelles sont rarement de "bons
navires", j'ai entendu parler de marins Philippins qui se sont mis en
grève à bord d'un navire en bon état. Cette grève
aurait été évitée si le Capitaine avait su
écouter les marins qui se plaignaient de l'insuffisance de nourriture,
et avait accepté de partager plus équitablement certaines primes,
c'est à dire s'il avait respecté les marins.
De même, une demande de visite médicale est
parfois, plus qu'une maladie, l'expression d'un mal-être, au bout d'une
trop longue période d'embarquement. Le constat a été fait
qu'au-delà de 6 mois de bord, les marins sont plus demandeur de visites
médicales.
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