b. Les problèmes de communication, la question des
langues
Le contexte économique actuel, particulièrement
dans le cadre ultra compétitif de la marine marchande, encourage les
armateurs à rechercher leurs navigants au sein de multiples pays, au
gré des fluctuations du prix de la main d'oeuvre sur le marché
mondial.
Ainsi, comme je l'ai explicité
précédemment, les deux bateaux sur lesquels j'ai navigué
se voyaient armés de 5 à 8 nationalités
différentes. Le problème de la compréhension entre membre
d'équipages, si elle paraît évidente sur le papier par le
choix d'une langue commune de travail, est dans la réalité
souvent détournée. Ainsi, une équipe de 4 nettoyeurs
Thaïlandais se verra certifier STCW 95, si l'un d'entre eux est capable de
s'exprimer dans la langue officielle du bord. Outre le désastreux aspect
sécuritaire (incapacité à comprendre les notices,
impossibilité de séparer le groupe en cas d'évacuation du
navire afin d'assurer une meilleure espérance de survie, etc....), la
communication durant les heures de repos avec les autres membres
d'équipages devient rapidement problématique.
Il y a là un facteur important de risques d'avaries
à la marchandise, au navire, aux installations portuaires, et de
dommages aux hommes et à l'environnement.
Dans un tel cas, l'accident n'est pas dû au "facteur
humain", mais à un défaut de management de l'armateur, qui n'a
pas pris garde à cet aspect important de la qualification.
D'autre part, la multiplicité des ethnies n'encourage
pas le développement d'un système défensif efficace de la
part des marins vis-à-vis de l'armateur. Le syndicat, tel qu'il est
appliqué dans les compagnies nationales de Ferries, n'a pour ainsi dire
aucune existence au long cours.
54 Organisation Internationale du Travail
c. Disparité ethnique, la question de l'interculture
Outre le problème de langue, équipage
pluriethnique est synonyme d'équipage pluriculturel. Ainsi, dans
beaucoup de pays d'Asie, le « non » n'est pas considéré
comme une réponse convenable, de même que l'expression d'un
désaccord ou d'une incompréhension. Ce qui amène, au
contact d'officier Européen, des situations parfois cocasses, mais
révélatrices.
Traditionnellement, oeuvres vives55 et oeuvres
mortes56 ne sont pas peintes de la même couleur. Ainsi, le
second Capitaine avait donné l'ordre à l'équipage
Thaïlandais de repeindre la coque (oeuvre vive seulement, en rouge).
Après s'être assuré de leur bonne compréhension de
l'ordre reçu et avoir obtenu une réponse affirmative, il partit.
A son retour, 2 heures plus tard, une bande de 40 m2 de coque
(oeuvre vive et oeuvre morte) avait été intégralement
repeinte. Si la situation prête à sourire, ses implications sont
malheureusement évidentes et dangereuses.
Il est donc encore plus important à bord des navires
à nationalités multiples de ne pas se contenter de donner un
ordre ou une consigne, mais de faire en sorte d'établir un vrai
dialogue.
A cette différence entre peuples de cultures
différentes, il faut ajouter la différence de perception de la
culture d'entreprise.
J'ai ainsi pu constater que certains marins Philippins
considéraient des consignes de sécurité ou de protection
de l'environnement, même données par écrit et
affichées, comme des "parapluies" déployés par la
hiérarchie à bord et à terre. C'est ainsi que je fus
amené à avoir des conversations de sourds avec mes matelots
à propos, par exemple, du rejet des plastiques par-dessus bord. La
compréhension n'étant pas effective, force me fut faite de donner
l'ordre et de veiller à ce qu'il fut proprement appliqué.
La formation d'officier prépare, en particulier pour
les futurs mécaniciens, à ce type de problématique. Ainsi,
le cours de dessin technique puis de lecture de plan permet-il d'abord aux
élèves officiers de maîtriser la construction de volumes
sur des plans et les amènent, par la suite, à étudier la
simplification des ordres et consignes à transmettre par l'utilisation
de petits dessins. La vertu du dessin sur la longue explication n'étant
plus à démontrer, j'ai eu l'occasion de transmettre des consignes
ou ordres en format Bande Dessinée. On le voit, la communication reste
un réel problème à bord des navires modernes. Et si cette
communication efficiente fait défaut à bord, il est consternant
de constater que c'est également le cas entre navires. Il ne s'agit plus
de remettre en cause la connaissance des règles de navigation, mais bien
d'aborder le sujet de l'anglais comme langue de travail internationale.
55 Parties du navire submergées
56 Parties du navire à l'air libre
Combien de fois n'avons nous pas été
témoins ou avons expérimenté, mes collègues et moi,
des situations rapprochées, dues à une incompréhension
majeure de la part des officiers de quart quant au côté sur lequel
venir.
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