2. La mise en place d'unités de business, le concept
de ligne
Avec la containerisation, la mise en place du concept de ligne
régulière dans le cadre de la satisfaction première de la
clientèle, loin des considérations de fortune de mer
traditionnelle, va avoir pour conséquence une distanciation de la
relation terre mer. Le Commandant va passer d'une relation
privilégiée où il est le représentant unique de
l'armateur-transporteur à celle de simple défenseur de
l'intégrité du navire dans un complexe échange
armateur/affréteur transporteur.
La croissance des flux commerciaux dans le monde, la fin des
conférences d'armateurs ayant sonné le glas des quasi
monopoles et ouvrant le transport maritime à la libre concurrence, le
30 L'ordonnance de 1673 impose la déclaration
devant notaire des sociétés en commandite avec signatures des
intéressés si et seulement si ceux-ci sont marchands et
négociants.
31 Fernand Braudel, Civilisation matérielle,
économie et capitalisme, XVe -- XVIIIe, Les structures du quotidien,
édition Le livre de poche Références, 1979
32
www.cma-cgm.com
33 Lettre d'armateur de France de Novembre 2005,
N° 178
34 Source : un cadre supérieur au sein de la
société Maersk France
développement du concept de « juste à temps
» et des systèmes fonctionnant en flux tendu, sont autant de
paramètres à l'origine de la création des systèmes
de lignes régulières.
![](consequence-evolution-lien-substantiel-etat-pavillon-navire-marine-marchande-fr-equipages4.png)
Source : Armateurs de France
Comme je l'ai déjà expliqué plus haut, le
navire s'inscrit à présent au sein d'un environnement mettant en
jeu un grand nombre d'intervenants différents travaillant en
coordination. Et ce qui est vrai pour un navire porte-conteneurs l'est tout
autant pour un navire à passagers, pétrolier, vraquier ou autres.
En effet, la massification des navires, la tension de plus en plus importante
sur les horaires imposés, le développement de programmes de
construction par sister ships35, ont permis et imposé le
développement des systèmes de services hebdomadaires, mettant fin
aux principes de tramping36 et réduisant l'utilisation des
affrètements au spot.37
Cette évolution, multipliant le nombre d'intervenants
là où le seul Commandant était suffisant autrefois, a
créé une distance liée à la méconnaissance
des uns et des autres de la nature du travail de leurs coordonnés.
La formation des marins telle que définit par les
conventions internationales oblige les futurs marins à aborder les
principes d'EGC (Economie Gestion & Commerce) durant lesquels sont
introduits les différents métiers para-maritimes.
Néanmoins, il paraît évident que cette formation ne saurait
être suffisante d'autant plus qu'elle est à sens unique !! A ce
jour, il n'existe pas de formation en école de commerce en France
introduisant les particularismes de ce qui est tout de même le fer de
lance de la logistique. La seule formation disponible a été
35 Sister ship : Suite de navires construits suivant
les mêmes plans permettant des économies d'échelles et de
temps de chantier.
36 Tramping : Exploitation d'un navire, fonction du
meilleur prix de la marchandise à un lieu donné ; l'escale et la
route sont déterminées par le meilleur prix de vente de la
marchandise transportée. Principe encore en cours au pétrole.
37 Affrètement au spot : aussi appelé
affrètement au voyage. Le navire n'est affrété que pour un
transit seul. Souvent utilisé comme une solution de secours pour les
armements ne possédant pas la capacité de transport
nécessaire à la bonne exploitation de leur marché.
créée à L'ESC Marseille à
l'instigation de la CMA CGM afin d'améliorer la qualité de ses
collaborateurs et pallier à une déficience pourtant
évidente.
Il va sans dire que dans ce contexte, face à la
montée de l'internationalisation des navigants et la faiblesse de leurs
formations, face également à la méconnaissance totale (ou
peu s'en faut) du milieu maritime par les intervenants à terre, la
relation avec les navires se trouve alors dénaturée. Les
prérogatives du Commandant et celles de ses officiers sont alors
soumises aux aléas des diverses interactions de tiers, souvent non
compétents dans les particularismes maritimes. A l'inverse, le respect
au minimum des standards internationaux par la plupart des organismes de
formation mondiaux de marins engendre un déplacement des objets de
responsabilité des marins vers la terre (à titre d'exemple et
pour expliciter, le second Capitaine et le Commandant sont seuls responsables
devant la loi du chargement et des conditions de chargement du navire. Que se
passe-t-il quand le Commandant annonce au planner : « Votre plan de
chargement sera toujours accepté » ?). Une boucle d' «
irresponsabilisation » se trouve alors créée, pouvant mener
à des conséquences dramatiques. Le principe de
Peters38, relatif à la pyramide d'incompétence,
n'est-il pas en train de s'inverser dans ce contexte ? En effet, avec le
transfert des compétences de la mer vers la terre, on assiste à
une hyper responsabilisation de personnels non systématiquement
formés, et ce malgré un recrutement auprès d'anciens gens
de mer (dans le meilleur des cas, et il n'est pas systématisé,
loin s'en faut).
Le développement des lignes et des unités de
business n'est pas directement responsable, loin s'en faut, de cet état
de fait. Il est néanmoins important de noter que le transfert des
incompétences ayant accompagné le phénomène a
encouragé la pratique du recrutement de main d'oeuvre de moins en moins
qualifiée par le biais des marchands d'hommes peu ou prou
surveillés.
Une étude plus systématique de cette
évolution serait certainement nécessaire pour étayer cette
hypothèse. Elle ne sera cependant pas abordée dans ce document
car s'écartant de manière trop importante de la
problématique qui nous occupe.
38 · ·
Principe de Peters : Tout employé tend à
s'élever au sein d'une entreprise jusqu'à atteindre son niveau
d'incompétence.
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