2. La reconstruction de la marine marchande
Française dans le cadre du plan Marshall Pour reconstituer sa flotte,
le gouvernement français reçoit des États-Unis 75 Liberty
ships qu'il loue aux armateurs.
« C'est le rôle de l'État d'assurer
lui-même la mise en valeur des grandes sources d'énergie :
charbon, électricité et pétrole, ainsi que les principaux
moyens de transports ferrés, maritimes, aériens et les moyens de
transmission dont tout le reste dépend. C'est son rôle d'amener la
principale production métallurgique à son niveau indispensable.
C'est lui qui doit disposer du crédit. » (Général de
Gaulle exposant à l'assemblée nationale le programme de son
gouvernement le 2 mars 1945).
Suite à la deuxième guerre mondiale et à
la destruction de près de 70% de sa flotte15, l'État,
ayant réquisitionné-affrété les navires de commerce
(loi du 11 juillet 1939 relative à l'organisation de l'État en
temps de guerre) à hauteur de 2 900 000 tonneaux, garde le
contrôle de la flotte jusqu'en avril 1948, interdisant aux armements
toute initiative commerciale d'aucune sorte. Cette période,
fondamentalement tournée vers une reconstitution tant de la flotte que
des zones portuaires largement détruites par les alliés et durant
le retrait allemand, verra l'apparition d'un mouvement politique prônant
la mise en place d'une nationalisation permanente de la Marine marchande, des
banques et des assurances.
Ainsi, « L'État devra veiller à fixer le
rythme des investissements et à infléchir leur répartition
en privilégiant les transports, les sources d'énergie, les
matières premières, les matériaux de construction, la
grosse métallurgie. » (Point de vue des « légistes
» à travers le rapport Courtin, Comité Général
d'Étude créé en 1942). De même, les dirigeants du
parti communiste, s'appuyant sur le même rapport, réclament une
nationalisation, une participation des travailleurs à la direction de
l'économie, les prélèvements sur les enrichissements et le
capital. Il apparaît très clairement que l'importance de la Marine
marchande est au coeur de tous les esprits. Mais quelles sont les raisons pour
lesquelles le pavillon Français au cul d'un navire intéresse
autant le monde politique ?
Le marin, le navigant est encore à cette époque
considéré, qu'il soit civil ou militaire, comme au service de
l'État. D'ailleurs, avec les premiers alignements du droit maritime sur
le droit terrestre, on notera l'exclamation de M. Florian Cordon,
Trésorier Général des Invalides de la Marine : « Une
demi-solde, cela possédait des quartiers de noblesse, et haussait le
marin âgé au rang des serviteurs du pays, en retraite. Une pension
de vieillesse, cela fait, du loup de mer, un simple vieux » en 1950.
»
15 Les grandes mutations de la Marine marchande
Française (1945-1995), B.Cassagnou, Histoire économique et
financière de la France
En fait trois facteurs principaux peuvent être retenus
comme étant de nature à marquer l'importance d'une flotte
nationale. Le premier, de nature économique, est lié à la
balance commerciale du pays. En effet, à l'export comme à
l'import, toute marchandise/passager à destination/provenant de France
transporté(e) sur des navires battant pavillon étranger
représente un coût non négligeable pour l'État. De
la même manière, toute marchandise étrangère
préférant à la flotte Française des navires
étrangers devient un manque à gagner.
D'autre part, ainsi que nous l'avons vu
précédemment, la flotte de marine marchande possède une
importance stratégique pour l'État du pavillon en ce sens qu'elle
peut être réquisitionnable en temps de crise et est garante de
l'indépendance du pays quant à son approvisionnement en ressource
extérieure. A ce titre, il est important de noter que jusqu'en 1939 la
France entretenait un monopole de fait quant au raffinage et au transport
d'hydrocarbure à destination du territoire national (loi du 10 janvier
1925 relative à la création de l'Office National des Combustibles
Liquides). La suppression de toute restriction quantitative sur la production
et la distribution a amené les pouvoirs publics Français à
tirer un trait sur la loi de 1928 à l'occasion de la mise en place du
marché unique avec la loi de 1992 ; subsistent essentiellement de nos
jours le devoir d'information, les stocks stratégiques (obligation, en
fait, européanisée depuis 1968), l'obligation de pavillon
(malgré son relatif insuccès en grande partie dû au
coût du marin Français et aux affrètements
spots16).
« Les transports par mer sont une des activités
vitales des Sociétés humaines de tous les temps, d'autant plus
vitales que les Civilisations se développent davantage ; les Flottes de
Commerce se révèlent en fait, à l'analyse, comme un des
éléments les plus indispensables de l'indépendance, de la
prospérité et de la puissance des Nations. » (L.Poirier,
Ingénieur général, Economie Maritime, 1978).
Enfin, la flotte de commerce battant pavillon national est un
vecteur de communication de la puissance de l'État du pavillon
auprès des autres États, tant par l'image qu'il véhicule
que par, de nos jours, l'influence que le tonnage de la flotte donne à
l'État du pavillon dans les conférences de l'OMI (Organisation
Maritime Internationale).
« Très solennellement proclamée -- comme
c'est le cas aux USA -- ou instinctivement intégrée au
patriotisme de tous les Gouvernants et à leur sens des
intérêts supérieurs dont ils ont la charge, la politique
maritime est une nécessité de base pour tout grand Pays, et se
fonde sur les notions de balance des paiements extérieurs,
d'indépendance économique et d'expansion générale,
de volonté politique et de prestige. Aucun Gouvernant, digne de cette
16 Affrètement spot : ou tramping ou au voyage,
mobilise le navire pour une opération précise.
qualité, ne peut durablement ignorer que le navire
n'est pas seulement un instrument de transport portant la marque et les
couleurs d'un Compagnie commerciale, mais que c'est une parcelle du sol
national, et qu'un cargo Français à Dakar ou à Valparaiso,
c'est la France qui s'y trouve en visite, avec le pavillon national, avec des
hommes en uniforme au sein d'une petite Société
hiérarchisée qui représente la Patrie. Cette simple
remarque permet de comprendre la justification et la nature particulière
d'une politique maritime nationale ; il n'est pas question, en ce domaine, des
intérêts des seuls armateurs, mais d'un intérêt
commun aux armateurs, aux gens de mer et à la Nation. » (L.Poirier,
Ingénieur général, Économie Maritime, 1978).
Ainsi, il apparaît clairement que même si la
politique maritime Française n'avait malheureusement su faire preuve de
la cohérence de l'Angleterre, les gouvernants avaient tout du moins une
vision plus ou moins claire de l'importance de la marine marchande pour
l'État, son indépendance et sa représentativité. A
ce titre, le lien substantiel entre l'État et le navire se faisait de
manière parfois houleuse, en accord avec les armements. Cet accord
permis notamment à la France de redresser la puissance de sa flotte et
d'accéder au 9ème rang mondial à la fin des années
1970. Ainsi apparaît cette relation dans la synthèse faite par
Pierre Léonard du programme de la flotte de commerce du Ive plan (1962)
:
« Aux armateurs, il appartient d'adapter leur flotte et leur
organisation aux particularités d'exploitation des navires
Français :
en poursuivant l'effort d'amélioration de leurs
bâtiments [...]
en améliorant les liaisons d'ordre commercial et financier
avec les flottes de la zone franc en améliorant leurs méthodes de
gestion [...]
[en développant leur activité vers les secteurs
internationaux]
Toutes ces orientations doivent être encouragées par
l'État.
Aux clients nationaux de l'armement Français il doit
être recommandé instamment de faire [...] une place maximum au
pavillon Français et d'abord d'acheter FOB17 et vendre
FCA18. [... »
Ite missa est. La relation entre l'État et l'armateur est
explicitée, les armateurs sont libres d'agir sous le regard bienveillant
de l'État.
17 Free On Board
18 Free Carrier
|