De par la taille de leurs besoins, les marchés publics
des collectivités peuvent influencer de manière significative les
pratiques des entreprises, du moins celles des entreprises locales. L'objectif,
en plus de combler un besoin (p.62), est de sensibiliser les fournisseurs
à la commande publique durable et de rendre plus durable leurs offres et
leurs pratiques.
En effet, la seule application des clauses obligatoires
(p.32) et des lois, notamment la loi AGEC (p.51), ne suffit pas pour amener les
entreprises à rendre leurs offres plus écologiques ou sociales
surtout lorsque l'on sait que la plupart des entreprises ne sont pas au courant
de leurs obligations légales. Par exemple, 70% d'entre elles ne savent
pas qu'il est interdit depuis janvier 2022 de détruire leurs invendus
non alimentaires et 49% ne valorisent pas leurs invendus. Enfin, 20% des
entreprises413 ne comptent pas progresser sur ces sujets qu'elles
«ne considèrent pas comme prioritaires [...] à cause de
l'inflation».414
De plus, il est illégal d'exclure un candidat pour
cause d'offre jugée peu durable, surtout quand les critères
sociaux ou environnementaux ont peu de rapport avec l'objet du marché
(voir p.36).
Cependant, l'achat public durable et son rôle de levier
économique sont d'autant plus nécessaires à
maîtriser par les élus afin d'inciter les fournisseurs à
modifier leur pratiques.,
412 Article L.3114-8, même code.
413 Sondage mené par Dynata auprès de 234
professionnels du secteur non alimentaire.
414
carenews.com, « Loi AGEC : 70 %
des entreprises ne savent pas qu'il est interdit de détruire des
invendus non alimentaires», L. DOMERGUE, 24 janvier 2023.
84
Selon M. Kalflèche, professeur de droit public à
l'université Toulouse 1 Capitole, «l'objectif final [de l'achat
public], c'est le changement de l'entreprise, pas celui de l'acheteur».
Pour y parvenir, la commande publique peut «jouer un rôle incitatif
qui doit être réfléchi sur le long terme» et sur
l'ensemble des achats publics, pas juste «pour quelques achats
spécifiques».415 L'acheteur public doit donc
éviter de se contenter des marchés réservés (p.41)
et élargir le concept d'achat public durable à un maximum de
marchés, peu importe leur nature ou leur forme.
Ce changement «passe avant tout par le sourcing»
selon M. Galliano, directeur de la commande publique de la Ville de
Lyon.416 Toutefois, il ne s'agit pas simplement de rechercher des
fournisseurs durables mais d'encourager, lors des échanges en amont de
la procédure d'achat (pp.73-76), ceux qui ne le sont pas encore à
le devenir. Communiquer aux entreprises les objectifs du PNAD 2022-2025 et ceux
du SPASER (p.27) de la collectivité lors de ces échanges semble
également approprié.
Le «sourcing mutualisé» peut aussi
encourager les entreprises à modifier leurs pratiques car il consiste
pour la collectivité à faire profiter les autres acheteurs de son
expérience avec tel fournisseur, à indiquer aux autres
collectivités les fournisseurs avec qui il est bon, ou non, de passer un
marché. Il s'agit en quelque sorte de l'inverse du benchmarking (p.76).
Le sourcing, mutualisé ou non, est donc non seulement une source
d'économies financières et de temps mais également une
«source d'enrichissement des connaissances». Les guides de
l'Observatoire de la Commande Publique sont réalisés selon ce
procédé.417
L'inclusion de «clauses incitatives» (p.71) dans
les documents du marché peut aussi inciter les entreprises candidates
à verdir leurs offres. Ces clauses pourraient fixer des objectifs
environnementaux à atteindre et l'acheteur pourrait ainsi verser une
prime au titulaire du marché quand ces objectifs seraient atteints. A
l'inverse, une pénalité serait appliquée en cas de
«dégradation» de ces objectifs. Ce mécanisme de clauses
incitatives a
415 La Gazette des Communes, dossier «Le triptyque vertueux
des marchés publics», C. BERKOVICIUS, 2 mars 2020.
416 Note 278.
417 Publication «Pour une commande publique sociale et
environnementale», députée LREM de la Haute-Vienne S.
BEAUDOUIN-HUBIÈRE et sénatrice RDPI du Finistère N. HAVET
, 20 octobre 2021.
85
donc le mérite «d'impliquer plus fortement
acheteur et titulaire dans l'exécution du
marché»418 et de son suivi.
Il est à rappeler que suivre l'exécution d'un
marché, c'est constater le respect des clauses mais aussi de «faire
évoluer le marché afin d'en maintenir la performance
économique».419 Le rapport annuel permettant de suivre
l'exécution des clauses est d'ailleurs obligatoire pour «les
marchés de partenariat» et «les marchés de
maîtrise d'oeuvre».420
Ce «changement de l'entreprise»421 peut
être aussi atteint par le simple mécanisme économique de
l'offre et la demande qui incite le fournisseur à s'adapter à la
demande de l'acheteur afin de pérenniser son activité. En effet,
si la demande de produits et services durables est élevée, cela
encouragera les fournisseurs à augmenter, ou à créer, leur
offre de biens durables et à réduire celle de biens moins
durables. À l'inverse, s'il n'y a pas assez de demande, cela incitera
les fournisseurs à réduire la production de biens et de services
durables.422 D'où le rôle de levier de la commande
publique pour «accélérer la transition
écologique» qui favorise les achats durables et qui «encourage
les fournisseurs à modifier leurs offres».423
Bien sûr, la demande sera d'abord excédentaire
à l'offre disponible, ce qui se traduira par un prix élevé
du bien demandé. Cependant, avec la baisse de la demande que ce prix
impliquera, celui-ci baissera jusqu'à atteindre un prix convenable par
rapport au besoin, et aux moyens, de la collectivité.424
D'où la nécessité de réfléchir l'achat
public durable sur le long terme.
418
weka.fr, «Contrôler
l'exécution d'un marché».
419 Idem.
420 Articles L.2234-1 et D.2171-13 du CCP.
421 Note 413.
422
fr.vikidia.org, «L'offre et la
demande».
423 Note 415.
424
ionos.fr/startupguide/gestion/offre-et-demande,
25 novembre 2019.