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Le service public de l'electricité en droit camerounais


par Philippe Gérald MBANG EVEZO'O
Université d'Ebolowa - Master Recherche en droit public 2023
  

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A- LE CADRE NOTIONNEL

« Tout est dans les mots ; qui n'a pas réfléchi sur les mots n'a pas réfléchi du tout 12» Fondé sur ces propos, tout travail scientifique oblige de procéder à une définition

9 2 V. MARGAIRAZ (M.), « Les services publics économiques entre experts, praticiens et gouvernants dans le premier XXe siècle : d'une configuration historique à l'autre », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°523, juillet-septembre 2005, pp.132-165.

10 V. DELION (A. G.), « ... La crise financière et le retour des États », RFAP, n°128, 2008/4, pp.799-816.

11 J. C. ABA'A OYONO, Les mutations de la justice à la lumière du développement constitutionnel de 1996, Afrilex, Bordeaux, 2000/01, p. 2

12 Propos rapportés par L. AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, Paris, LGDJ, 2000, p.12

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claire de ses concepts clés pour faciliter la compréhension. A cette fin, la définition du terme service public (1) précède celle du terme service public de l'électricité (2), puis, celle de droit camerounais (3).

1- Définition du service public en droit

La notion de service public fait l'objet d'un constant emploi dans la pratique et aussi dans de nombreuses discussions doctrinales, ce qui atteste de son importance sur le double champ politique et juridique13. Cependant, la définition du service public est loin d'être évidente, parce que sujette à débat, voire à polémique14. En réalité, cette définition est surtout évolutive parce que la place des services publics dans l'économie dépend en grande partie du rôle dévolu à l'État dans la sphère économique et sociale. Ainsi, il est observable que la crise de l'État providence ait été traduite par le recul de la sphère publique en même temps que par l'affaiblissement de la frontière entre service public et activité marchande privée15.

Toutefois, la notion de service public, au-delà des divergences relativement à sa définition, évoque une réalité simple, « à savoir l'existence dans toute société d'un ensemble d'activités considérées comme étant d'intérêt commun et devant être à ce titre prises en charge par la collectivité, c'est-à-dire d'une sphère de fonctions collectives »

16.

Cette définition n'est pas nouvelle, elle n'est donc pas différente de celle qui voit dans la notion de service public, une activité d'intérêt général gérée par l'administration ou par une personne privée, qui en a reçu délégation et qui est soumise au contrôle de

13 V. CHEVALLIER (J.), Le service public, op cit., p.3

14 L'on a ainsi évoqué l'idée d'une crise du service public, à propos, v. CHAMBAT (P.), « Crise du service public et construction étatique », Management et conjoncture sociale, n°481, 1996, p.14 ; Pourtant pour Jacques Chevallier, il n'y a pas de crise de la notion, mais plutôt celle de l'administration, CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion juridique de service public », op cit., spéc., pp.137-161. La notion de service public jouit encore aujourd'hui de sa définition originaire, toutefois c'est son périmètre qui est évolutif, v. PILCZER (J. -S.), « La notion de service public », Information sociale, n°158, 2010/2, pp.6-9

15 V. CHEVALLIER (J.), « Les nouvelles frontières du service public », Regards croisés sur l'économie, n°2, 2007/2, pp.14-24

16 Ibid., p.14.

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l'administration 17 . Cette définition constante dans la sphère juridique18 pose comme essence du service public la prestation, en tant que le service public permet la satisfaction des besoins d'intérêt général. Nous sommes alors ici dans la perspective du « service public-activité » et non dans l'optique du « service public- institution »19 .

En partant donc de l'idée que le service public est fondamentalement une prestation, une activité, rendue ou exercée à titre gratuit ou non, l'on observe que les présentations administratives puis doctrinales de la notion de service public ont de plus en plus usé du « pluriel » : services publics. Cette dernière optique, renvoie à des modes d'organisation des services, des activités, suivant le caractère administratif, industriel ou commercial. Dès lors, le déplacement linguistique d'une approche univoque à une approche plurielle des activités de service public relève en premier lieu des développements d'une distinction jurisprudentielle française entre les services publics administratifs et les services publics industriels et commerciaux. Certes l'on peut discuter cette distinction, toutefois, il faut dire que l'usage du pluriel ici permet d'apprécier la diversité des activités d'intérêt général. De même cet usage du pluriel, retrace la tendance générale à la sectorisation, au morcellement ou à la segmentation de ces activités. Dès lors, les prestations de service public, par la diversité des formes qu'elles prennent, peuvent être classées en secteurs d'activités.

2- Définition du concept de service public de l'électricité

Le terme « électricité » n'est pas à proprement parler une notion juridique. II est utilisé dans des domaines divers ayant un fort lien avec la technique ; l'informatique, l'économie, la physique et a fini par s'imposer dans le jargon juridique. C'est ainsi que la notion est utilisée en relation avec le service public par le législateur camerounais. Techniquement, l'électricité désigne selon l'encyclopédie français « l'une des manifestations physiques de l'électromagnétique par déplacement des particules

17 CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion juridique de service public », op cit., pp.137-161

18 V. CONSEIL D'ETAT, Réflexions sur l'intérêt général, Rapport public 1999, EDCE, n°50, Paris, La Documentation française, spéc., p.272 ; PILCZER (J. -S.), « La notion de service public », Information sociale, n°158, 2010/2, pp.6-9.

19 CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion juridique de service public », op cit., pp.137-161

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chargées 20» une définition qui semble éloignée de celle du législateur camerounais de la notion d'électricité .

D'après lui, est considéré comme électricité toute « énergie générée à partir des sources primaires (cours d'eau, lacs ou marées), des matières premières minérales (charbon, pétrole, substances nucléaires, sources géothermiques ou autres, ou des sources d'énergie renouvelables (rayonnement solaire, vent, biomasse, etc.21. »

La rencontre les notions de service public et d'électricité rende compte de l'étendue des activités de satisfaction de l'intérêt général et de la distinction entre le service public administratif et le service public industriel et commercial .en effet, le service public , définie comme « une activité d'intérêt général exercée par une personne publique ou sous le contrôle d'une personne publique et suivant un régime dérogatoire au droit commun »22 implique que la séparation entre service public administratif et service public commercial prend comme critère l'activité visée23 il s'agit dans le premier de l'organisation du service de l'Etat éventuellement par le création d'une personne morale de droit public lorsqu'il s'agit d'une décentralisation par service et mis en place d'un établissement public à caractère administratif , tandis que le service public appelle le qualificatif industriel et commercial lorsque , dans un but d'intérêt général, la personne qui en a la charge exerce une activité habituellement susceptible d'être exercée par des entreprises privées , et normalement dans les mêmes conditions qu'elles24 c'est dans cette catégorie que se situe le service public de l'électricité dont l'étude fait l'objet de nous recherches.

En somme, il faudra entendre par service public de l'électricité « toute activité de production, de transport, de distribution, d'exportation ou d'importation d'énergie électrique, de stockage d'eau en vue de la production non destinée à l'usage exclusif de

20 Extrait de texte du Wiktionnaire

21 Art. 5 de la loi n°2011/022 du 14 décembre 2011, régissant le secteur de l'électricité au Cameroun.

22 De Laubadere, J-CI, venezia, Y Gaudemet, traité De droit administratif ,11 Ed. LGDJ, t.1 p.683

23 FRISON-ROCHE Marie-Anne, le service public marchand

24 J M, Auby et J B Auby, institutions administratives,6 Ed, Dalloz, p.49, N°1108

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l'opérateur concerné. »25 c'est ce que le professeur Marie-Anne Frison-roche qualifie de service public marchand26

3- La notion de droit camerounais

Le cadre matériel de l`étude tourne autour du vocable droit camerounais, une expression qui permet de mettre en avant la thèse de l`autonomie du droit camerounais, en particulier, celle du droit administratif. Le droit administratif convient-il de le rappeler, est introduit au Cameroun à la faveur de la colonisation franco-britannique, du moins pour ce qui est du Cameroun sous domination française27. A la veille de l`indépendance, il y`a forcément des interrogations sur l`attitude que les Etats africains adopteraient en matière de production législative28 et une fois l`indépendance acquise, le problème de la transition juridique29 se pose pour les nouveaux Etats. Il leur est imposé de choisir entre le maintien, le rejet ou la réforme du système de droit légué par l`ancien colonisateur. Toujours est -il que la production normative des nouveaux Etats devait prendre un nouveau départ et recevoir une nouvelle impulsion30. Et c`est face à cette réalité que s`est posé le problème de l`originalité des droits africains et celui du mimétisme juridique en Afrique.

La controverse oppose la thèse du mimétisme à celle de l`originalité des droits africains. La première tendance est constituée des auteurs31 qui défendent la théorie du mimétisme intégral, et ceux qui défendent la thèse du mimétisme partiel. Pour ceux-ci,

25 25 Art. 5 de la loi n°2011/022 du 14 décembre 2011, régissant le secteur de l'électricité au Cameroun

26 FRISON-ROCHE Marie-Anne, libre propos sur le service public marchand, RJDA, Ed Francis Lefebvre, p 847-848

27 ENGOUTOU (Jean. Luc), la Cour fédérale de justice au droit administratif. Thèse de doctorat Ph.d en droit public, Université de Yaoundé 2, 2010, p.17

28 Idem

29 Idem

30 WODIE (François.), « La législation », in Encyclopédie Juridique de l'Afrique, l'Etat et le droit, Tome 1, NEA, 1982, p.307

31 Il s`agit entre autres de : ACOUETEY MEZAN, in le contrôle juridictionnel de l'administration en Afrique noire francophone, Th. de Droit, Nancy II, 1974, p.250 ; GONIDEC (Pierre-François.), Les droits africains. Evolution et sources, LGDJ, 2e éd. Paris, 1976 ; BOCKEL (Alain.), sur la difficile gestation d'un droit administratif Sénégalais, Annales Africaines, 1973 ; BADARA FALL (Alioum). La responsabilité extra contractuelle de la puissance publique au Sénégal : Essai de transposition des règles de droit administratif français dans un pays d'Afrique noire francophone, Thèse de Droit, Bordeaux I, 1993 cités par ONDOA (Magloire), « Le droit administratif français en Afrique francophone. Contribution à l`étude de la réception des droits étrangers en droit interne », RJPIC, Sept -Déc., 2002, p.290.

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le juge administratif camerounais se souviendrait ainsi de ses origines françaises et tenterait parallèlement « une acclimatation tropicale » de certaines solutions par « déviation par rapport au modèle référentiel » ou par « effort d`innovation jurisprudentielle »32. Il procéderait en outre à des « emprunts sélectifs »33. Ces derniers mettent en avant deux idées majeures, la thèse assimilationniste34 de l`époque coloniale qui fut remplacée au profit de celle de la reconduction pour justifier l`applicabilité du droit français en Afrique.

La seconde tendance qui est celle de l`autonomie des droits africains, défend l`idée selon laquelle tout le droit administratif français n`était pas automatiquement applicable au Cameroun avant et après les indépendances. La seule existence du principe de la spécialité législative permet de soutenir une telle affirmation. La règle de la spécialité législative, est « un principe bien assuré suivant lequel les lois ne saisissent les territoires d`outre-mer que si elles ont été faites précisément en vue de les régir ou si elles leur ont été étendues par une disposition spéciale contenue soit dans la loi elle-même, soit dans un décret (...) »35. Elle écarte « l`application de plein droit des lois prises dans la métropole »36 et s`oppose de ce point de vue à l`application automatique de la législation édictée par l`Etat colonisateur au territoire. Introduite dans le droit colonial par une lettre du Roi datée du 26 octobre 1774 et adressée aux présidents des Conseils supérieurs de Saint-Domingue, ce principe sera même consolidé par le juge administratif camerounais. C`est ainsi que le Conseil du Contentieux Administratif du Cameroun emboîtera le pas à la législation française en déclarant que : « Considérant en droit, qu`en vertu du principe général de la spécialité législative, consacrée par l`article 72 de la loi constitutionnelle, les lois et règlements ne sont applicables dans les territoires d`outre-mer ou dans les territoires sous tutelle, que s`ils ont été déclarés tels soit par une disposition expresse du texte lui-même, soit par une loi postérieure ou un décret spécial

32 KAMTO (Maurice), « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun » in les Cours suprêmes en Afrique, Economica, Paris 1988, p.52

33 BIPOUN- WOUM (Joseph Marie), « Recherches sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les Etats d`Afrique noire d`expression française : le cas du Cameroun » RJPIC, 1972, n°3, p..368.

34 ENGOUTOU (Jean Louis), L`apport de la Cour fédérale de justice au droit administratif. Op.cit. p.19

35 LAMPUE (P.), « Les lois applicables dans les territoires d`outre-mer », Penant, 1950, p.1.

36 ROUSSILON (CL.), Le régime législatif de la France d'Outre-mer, Bibliothèque Juridique de l`Union Française, Ed de l`Union Française, Paris 1958 P.39 cité par ONDOA (Magloire), « le droit administratif français en Afrique francophone. Contribution à l`étude de la réception des droits étrangers en droit interne » op. cit. p.295.

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d`application »37. Il en ressort que le droit administratif français n`était pas automatiquement applicable en droit camerounais.

Le phénomène est amplifié par les divergences des fondements théoriques qui séparent les systèmes juridiques français et africains. En effet, évoquer les fondements théoriques d`un système juridique ou d`une règle de droit, c`est présenter les idées qui les sous-tendent et qui les justifient tout en assurant leur cohérence interne38. En France, on sait que le droit administratif s`est construit autour de la recherche d`un équilibre entre les nécessités de l`action administrative et les droits des citoyens39. Plus qu`une technique de soumission de l`administration au droit, le droit administratif camerounais apparaît comme un instrument de légitimation de l`action administrative40. Bien plus, l`idéologie de la construction nationale appelle autoritarisme et la mise sur pied d`un Etat fort, peu soucieux du respect des libertés individuelles. Sur la base de la spécialité législative et du fondement du droit camerounais, on peut donc valablement parler du droit camerounais en le définissant comme le droit sécrété par les autorités camerounaises sur la base des réalités camerounaises et applicable au Cameroun.

La clarification des concepts ainsi faites, place à présent à la délimitation du cadre d'étude.

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