A- LE CADRE NOTIONNEL
« Tout est dans les mots ; qui n'a pas
réfléchi sur les mots n'a pas réfléchi du tout
12» Fondé sur ces propos, tout travail scientifique oblige de
procéder à une définition
9 2 V. MARGAIRAZ (M.), « Les services publics
économiques entre experts, praticiens et gouvernants dans le premier XXe
siècle : d'une configuration historique à l'autre », Revue
d'histoire moderne et contemporaine, n°523, juillet-septembre 2005,
pp.132-165.
10 V. DELION (A. G.), « ... La crise
financière et le retour des États », RFAP, n°128,
2008/4, pp.799-816.
11 J. C. ABA'A OYONO, Les mutations de la
justice à la lumière du développement constitutionnel de
1996, Afrilex, Bordeaux, 2000/01, p. 2
12 Propos rapportés par L. AGRON, Histoire
du vocabulaire fiscal, Paris, LGDJ, 2000, p.12
4
claire de ses concepts clés pour faciliter la
compréhension. A cette fin, la définition du terme service public
(1) précède celle du terme service public de
l'électricité (2), puis, celle de droit camerounais (3).
1- Définition du service public en
droit
La notion de service public fait l'objet d'un constant emploi
dans la pratique et aussi dans de nombreuses discussions doctrinales, ce qui
atteste de son importance sur le double champ politique et
juridique13. Cependant, la définition du service public est
loin d'être évidente, parce que sujette à débat,
voire à polémique14. En réalité, cette
définition est surtout évolutive parce que la place des services
publics dans l'économie dépend en grande partie du rôle
dévolu à l'État dans la sphère économique et
sociale. Ainsi, il est observable que la crise de l'État providence ait
été traduite par le recul de la sphère publique en
même temps que par l'affaiblissement de la frontière entre service
public et activité marchande privée15.
Toutefois, la notion de service public, au-delà des
divergences relativement à sa définition, évoque une
réalité simple, « à savoir l'existence dans toute
société d'un ensemble d'activités
considérées comme étant d'intérêt commun et
devant être à ce titre prises en charge par la
collectivité, c'est-à-dire d'une sphère de fonctions
collectives »
16.
Cette définition n'est pas nouvelle, elle n'est donc
pas différente de celle qui voit dans la notion de service public, une
activité d'intérêt général
gérée par l'administration ou par une personne privée, qui
en a reçu délégation et qui est soumise au contrôle
de
13 V. CHEVALLIER (J.), Le service public, op cit.,
p.3
14 L'on a ainsi évoqué l'idée
d'une crise du service public, à propos, v. CHAMBAT (P.), « Crise
du service public et construction étatique », Management et
conjoncture sociale, n°481, 1996, p.14 ; Pourtant pour Jacques Chevallier,
il n'y a pas de crise de la notion, mais plutôt celle de
l'administration, CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion juridique de
service public », op cit., spéc., pp.137-161. La notion de service
public jouit encore aujourd'hui de sa définition originaire, toutefois
c'est son périmètre qui est évolutif, v. PILCZER (J. -S.),
« La notion de service public », Information sociale, n°158,
2010/2, pp.6-9
15 V. CHEVALLIER (J.), « Les nouvelles
frontières du service public », Regards croisés sur
l'économie, n°2, 2007/2, pp.14-24
16 Ibid., p.14.
5
l'administration 17 . Cette définition
constante dans la sphère juridique18 pose comme essence du
service public la prestation, en tant que le service public permet la
satisfaction des besoins d'intérêt général. Nous
sommes alors ici dans la perspective du « service public-activité
» et non dans l'optique du « service public- institution
»19 .
En partant donc de l'idée que le service public est
fondamentalement une prestation, une activité, rendue ou exercée
à titre gratuit ou non, l'on observe que les présentations
administratives puis doctrinales de la notion de service public ont de plus en
plus usé du « pluriel » : services publics. Cette
dernière optique, renvoie à des modes d'organisation des
services, des activités, suivant le caractère administratif,
industriel ou commercial. Dès lors, le déplacement linguistique
d'une approche univoque à une approche plurielle des activités de
service public relève en premier lieu des développements d'une
distinction jurisprudentielle française entre les services publics
administratifs et les services publics industriels et commerciaux. Certes l'on
peut discuter cette distinction, toutefois, il faut dire que l'usage du pluriel
ici permet d'apprécier la diversité des activités
d'intérêt général. De même cet usage du
pluriel, retrace la tendance générale à la sectorisation,
au morcellement ou à la segmentation de ces activités. Dès
lors, les prestations de service public, par la diversité des formes
qu'elles prennent, peuvent être classées en secteurs
d'activités.
2- Définition du concept de service public de
l'électricité
Le terme « électricité » n'est pas
à proprement parler une notion juridique. II est utilisé dans des
domaines divers ayant un fort lien avec la technique ; l'informatique,
l'économie, la physique et a fini par s'imposer dans le jargon
juridique. C'est ainsi que la notion est utilisée en relation avec le
service public par le législateur camerounais. Techniquement,
l'électricité désigne selon l'encyclopédie
français « l'une des manifestations physiques de
l'électromagnétique par déplacement des particules
17 CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion
juridique de service public », op cit., pp.137-161
18 V. CONSEIL D'ETAT, Réflexions sur
l'intérêt général, Rapport public 1999, EDCE,
n°50, Paris, La Documentation française, spéc., p.272 ;
PILCZER (J. -S.), « La notion de service public », Information
sociale, n°158, 2010/2, pp.6-9.
19 CHEVALLIER (J.), « Essai sur la notion
juridique de service public », op cit., pp.137-161
6
chargées 20» une
définition qui semble éloignée de celle du
législateur camerounais de la notion d'électricité .
D'après lui, est considéré comme
électricité toute « énergie
générée à partir des sources primaires (cours
d'eau, lacs ou marées), des matières premières
minérales (charbon, pétrole, substances nucléaires,
sources géothermiques ou autres, ou des sources d'énergie
renouvelables (rayonnement solaire, vent, biomasse, etc.21.
»
La rencontre les notions de service public et
d'électricité rende compte de l'étendue des
activités de satisfaction de l'intérêt
général et de la distinction entre le service public
administratif et le service public industriel et commercial .en effet, le
service public , définie comme « une activité
d'intérêt général exercée par une personne
publique ou sous le contrôle d'une personne publique et suivant un
régime dérogatoire au droit commun »22
implique que la séparation entre service public administratif et service
public commercial prend comme critère l'activité
visée23 il s'agit dans le premier de
l'organisation du service de l'Etat éventuellement par le
création d'une personne morale de droit public lorsqu'il s'agit d'une
décentralisation par service et mis en place d'un établissement
public à caractère administratif , tandis que le service public
appelle le qualificatif industriel et commercial lorsque , dans un but
d'intérêt général, la personne qui en a la charge
exerce une activité habituellement susceptible d'être
exercée par des entreprises privées , et normalement dans les
mêmes conditions qu'elles24 c'est dans cette catégorie
que se situe le service public de l'électricité dont
l'étude fait l'objet de nous recherches.
En somme, il faudra entendre par service public de
l'électricité « toute activité de production, de
transport, de distribution, d'exportation ou d'importation d'énergie
électrique, de stockage d'eau en vue de la production non
destinée à l'usage exclusif de
20 Extrait de texte du
Wiktionnaire
21 Art. 5 de la loi n°2011/022 du 14
décembre 2011, régissant le secteur de
l'électricité au Cameroun.
22 De Laubadere, J-CI, venezia, Y Gaudemet,
traité De droit administratif ,11 Ed. LGDJ, t.1 p.683
23 FRISON-ROCHE Marie-Anne, le service public
marchand
24 J M, Auby et J B Auby, institutions
administratives,6 Ed, Dalloz, p.49, N°1108
7
l'opérateur concerné.
»25 c'est ce que le professeur Marie-Anne Frison-roche
qualifie de service public marchand26
3- La notion de droit camerounais
Le cadre matériel de l`étude tourne autour du
vocable droit camerounais, une expression qui permet de mettre en avant la
thèse de l`autonomie du droit camerounais, en particulier, celle du
droit administratif. Le droit administratif convient-il de le rappeler, est
introduit au Cameroun à la faveur de la colonisation franco-britannique,
du moins pour ce qui est du Cameroun sous domination
française27. A la veille de l`indépendance, il y`a
forcément des interrogations sur l`attitude que les Etats africains
adopteraient en matière de production législative28 et
une fois l`indépendance acquise, le problème de la transition
juridique29 se pose pour les nouveaux Etats. Il leur est
imposé de choisir entre le maintien, le rejet ou la réforme du
système de droit légué par l`ancien colonisateur. Toujours
est -il que la production normative des nouveaux Etats devait prendre un
nouveau départ et recevoir une nouvelle impulsion30. Et c`est
face à cette réalité que s`est posé le
problème de l`originalité des droits africains et celui du
mimétisme juridique en Afrique.
La controverse oppose la thèse du mimétisme
à celle de l`originalité des droits africains. La première
tendance est constituée des auteurs31 qui défendent la
théorie du mimétisme intégral, et ceux qui
défendent la thèse du mimétisme partiel. Pour ceux-ci,
25 25 Art. 5 de la loi n°2011/022 du 14 décembre
2011, régissant le secteur de l'électricité au Cameroun
26 FRISON-ROCHE Marie-Anne, libre propos sur le
service public marchand, RJDA, Ed Francis Lefebvre, p 847-848
27 ENGOUTOU (Jean. Luc), la Cour
fédérale de justice au droit administratif. Thèse de
doctorat Ph.d en droit public, Université de Yaoundé 2, 2010,
p.17
28 Idem
29 Idem
30 WODIE (François.), « La
législation », in Encyclopédie Juridique de l'Afrique,
l'Etat et le droit, Tome 1, NEA, 1982, p.307
31 Il s`agit entre autres de : ACOUETEY MEZAN, in
le contrôle juridictionnel de l'administration en Afrique noire
francophone, Th. de Droit, Nancy II, 1974, p.250 ; GONIDEC
(Pierre-François.), Les droits africains. Evolution et sources, LGDJ, 2e
éd. Paris, 1976 ; BOCKEL (Alain.), sur la difficile gestation d'un droit
administratif Sénégalais, Annales Africaines, 1973 ; BADARA FALL
(Alioum). La responsabilité extra contractuelle de la puissance publique
au Sénégal : Essai de transposition des règles de droit
administratif français dans un pays d'Afrique noire francophone,
Thèse de Droit, Bordeaux I, 1993 cités par ONDOA (Magloire),
« Le droit administratif français en Afrique francophone.
Contribution à l`étude de la réception des droits
étrangers en droit interne », RJPIC, Sept -Déc., 2002,
p.290.
8
le juge administratif camerounais se souviendrait ainsi de ses
origines françaises et tenterait parallèlement « une
acclimatation tropicale » de certaines solutions par «
déviation par rapport au modèle référentiel »
ou par « effort d`innovation jurisprudentielle
»32. Il procéderait en outre à des «
emprunts sélectifs »33. Ces derniers mettent en avant
deux idées majeures, la thèse assimilationniste34 de
l`époque coloniale qui fut remplacée au profit de celle de la
reconduction pour justifier l`applicabilité du droit français en
Afrique.
La seconde tendance qui est celle de l`autonomie des droits
africains, défend l`idée selon laquelle tout le droit
administratif français n`était pas automatiquement applicable au
Cameroun avant et après les indépendances. La seule existence du
principe de la spécialité législative permet de soutenir
une telle affirmation. La règle de la spécialité
législative, est « un principe bien assuré suivant lequel
les lois ne saisissent les territoires d`outre-mer que si elles ont
été faites précisément en vue de les régir
ou si elles leur ont été étendues par une disposition
spéciale contenue soit dans la loi elle-même, soit dans un
décret (...) »35. Elle écarte «
l`application de plein droit des lois prises dans la métropole
»36 et s`oppose de ce point de vue à l`application
automatique de la législation édictée par l`Etat
colonisateur au territoire. Introduite dans le droit colonial par une lettre du
Roi datée du 26 octobre 1774 et adressée aux présidents
des Conseils supérieurs de Saint-Domingue, ce principe sera même
consolidé par le juge administratif camerounais. C`est ainsi que le
Conseil du Contentieux Administratif du Cameroun emboîtera le pas
à la législation française en déclarant que :
« Considérant en droit, qu`en vertu du principe
général de la spécialité législative,
consacrée par l`article 72 de la loi constitutionnelle, les lois et
règlements ne sont applicables dans les territoires d`outre-mer ou dans
les territoires sous tutelle, que s`ils ont été
déclarés tels soit par une disposition expresse du texte
lui-même, soit par une loi postérieure ou un décret
spécial
32 KAMTO (Maurice), « La fonction
administrative contentieuse de la Cour Suprême du Cameroun » in les
Cours suprêmes en Afrique, Economica, Paris 1988, p.52
33 BIPOUN- WOUM (Joseph Marie), « Recherches
sur les aspects actuels de la réception du droit administratif dans les
Etats d`Afrique noire d`expression française : le cas du Cameroun »
RJPIC, 1972, n°3, p..368.
34 ENGOUTOU (Jean Louis), L`apport de la Cour
fédérale de justice au droit administratif. Op.cit. p.19
35 LAMPUE (P.), « Les lois applicables dans les
territoires d`outre-mer », Penant, 1950, p.1.
36 ROUSSILON (CL.), Le régime
législatif de la France d'Outre-mer, Bibliothèque Juridique de
l`Union Française, Ed de l`Union Française, Paris 1958 P.39
cité par ONDOA (Magloire), « le droit administratif français
en Afrique francophone. Contribution à l`étude de la
réception des droits étrangers en droit interne » op. cit.
p.295.
9
d`application »37. Il en ressort que le droit
administratif français n`était pas automatiquement applicable en
droit camerounais.
Le phénomène est amplifié par les
divergences des fondements théoriques qui séparent les
systèmes juridiques français et africains. En effet,
évoquer les fondements théoriques d`un système juridique
ou d`une règle de droit, c`est présenter les idées qui les
sous-tendent et qui les justifient tout en assurant leur cohérence
interne38. En France, on sait que le droit administratif s`est
construit autour de la recherche d`un équilibre entre les
nécessités de l`action administrative et les droits des
citoyens39. Plus qu`une technique de soumission de l`administration
au droit, le droit administratif camerounais apparaît comme un instrument
de légitimation de l`action administrative40. Bien plus,
l`idéologie de la construction nationale appelle autoritarisme et la
mise sur pied d`un Etat fort, peu soucieux du respect des libertés
individuelles. Sur la base de la spécialité législative et
du fondement du droit camerounais, on peut donc valablement parler du droit
camerounais en le définissant comme le droit
sécrété par les autorités camerounaises sur la base
des réalités camerounaises et applicable au Cameroun.
La clarification des concepts ainsi faites, place à
présent à la délimitation du cadre d'étude.
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