La responsabilité financière des gestionnaires publics au beninpar Faustin SOGADJI Université d'Abomey-Calavi - Master 2 Droit Public Fondamental 2023 |
A. L'existence du préjudice financierLe préjudice financier est généralement considéré comme une perte affectant le patrimoine. L'atteinte au patrimoine de l'organisme public n'est seulement pas considérée comme le seul manquement dans la caisse123(*). C'est ce qu'explique FlorentCAMUS-GAULLIER en affirmant que : «?Le préjudice n'est pas appréhendé globalement comme une atteinte générale aux finances publiques ayant des conséquences sur une caisse publique particulière, mais plutôt comme une atteinte à l'intérêt financier d'une caisse en particulier?»124(*). Cet intérêt financier doit pouvoir être économique ou évaluable en argent. C'est ce que souligne Stéphanie DAMAREY : «?Le dommage causé doit être effectif, économiquement évaluable et individualisé?»125(*). L'effectivité du préjudice s'inscrit dans la logique de la responsabilité civile en droit commun : le dommage doit être certain, actuel126(*)évaluable en argent. Dans une autre hypothèse, devant le juge répressif127(*), le préjudice financier ne s'apprécie pas parce qu'il y a manquant, mais parce qu'il y a irrégularité128(*). Dans cette hypothèse, c'est une amende qui est prononcée. L'appréciation d'existence d'un préjudice revient au juge financier, car les textes ne donnent pas une définition claire du préjudice financier. On peut lire d'une part qu' «?un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, entraînant un préjudice financier pour l'État, ou tout autre organisme public?»129(*)et d'autre part «?le débet est obligatoire pour un comptable public de réparer sur ses deniers propres, le préjudice qu'il a causé à la collectivité publique?»130(*). La LOLF n'a pas fait une clarification du concept«?préjudice financier?». L'étude des typologies du préjudice financier serait l'occasion d'apporter plus de détails sur la définition. B. Typologie des préjudices financiersLe préjudice financier varie selon que nous sommes devant le juge des comptes ou devant le juge pénal. Devant le juge des comptes, l'appréciation du préjudice financier peut être traitée dans deux volets131(*) à savoir : les préjudices en dépenses et les préjudices en recettes. D'abord en recettes, les professeurs DAMAREY, LASCOMBE ET VANDENDRIESSCHE relèvent que «?par nature, les hypothèses au terme desquelles le défaut d'encaissement d'une recette ne crée pas de préjudice à l'organisme public sont rares?»132(*).Il est de principe que le non-encaissement d'une créance cause un préjudice financier à l'organisme concerné133(*). Toutefois, il est nécessaire d'établir un lien de causalité entre la faute du comptable et le préjudice134(*). Il s'agit ici de rechercher le manquement aux obligations du gestionnaire afin de mettre à sa charge le préjudice financier. Ces manquements peuvent être observés dans plusieurs cas par exemple : «?L'inaction ou l'insuffisance des actions du comptable ou gestionnaire a sérieusement compromis le recouvrement de la créance dont la prescription a été acquise alors qu'aucune preuve n'atteste de son irrécouvrable au moment du manquement?»135(*). Ensuite, en dépenses, Florent GAULLIER-CAMUS affirme qu'il est difficile d'apprécier le caractère indu de la dépense. Le professeur VANDENDRIESSCHE fait une démonstration à partir de deux arrêts de la Cour des comptes française. Il distingue trois hypothèses selon la mise en oeuvre d'une échelle des irrégularités commises136(*). En premier lieu, «?les vices substantiels relevant des cas où le manquement crée un préjudice financier (sauf circonstances particulières), en second lieu, violation des règles qualifiées de formelles révélant une absence de préjudice par nature et en troisième lieu, restent les autres hypothèses indéterminées?»137(*). Nous soulignons que les mêmes situations de responsabilité s'appliquent aux ordonnateurs lorsque ces derniers commettent des violations de règles d'exécution des recettes et des dépenses. C'est ce que démontre Stéphane THEBAULT dans sa thèse. Il montre en effet que «?les ordonnateurs sont directement exposés aux sanctions prononcées pour défaut de contrôle financier, dissimulation du dépassement de crédit par imputations irrégulières des dépenses, absence de compétence, et pour violation des règles d'exécution des recettes et des dépenses qui, non seulement dépassent la seule catégorie des ordonnateurs, mais qui, en outre, font objet d'une interprétation large?»138(*). Le préjudice financier serait autrement apprécié devant le juge de répression. L'appréciation du préjudice financier devant le juge répressif ne serait pas perçue comme une perte d'argent dans la caisse de l'organisme public concerné, mais comme une atteinte à «?l'ordre public financier?». Nous allons nous référer ici à l'ordre public tel qu'employé en droit public et plus particulièrement en contentieux administratif, où la notion de moyen d'ordre public est une référence essentielle pour le juge administratif y compris le juge des comptes139(*). Il s'agit précisément ici de la dimension financière de l'ordre public général au sens, par exemple, du maintien de l'ordre et de la répression de la délinquance financière140(*) en droit public financier. C'est ce que souligne Frank Mordacq quand il affirme que«?les ordonnateurs sont jugés en cas d'infraction à l'ordre public financier?»141(*). Le juge ne réprime pas ici parce qu'il y a manquant dans la caisse, mais parce que l'intérêt financier est atteint par la violation de l'ordre public financier. Au vu de tout ce qui précède, le préjudice financier a une place conséquente dans la mise en oeuvre de la responsabilité financière. Paragraphe 2 : La place conséquente du préjudice financierLa responsabilité financière repose sur le préjudice financier qui peut varier142(*). La variation montre que la responsabilité financière est organisée de manière à adapter le préjudice financier devant chaque juge afin d'assainir l'exécution des finances publiques. Le préjudice financier est un élément déterminant (A) de la responsabilité financière malgré les causes d'irresponsabilités (B) qui peuvent exister. * 123 Il peut y avoir manquement sans préjudice financier. L'exemple de l'irrecevabilité de la créance : «?il n'existe pas de préjudice financier imputable au manquement lorsque la preuve est rapportée que la recette en cause était effectivement irrécouvrable?». Stéphanie DAMAREY et Xavier VANDENDRIESSCHE, «?chronique de la jurisprudence financière novembre 2019 à février 2020?», GFP, N° 2-2020, 2020, p. 156. * 124 Florent GAULLIER-CAMUS, op.cit. p. 304. * 125 Stéphanie DAMAREY, «?pouvoir juridictionnel et de sanction des juridictions financières?», approche comparée?», in Gestion et Finances Publiques, n° 6, 2021, p. 45. * 126 Les dommages ou préjudices peuvent dans certains cas être futurs. * 127 Gia ONDZAGHA, «?plaidoyer pour un juge financier, juge unique du contrôle coercitif des finances publiques au Gabon?» in Les nouveaux chantiers de finances publiques en Afrique, Le Harmattan-Sénégal, 2019, p.375. «?Le juge financier juge les personnes et les amendes qu'il prononce ont un caractère répressif au même titre que les amendes infligées au pénal par le juge judiciaire lorsqu'il statue notamment sur la matière financière qu'est le détournement de deniers publics.?» * 128 Xavier VANDENDRIESSCHE, op. cit., p. 123 : en France par exemple, «?la Cour des comptes estime que, dès lors que l'engagement de dépenses est signé par une autorité qui n'est pas l'ordonnateur ou qui n'a pas reçu délégation de celui-ci, le paiement est indu et crée un préjudice?». * 129 Article 98 alinéa 5 de la LOLF. * 130 Article 102 alinéa 4 de la LOLF. * 131 L'exécution du budget public nécessite toujours des opérations en dépenses et en recettes. Les préjudices financiers peuvent s'observer dans l'exécution des opérations de dépense publique ou des recettes publiques. Dans les deux cas, il y a préjudice financier lorsque l'irrégularité commise dans les deux cas affecte le patrimoine public. * 132 Stéphanie DAMAREY et AL, «?Chronique de la jurisprudence financière?», GFP, n°11/12, 2015, p. 141. * 133 Florent GAULLIER-CAMUS, op. cit., p. 310. * 134 Voir supra B) le lien causalité * 135 Florent GAULIER-CAMUS, op. cit., p. 311 * 136 Xavier VANDENDRIESSCHE, op.cit., p. 121 * 137 Ibid. * 138 Stéphane THEBAULT, l'ordonnateur en droit public financier, LGDJ, 2007, p. 298. * 139 Jean-Philippe VACHIA, «?l'ordre public financier?», in Archive de philosophie du droit, Dalloz, 2015, p. 85. * 140 Ibid. * 141 Frank MORDACQ, les Finances publiques, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 2021, p. 109. * 142 Voir supra les typologies de préjudices financiers. |
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