La responsabilité financière des gestionnaires publics au beninpar Faustin SOGADJI Université d'Abomey-Calavi - Master 2 Droit Public Fondamental 2023 |
DEUXIEME PARTIE : UNE RESPONSABILITE FINANCIERE A L'EPREUVE DE LA PRATIQUED'une part, la mise en oeuvre de la responsabilité financière au Bénin est assurée par la responsabilisation211(*) des ordonnateurs découlant du principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables. Cette séparation des gestionnaires publics connaît des limites (CHAPITRE 1). D'autre part, la mise en oeuvre de la responsabilité par les juridictions212(*) est confrontée à une incontestable inefficacité(CHAPITRE 2). Chapitre 1 : Les limites de la séparation des gestionnaires publicsLa responsabilité financière implique avant tout que chaque agent sache ce qu'il doit faire et comment il doit le faire. Ce n'est qu'à défaut d'observation de ses obligations qu'il serait amené à répondre des irrégularités. C'est pourquoi Chaba DAWIDdisait que «?Pour exercer le rôle d'agent de l'État, il faut accepter une certaine responsabilité. Cela vient du fait que les fonctionnaires assument diverses tâches d'une grande importance tant pour l'État que pour les citoyens. Ces tâches doivent être accomplies de manière professionnelle, intègre et légale. Lorsque ce n'est pas le cas, il est essentiel de pouvoir demander des comptes aux fonctionnaires et de les traduire en justice»213(*). Nous constatons le chevauchement des fonctions (section1) et collaboration (section2) des gestionnaires publics montrant ainsi les limites du principe de la séparation des gestionnaires publics. Section 1 : Le chevauchement des fonctions des gestionnaires publicsLe principe de la séparation des gestionnaires publics dans la chaîne d'exécution des finances publiques a été, est et restera un principe juridiquement consacré (Paragraphe 1) avec ses fondements et implications. Toutefois, il faut souligner que sa portée est limitée(Paragraphe2) conduisant à une certaine forme de chevauchement des fonctions des gestionnaires. Paragraphe 1 : La séparation des gestionnaires publics consacréeL'organisation d'exécution des finances publiques au Bénin est dominée par le principe sacro-saint de «?la séparation des gestionnaires publics?». Ce principe se trouve consacré dans le nouveau cadre harmonisé des finances publiques dans la zone UEMOA et transposé dans l'ordre interne par des textes principalement parla LOLF et le règlement généralsur la comptabilité publique214(*). Il est clair que l'organisation des finances publiques autour de ce principe de séparation des gestionnaires publics se trouve justifiée par certains fondements(A) impliquant de faire une distinction entre l'ordonnateur et le comptable (B). A. Les fondements de la séparation des gestionnaires publicsLa séparation des acteurs de la chaîne d'exécution des finances est un principe fondamental de gestion publique215(*) bien que son caractère fondamental fait objet de critique216(*). Ce principe consacré à l'article 67 de la LOLF nomme deux acteurs de gestion des fonds publics que sont les ordonnateurs et les comptables217(*). La LOLF ajoute que ces deux fonctions sont incompatibles218(*). Cette séparation permet de garantir la transparence et de situer de la responsabilité de chaque acteur219(*). C'est dans cette optique que les États220(*) de l'UEMOA ont décidé d'établir un code de transparence afin «?d'instaurer dans l'Union des règles permettant une gestion transparente et rigoureuse des finances publiques, en vue de conforter la croissance économique221(*)?». Ainsi, la séparation des gestionnaires publics jouit d'une consécration juridique qu'on peut retrouver dans plusieurs textes combinés. Il s'agit de la locomotive222(*) des directives223(*) de l'UEMOA transposée par des décrets dans l'ordre juridique béninois, «?Principe cardinal de notre droit public?», disait Christian MICHAUT pour reprendre l'expression heureuse des professeurs LASCOMBE et VANDENDRIESSCHE224(*). «?Historiquement, ce principe eut pour but de mettre un terme aux nombreux détournements de fonds, dont, pendant longtemps, se rendirent coupables des agents publics?»225(*).Dans le même sens «?la séparation des fonctions entre ordonnateur et comptable a été le résultat de la méfiance du pouvoir législatif à l'égard de tous ceux qui étaient appelés à gérer ces fonds?»226(*). Aujourd'hui le principe s'inscrit dans le même objectif avec des avancés comme «?un motif technique : de division du travail entre deux catégories d'agents permettant une meilleure exécution.?»227(*) Dans l'espace ouest-africain francophone, le professeur Nicaise MEDEajoute la facilitation du contrôle228(*). Cette évolution du principe de séparation des gestionnaires a permis aujourd'hui de parler de ce que nous appelons la «?responsabilisation?»229(*) des agents publics. Le professeur Jean-Bernard MATTRETdisait que «?pour justifier le principe de la séparation des ordonnateurs, trois raisons peuvent être avancées : le contrôle mutuel, la division du travail et l'unité d'action financière.?» Le professeur François LABIEajoute que«?c'est une règle juridique munie de sanctions.?» Ainsi, la séparation des gestionnaires est un corollaire de la responsabilité financière. On peut donc conclure que la responsabilité financière permet d'organiser les fonctions des gestionnaires publics et d'en assurer le respect par les sanctions qui peuvent découler de son inobservation. C'est justement dans ce cadre que «?l'ordonnateur qui, sans titre légal, a détenu ou manié les deniers qui devraient être encaissés et conservés par un comptable public, pourra être déclaré comptable de fait par la juridiction financière, à raison de cette gestion occulte?»230(*). Il en est de même pour les comptables qui encourent des sanctions personnelles et pécuniaires pour les irrégularités commises dans leurs fonctions causant un préjudice financier231(*). Il faut noter qu'au Benin, les deux agents peuvent encourir des sanctions pénales232(*). Étant donné que la séparation des gestionnaires est bien-fondé, il est alors fondamental de bien pouvoir faire une distinction entre les ordonnateurs et les comptables. * 211 Nicaise MEDE, op. cit., p. 13. * 212 Les juridictions qui connaissent des affaires de la responsabilité financière au Benin sont la Cour des comptes et la CRIET. La haute cour de justice n'est qu'une juridiction virtuelle en ce sens qu'elle n'a jamais connu une affaire qui a abouti. * 213 CHABA DAWID, op. cit., p. 177. * 214 Décret n° 2014-571 du 7 octobre 2014 portant règlement général sur la comptabilité publique au Bénin. * 215 Jean BASSERES et Al, op. cit. , p. 21 * 216 Christian MICHAUT, « Pavane pour un principe d'avenir : Actualité de la séparation entre l'ordonnateur et le comptable public », in AJDA, 2019 p. 1382. * 217 Article 67 de la LOLF. * 218 Article 68 de la LOLF. * 219 Point 5.3 du Directive n° 02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant code de transparence : «?Les responsabilités de chacun des acteurs concernés, et leurs modalités de contrôle et de sanctions, négatives ou positives, sont formellement explicitées?». * 220 Les huit États de l'UEMOA sont : BÉNIN, BURKINA FASO, etc. * 221 Préambule du Directive n° 02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009 portant code de transparence * 222 Maxime B. AKAKPO, op. cit., p. 101. * 223 «?le nouveau cadre harmonisé est constitué en fait d'une directive faîtière, la directive n° 02/2009/CM/UEMOA portant code de transparence dans la gestion des finances publiques au sein de l'UEMOA et sept autres directives qui traitent chacune des aspects techniques auxquels se réfère leur objectif respectif. Ces directives couvrent les volets juridiques, comptables et statistiques.?» * 224 Christian MICHAUT, op. cit. p. 1382. * 225 François LABIE, Finances publiques : les finances des collectivités locales, les éditions CNFTP, 2000, p. 63. * 226 Jean-Bernard MATTRET, Les finances de l'État : préparation au concours : attaché territorial, éditions CNFTP, 2002, p. 162. * 227 François LABIE, op.cit. p. 63. * 228 Nicaise MEDE, Finances publiques : espace UEMOA/UMOA, op. cit., p. 266. * 229 Nicaise MEDE, op. cit., p. 13. * 230 François LABIE, op.cit. p. 64. * 231 Voir chapitre 1, section 2 : le préjudice financier : un élément central. * 232 Article 15 alinéa 2 du Décret n° 2014-571 du 7 octobre 2014 portant règlement général sur la comptabilité publique au Bénin pour ce qui concerne les ordonnateurs par exemple. |
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