Le droit congolais et le regime des poursuites d'un ancien premier ministrepar Gulain KASONGO Université de Likasi (UNILI) - Licence en droit privé et judiciaire 2022 |
CHAPITRE TROISIEME : CONTROVERCE DOCTRINALE ET JURISPRUDENTIELLE SUR LES POURSUITES DES ANCIENS PREMIERS MINISTRESToute personne ou tout congolais mérite d'avoir un juge qui peut l'entendre sur les faits qui lui sont reprochés, ou qu'il reproche à son prochain, et attribuer à ces faits si la personne visée en est auteur ou coupable, les conséquences de droit en appliquant les dispositions légales prévues en la matière, cela dans les conditions et formes prescrites par les lois de la République. C'est dans cette même logique que le constituant de 2006 dit que : « Toute personne a droit en ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent... »175(*). Quel est Le bien-fondé de la détermination de la juridiction compétente de poursuivre un Ancien Premier ministre ? Pour aborder cette question, nous examinons deux sections dans le présent chapitre : la Position jurisprudentielle sur les poursuites des anciens Premiers ministres (section 1), Position doctrinale sur les poursuites des Anciens Premiers Ministre Devant la cour constitutionnelle (section 2). Section 1. Position jurisprudentielleLa détermination de la juridiction compétente pour les anciens Premiers ministres et surtout lorsqu'ils sont poursuivis pour les infractions commises pendant l'exercice de leurs fonctions est une bonne façon pour nous de combler ce qui semble être un vide juridique, dans la mesure où ce silence du législateur, par le fait de la non détermination expresse de ladite juridiction peut être utilisée comme mécanisme ou cause d'impunité des anciens premiers ministres. Illustrons cela avec deux arrêts de la Cour constitutionnelle qui ont divisé la doctrine et qui est d'actualité en RDC, qui est l'affaire mettant en cause le procureur Général près la Cour Constitutionnelle et l'ancien Premier ministre MATATA PONYO dans l'affaire inscrite sous RP 0001 du 15 Novembre 2021 en cause : Ministère public Contre les prévenus : Monsieur MATATA PONYO MAPON Augustin, Monsieur KITEBI KIBOL MVUL Patrice, et Monsieur GROBLER Christo poursuivi comme coauteurs del'infraction de détournement et l'arrêt R. Const. 1816 du 18 novembre 2022 rendu par la Cour constitutionnelle saisie par la Cour de cassation pour l'interprétation de la Constitution. § 1. Arrêt sous RP 0001 du 15 Novembre 2021Dans son arrêt sousRP 0001 du 15 Novembre 2021, la Cour considère que : Pendant la durée de ses fonctions, le Premier ministre ne peut voir sa responsabilité pénale être engagée que devant la Cour Constitutionnelle ; pour tous ses actes, y compris ceux accomplis en dehors de l'exercice de ses fonctions, il bénéficie d'un privilège de juridiction le mettant largement à l'abri, puisse que les particuliers ne peuvent saisir celle-ci. Ce privilège de juridiction prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre, lequel redevient à la fin de son mandat justiciable des Tribunaux ordinaires. Elle précise que l'exigence du principe de la légalité concerne aussi la procédure, ce qui revient à dire que ce principe exige que la procédure pénale à appliquer contre un justiciable devant les juridictions doit être celle expressément prévue par les textes constitutionnels et législatifs en vigueur. De même il n'y a pas de juge ou de juridiction sans loi, ce qui veut dire qu'une personne ne peut être poursuivie que devant une juridiction préalablement connue dans un texte de loi. Il s'agit là d'un principe constitutionnellement garanti par l'article 17 alinéa 2 de la constitution176(*).En l'espèce, la Cour constate qu'il ressort des éléments du dossier que le prévenu MATATA PONYO MAPON Augustin a été premier ministre de 2012 à 2016 ; qu'à ce jour, il n'exerce plus lesdites fonctions. Elle relève que la compétence juridictionnelle étant d'attribution, le prévenu MATATA PONYO MAPON Augustin, qui a cessé d'être premier ministre en fonction au moment où les poursuites contre lui sont engagées doit être poursuivi devant son juge naturel, de sorte que, autrement, il serait soustrait du juge que la constitution et les lois lui assignent, et ce en violation de l'article 19 alinéa 1 de la constitution177(*). La Cour s'écarte ainsi de l'approche des juridictions de l'ordre judiciaire, pour qui pareil privilège doit être maintenu dès lors qu'il s'agit d'un acte de la fonction même lorsque l'auteur ne l'exerce plus. Cette différence d'approches entre la Cour constitutionnelle et les juridictions de l'ordre judiciaire ouvre la voie à une tour de Babel judiciaire susceptible de conduire à un conflit négatif de compétence et à une impunité des crimes dont serait suspecté un ancien PM lorsqu'il était en fonction. En considération de la position de la Cour constitutionnelle, il ressort de l'arrêt sus-évoqué178(*) qu'en ce qui concerne le Premier Ministre et les anciens Premiers ministres, leur privilège ne s'apprécie qu'au moment des poursuites, ce qui veut dire que ces derniers doivent être couverts des privilèges, ou doivent être en fonctions au moment des poursuites pour que les privilèges jouent leurs rôles pour faire d'eux des justiciables de la Cour Constitutionnelle. Et qu'en cas de perte de la qualité de Premier ministre, ou à l'expiration des fonctions de premier ministre, la Cour dit que le privilège suit le sort des fonctions, ce qui nous renvoie à notre affirmation selon laquelle, seule la juridiction du nouveau statut de l'ancien Premier ministre sera compétente ; d'où le bien-fondé de la détermination de la juridiction compétente. * 175 Article 19 de la constitution du 18 février 2006. * 176 Article 17 alinéa 2 de la Constitution du 18 Février 2006. * 177 Cc. Arrêt sous RP 0001 du 15 Novembre 2021 en cause Ministère public, contre le prévenu MATATA PONYO MAPON Augustin et consort, 14e et 15e Feuillets. * 178 Cc. Arrêt sous RP 0001 du 15 Novembre 2021. |
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