Le droit congolais et le regime des poursuites d'un ancien premier ministrepar Gulain KASONGO Université de Likasi (UNILI) - Licence en droit privé et judiciaire 2022 |
Section 4. Du juge pénal des anciens Premiers ministres en droit pénal congolaisa. Procédure Sous l'angle de la compétence personnelle. Pour aborder cette problématique analysons les articles clés qui font référence au juge naturel d'un (Président de la République) et du Premier ministre en fonction. D'abord l'article 163 de la constitution de la RDC dispose : « La Cour constitutionnelle est la juridiction pénale du Chef de l'Etat et du Premier ministre dans les cas et conditions prévus par la Constitution ». Il en résulte que ce texte n'est pas complet, car il nous renvoie aux conditions prévues dans la même constitution. Et donc il démontre clairement qu'il est incomplet et attend se voir compléter par une autre disposition constitutionnelle, en désignant « dans les cas et conditions prévus par la constitution », il renvoi nettement dans la suite d'autres dispositions constitutionnelles pour se faire comprendre, dont notamment l'article 164. En suite l'article 164 de la constitution RD Congolaise dispose : « La Cour constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices »152(*). Ce texte insinue que la Cour Constitutionnelle est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre en ajoutant que pour des infractions commises « dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions », cela veut dire que le constituant détermine avec fermette une notion d'infraction commises à l'occasion de la fonction qu'exerce son auteur, et cette fonction est soit celle du Président de la République ou Premier ministre. Et l'article 167 de la Constitution à son alinéa 2 il est dit : Pour les infractions commises en dehors de l'exercice de leurs fonctions, les poursuites contre le Président de la République et le Premier ministre sont suspendues jusqu'à l'expiration de leurs mandats. Pendant ce temps, la prescription est suspendue153(*). Faisant la combinaison de ces trois articles, il sied de préciser que le constituant, d'abord fait une omission volontaire en ne signalant pas qu'il s'agit ici d'un Président ou d'un Premier ministre « en fonction » ou pas, ensuite le constituant fait une part de choses pour les infractions commises « dans l'exercice de leurs fonctions » mais aussi « en dehors de l'exercice de leurs fonctions » pourquoi ? Et enfin le constituant ne détermine pas le temps des poursuites pour les infractions commises « à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions ». Ceci renvoie à la problématique qui concerne l'application du principe de privilège des juridictions. C'est à dire exactement à quel moment se détermine le privilège de juridiction ? Au moment de la commission de l'infraction ou au moment des poursuites ? Pour répondre à toutes ces questions deux théories s'imposent à nous notamment : La première s'appelle système juridique classique, là-dessus, deux conditions se posent pour que le privilège joue : 1. Qu'on garde la qualité justifiant le privilège de juridiction au moment où l'on commet l'infraction ; 2. Qu'on garde la qualité justifiant le
privilège au moment où l'on comparait ; Cependant, notre système juridique congolais est à l'opposition de cette conception classique, il a adopté une autre position contraire qui veut qu' : 1. On est revêtu de la qualité justifiant le privilège au moment où l'on commet l'infraction ; 2. On a la qualité au moment de la comparution. Donc, dans le système pénal congolais, les deux conditions ne sont pas cumulatives. La question de droit est celle de savoir quand est ce qu'il faut retenir la qualité de l'agent infracteur ? Au moment de la commission ou au moment des poursuites ? Il faut le préciser ici que le système congolais laisse le choix au juge d'apprécier cela une fois saisi de l'affaire. Mais pour la raison, le bon sens et l'intérêt supérieur de la justice le juge devait opter pour la première conception qui est celle de retenir la qualité de l'agent infracteur au moment de la commission des faits. En effet, il existe des innombrables hypothèses où la qualité qu'avait le prévenu au moment de la commission des faits infractionnels et qui justifiait la compétence d'un juge. On peut donner quelques exemples : · Un enfant de 17 ans a commis un manquement qualifié de meurtre en 2021 et deux ans plus tard lorsqu'on découvre les preuves, le concerné a déjà 19 ans ; quelle juridiction sera compétente pour connaitre de ces faits : est-ce le juge pour enfant qui devrait être compétent en raison de son âge au moment de la commission des faits ou le TGI (juge des personnes majeures) en raison du fait qu'au moment des poursuites, le concerné est déjà majeur d'âge ? · Un capitaine des FARDC a commis un assassinat en 2015 mais les faits sont découverts et poursuivis en 2022 alors qu'il avait déjà le grade de colonel, quel juge sera compétent pour le juger : est-ce le tribunal militaire de garnison en raison de son grade au moment de la commission des faits ou la cour militaire en considérant son grade au moment des poursuites ? Il y a là une question générale de droit qui n'a pas encore une réponse générale et de principe en droit congolais. En effet, en rapport avec le deuxième exemple ci-haut cité, l'article 104 du code judiciaire militaire préconise les deux solutions à la fois lesquelles sont laissées à l'appréciation du juge. Celui-ci peut considérer que sa juridiction est compétente eu égard au grade du prévenu au moment de la commission des faits ou à au grade du prévenu au moment de sa comparution. Cet article dispose que « la compétence personnelle des juridictions militaires est déterminée par la qualité et le grade que porte le justiciable au moment de la commission des faits incriminés ou au moment de sa comparution ». Quant à la détermination de la compétence du juge pour enfant, l'article 98 de la loi sur la protection de l'enfant semble recommander en ce qui concerne la détermination de la compétence du tribunal pour enfant, la considération de l'âge de l'enfant au moment de la commission des faits. Cet article dispose que « Est pris en considération, l'âge au moment de la commission des faits »154(*). S'interrogeant autour de la question de la compétence de la Cour Constitutionnelle de pouvoir juger un ancien Premier Ministre, le Club des jeunes constitutionnalistes congolais avait organisé une conférence-débat autour de ces deux arrêts et les idées étaient divergents. C'est le cas de TshinyamNzav Elisée155(*) qui a construit sa réflexion lors d'un débat sur l'affaire de MATATA PONYO Premier Ministre honoraire ; en construisant son raisonnement autour d'un questionnement : « Procès Matata : quelles questions ? Quelles réponses ? Et quelle conclusion »? L'orateur a soulevé un certain nombre de préoccupations formulées ci-dessous. Quelle est la juridiction compétente censée juger le Premier ministre honoraire ? Y a-t-il un vide juridique ? Est-ce sur pied de l'article 99,la Cour constitutionnelle pouvait-elle se déclarer compétente ? Entre la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation qui ne comprend pas le langage de l'autre ? Y a-t-il eu un revirement jurisprudentiel ? Quel est le moment d'appréciation du privilège de juridiction en droit congolais : est-ce au moment de la commission des faits ou au moment des poursuites ? Ne pouvant répondre à toutes ces questions, Elisée NZAV s'est focalisé sur certaines d'entre elles. A propos de l'existence d'un vide juridique concernant le statut pénal d'un Premier ministre honoraire, l'orateur observe que la réponse est mitigée dans la mesure où deux opinions émergent. La première, que l'orateur qualifie « d'attentiste », prône l'adoption d'une loi pour combler ce vide juridique. La deuxième, appelée « non attentiste », estime que la Cour constitutionnelle est compétente pour juger l'ancien Premier ministre en se fondant sur un arrêt de la Cour suprême de justice rendu en 1981 qui détermine le moment de la commission des faits comme étant celui d'appréciation du privilège de juridiction. Toutefois, à la lumière des arrêts subséquents (1986, 2009), l'orateur est d'avis que cette jurisprudence n'est pas cristallisée. La Cour constitutionnelle avait la possibilité de se référer soit à la qualité au moment des faits ou celle au moment des poursuites. Dans son arrêt RP 001, c'est la qualité au moment des poursuites qui aurait été déterminante. En se déclarant compétente dans l'arrêt du 18 novembre 2022, Elisée NZAV s'interroge sur quelle base la Cour constitutionnelle pourrait rejuger Matata, sans heurter les principes sacro-saints du droit156(*). Cependant, siégeant en matière d'interprétation de la constitution dans son Arrêt157(*)sous R. Const.1816 du 18 Novembre 2022 la Cour Constitutionnelle renseigne qu'elle détient une liberté, quitte à user des méthodes juridiques pour atteindre son but, dans cette logique de liberté interprétative, soutient-elle qu'elle peut revenir sur ce qu'elle avait déjà arrêté pour prendre une position contraire à celle qu'elle avait prise auparavant. Il s'agit là d'un « revirement », qui est une possibilité d'autocorrection reconnue à tout juge, face à des nouveaux arguments ou à des conséquences inattendues de ses décisions, de le modifier car son maintien serait de nature à pétrifier le système juridique et provoquer des injustices inacceptables. Elle note ainsi que le revirement jurisprudentiel constitue un mécanisme rejetant le précédent obligatoire des décisions du juge constitutionnel en particulier conformément à la logique des systèmes romano-germaniques, évitant ainsi de le rendre prisonnier de sa propre jurisprudence158(*). Or, le revirement de jurisprudence peut se définir comme étant « l'abandon par les Cours et Tribunaux eux-mêmes, d'une solution qu'ils avaient jusqu'à lors admise, l'adoption d'une solution contraire à celle qu'ils consacraient ou le renversement de tendance dans la manière de juger »159(*). Il s'ensuit que cet abandon d'une solution jusque-là admise, ne peut s'opérer que dans d'autres cas présentant certaines similarités, par exclusion à toute refonte d'une décision antérieure irrévocable. A notre connaissance le fait pour la Cour soutenir son argumentaire de revirement dans le cas Matata est une aberration.La Cour soutient que, le constituant situe le moment de la commission de ces faits, C'est-à-dire pendant que l'on exerce la fonction de (Président de la République) ou de Premier ministre, mais ne dit pas à quel moment les poursuites peuvent être exercées contre les Titulaires de ces fonctions, pendant ou après l'exercice desdites fonctions, mais la pour la Cour, les expressions « dans l'exercice de leurs fonctions » et « à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions » ne désignent pas la même réalité. En effet, une infraction commise « dans l'exercice de leurs fonctions » suppose d'abord qu'elle ait été commise par le (Président de la République) ou le Premier Ministre en fonction. Ensuite, il faut que le Président de la République ou le Premier Ministre ait été en train de procéder à l'un des actes de sa fonction, c'est-à-dire dans une situation d'exercice des Fonctions. Et une Infractions commise « à l'occasion de l'exercice des fonctions » suppose qu'elle ait été perpétrée en dehors des fonctions mais en raison des actes professionnels accomplis dans le cadre de la mission :si un lien avec les fonctions est bien exigé, il n'est pas direct. La Cour soutient également que la Constitution du 18 Février 2006 n'organise pas un régime de l'irresponsabilité du Premier Ministre pour les faits cités à l'article 164, et repris par l'article 72 de la loi Organique N°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, elle n'exonère pas non plus tout ancien Premier Ministre pour ces mêmes faits. La Cour renchérit en relevant que, dans le système congolais, la qualité, pour bénéficier du privilège de juridiction, s'apprécie aussi bien au moment de la commission de l'infraction que de celui des poursuites ou de la comparution du prévenu. En cela, le code Judiciaire militaire est éloquent en disposant, en son article 104 ce qui suit : « La compétence personnelle des juridictions militaires est déterminée par la qualité et le grade que porte le justiciable au moment de la commission des faits incriminés ou au moment de sa comparution ». Dans ce texte, il est clair qu'il n'y a aucun moyen donné au prévenu à s'échapper de la justice.Cela veut dire en notre entendement que les privilèges de juridiction sont étudiés devant la juridiction militaire dès le moment de la commission de l'infraction pour juger de la qualité du prévenu déterminant la compétence du Tribunal ou de la Cour transversalement cette disposition les anciens Premiers Ministres Peuvent être poursuivis devant la Cour constitutionnelle Car, le moment de la commission des faits celui-ci (Premier Ministre) était justiciable devant la même juridiction. Un argumentaire donné par la Haute Cour dans son deuxième arrêt, malheureusement que nous ne partageons pas, dans le sens que, sa pouvait être compris si le prévenu avait commis l'infraction en complicité avec les militaires. b. Sous l'angle de la compétence matérielle Elle consiste dans la mesure du pouvoir confié à un Tribunal ou une Cour de connaitre d'une affaire ; elle est relative au partage des prérogatives judiciaires entre différentes espèces de juridictions et porte sur la nature et l'importance des poursuites et les circonstances de fait fixant l'éventuel montant de la peine méritée. Dans l'état actuel de l'évolution de nos institutions juridiques les seuls justiciables de la Cour Constitutionnelle dont les privilèges de juridiction sont aussi garantis par la constitution c'est le statut de Premier ministre et Président de la République qui peuvent dans les conditions prévues par la constitution, être poursuivis devant cette Haute Cour pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions. Ils sont jugés par cette Haute Cour du fait que la réserve de la procédure des infractions commises par eux en tant que Premier ministre ou Président de la République sont sous l'angle de la compétence matérielle reconnue devant la Cour Constitutionnelle, point n'est besoin de citer ici les infractions comme l'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié (Art. 164 Const.). Par ailleurs, l'examen de l'arrêt de la Cour qui subordonne l'application de cette procédure à la seule condition de la compétence personnelle rend de cet arrêt juridiquement vide du droit, car matériellement nous savons tous que la Cour Constitutionnelle est matériellement compétente pour connaitre de la question relative à la qualité de l'agent infracteur (Président de la République) ou Premier ministre pour les raisons invoquées si dessus160(*). Mais qu'en est-il des immunités des poursuites et privilège de juridictions ? * 152 Lire la section deuxième, du deuxième chapitre, de notre présent Travail. * 153 Article 162 alinéa 2 de la Constitution du 18 Février 2006. * 154 Article 98 de la Loi n° 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l'enfant. * 155 Kazadi Mpiana J., « l'affaire Matata ou une tour de Babel juridique en République démocratique du Congo ». Rapport General de la conférence-débat, le Club des jeunes constitutionnalistes congolais, Lubumbashi, 2022, Pp.5-6. * 156 Tshinyam Nzav Elisée, cité Par : Kazadi Mpiana J. « l'affaire Matata ou une tour de Babel juridique en République démocratique du Congo ». Rapport General de la conférence-débat, le Club des jeunes constitutionnalistes congolais, Lubumbashi, 2022, Pp.5-6. * 157 Cc. R. Const. 1816.Arret du 18 Novembre 2022.en cause : ministère public c. : Matata Ponyo Mapon Augustin, Kitebi Kibol Mvul Patrice et Grobler Christo, Inédit.
* 158 Cc. R. Const. 1816.Arret du 18 Novembre 2022.en cause : ministère public c. : Matata Ponyo Mapon Augustin, Kitebi Kibol Mvul Patrice et Grobler Christo, Inédit., huitième feuillet. * 159 G. Cornu, Vocabulaire juridique, P.UF, 8ème éd. P.531. * 160 Lire la section 1, chapitre 2, Point a-d, de notre présent travail. |
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