Le droit congolais et le regime des poursuites d'un ancien premier ministrepar Gulain KASONGO Université de Likasi (UNILI) - Licence en droit privé et judiciaire 2022 |
Section 5 : Problématique des immunités des poursuites et privilège de juridictionsDepuis le réveil du pouvoir judiciaire au cours de l'année 2020 dans la lutte contre la corruption et le détournement des deniers publics en République Démocratique du Congo (RDC), les privilèges de juridiction et les immunités de poursuites sont de plus en plus évoqués par des personnalités mises en cause soit pour retarder soit pour se soustraire des poursuites judiciaires. Pour une grande partie de l'opinion publique, ces deux institutions juridiques constitueraient de sérieux obstacles à la lutte contre l'impunité, considérée pourtant par le Constituant de 2006 comme « l'une des préoccupations majeures ayant présidé à l'organisation des institutions en RDC». § 1 privilège de juridictionsLe privilège de juridiction est généralement défini comme : Un droit, en faveur de certains dignitaires, magistrats ou fonctionnaires, d'être jugés, pour les infractions à la loi pénale qui leur sont reprochées, par une juridiction à laquelle la loi attribue exceptionnellement compétence161(*). Le privilège de juridiction peut s'apprécier au moment de la comparution de la personne poursuivie devant une juridiction ; cela veut dire que la personne poursuivie doit revêtir ou être couverte de la qualité lui accordant des privilèges au moment où elle est poursuivie, au moment de la comparution. Il s'agit du cas d'une personne n'ayant aucune qualité lui accordant des privilèges de juridiction ; tout comme il s'agit également de la personne ayant commis les faits en étant couverte d'immunité ou privilège, et au moment de la poursuite la personne garde encore ses fonctions et bénéficie toujours des privilèges. A ce propos, Gabriel KILALA nous dit : le privilège de juridiction s'apprécie lors de la comparution devant la juridiction de jugement, il importe peu de savoir si au moment de la commission des faits, le prévenu jouissait d'un privilège de juridiction. A l'inverse, si le prévenu perdait sa qualité avant la comparution devant le juge, le privilège de juridiction institué en sa faveur ne pouvait plus joué162(*). Comme on peut le relever, le privilège de juridiction n'est pas synonyme de l'immunité des poursuites. Il s'agit de deux institutions distinctes qui se rapportent à des différentes réalités et sont soumises à des régimes juridiques distincts. Si le privilège de juridiction se rapporte aux règles de compétence personnelle des juridictions pénales ou répressives, l'immunité des poursuites, quant à elle, est liée aux règles de procédure pénale ou des poursuites des auteurs présumés des infractions devant ces juridictions répressives. L'égalité constitutionnelle de tous les congolais devant la loi et à la protection des lois devrait aussi impliquer celle devant toute instance judiciaire163(*). Jusqu'à la veille de l'indépendance, une discrimination de compétences était faite en matière pénale suivant l'appartenance raciale du prévenu. Bien qu'appelée privilège, cette imposition de la juridiction à un justiciable en fonction de sa personne est loin de lui procurer toujours une faveur. Les privilèges visent surtout la protection de la société en invitant que les magistrats de rang inférieur ne soient amenés à assumer des responsabilités excessives en jugeant régressivement des dignitaires dont le rang et le prestige pourraient les influencer164(*). Ainsi donc, nous pouvons dire qu'il y a privilège de juridiction lorsqu'en raison de l'infraction commise, une personne est soustraite aux règles de compétences matérielles et territoriales qui déterminent le Tribunal compétent pour connaitre de cette infraction, pour être assujettie au juge déclaré compétent exclusivement en raison de la personne du délinquant (grade, rang social, fonction). Et les privilèges de juridiction sont ainsi liés à la compétence personnelle du délinquant et sont accordés que par un texte légal ou par des accords internationaux, ils sont conçus tant par les accords internationaux que par le droit interne. En droit judiciaire congolais, les compétences des cours et tribunaux répressifs sont d'attribution, c'est-à-dire elles sont expressément prévues par la Constitution ou par la loi et reconnues à chaque juridiction. En d'autres termes, aucune juridiction ne peut s'octroyer une compétence que le constituant ou le législateur ne lui a pas attribuée expressément. C'est le sens même du droit constitutionnellement garanti à toute personne de ne pas être soustraite ou distraite contre son gré du juge que la loi lui assigne. Telle est même la volonté du Constituant énoncée à l'article 19 de la Constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée à ce jour que : « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent [...]165(*). § 2. Les immunités des poursuitesQu'est-ce qu'une immunité en matière pénale ? Du latin immunitas, -atis, de immunis, exempt) Les immunités sont ainsi définies comme : un Droit de bénéficier d'une dérogation à la loi commune ; privilège. Les immunités empêchent la mise en jeu de la responsabilité pénale (elles font obstacle à l'action publique) ; elles bénéficient à certaines personnes en raison de leurs fonctions ou de leurs liens avec la victime. Elles peuvent être politiques ou diplomatiques, judiciaires ou familiales166(*). Jean Vincent et Raymond Guillien définissent l'immunité comme étant, l'exception, prévue par la loi, interdisant la condamnation d'une personne qui se trouve dans une situation bien déterminée167(*). * 161Symphorien KAPINGA K. NKASHAMA, https://actualite.cd/2022/01/23/privilege-de-juridiction-et-lutte-contre-limpunite-en-republique-democratique-du-congo, consulté le 27 juin 2023. * 162 Gabriel KILALA pene-AMUNA, cité par : Justin TSHIENDA, De la justiciabilité des anciens premiers ministres et de la détermination de la juridiction compétente en droit congolais, https://www.memoireonline.com/06/23/14190/m_De-la-justiciabilite-des-anciens-premiers-ministres-et-de-la-determination-de-la-juridiction-comp34.html, consulté le 26 juillet 2023.* 163 A. Rubbens, Le pouvoir, l'organisation et la compétence judiciaires, Bruxelles, Maison Ferdinand, T1, Larcier,1970, Pp.156 et 230. * 164 A. Rubbens, op cit, P.230. * 165 Article 19, Alinéa 1et 2 de la constitution du 18 Février 2006. * 166 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/immunit%C3%A9/41753, consulté le 10 juillet 2023. * 167 Jean VINCENT et Raymond GUILLIEN, lexique des termes juridiques, 14e éd. Dalloz, 2003, p.306. |
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