Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
Paragraphe 2 : La nécessité d'une interprétation restrictive des clauses par le jugeInterpréter restrictivement, c'est faire une interprétation stricte exclusive de toute extension analogique83(*). Dès lors, l'adoption de cette approche est souhaitable dans le droit de l'OHADA, pour permettre aux juges de protéger davantage les preneurs contre les bailleurs qui chercheraient à se soustraire à certaines de leurs obligations84(*). Face aux clauses transférant les grosses réparations à la charge du preneur, la jurisprudence française fait une interprétation restrictive85(*)en rappelant par exemple que ces clauses ne déchargeaient nullement le bailleur de son obligation de délivrance (A). En outre, elle estime que certains travaux incombant au bailleur par essence ne peuvent faire l'objet d'aménagement (B). A- La survivance de l'obligation de délivrance du bailleur L'obligation de délivrance86(*) est une obligation essentielle du contrat de bail. Elle signifie que le bailleur est tenu de délivrer les locaux en bon état au jour et conditions prévus, et d'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail. Bien qu'elle soit essentielle, elle n'est cependant pas une disposition d'ordre public87(*) comme en France où elle est non négociable88(*). C'est ainsi que la jurisprudence française s'est montrée extrêmement sévère en jugeant que la stipulation selon laquelle le preneur prend les lieux loués dans l'état où ils se trouvent ne déchargeait pas le bailleur de son obligation de délivrance89(*). Toutefois, même si les dispositions de l'article 105 de l'Acteuniforme ne sont pas d'ordre public, le bailleur ne peut s'en exonérer conventionnellement, car l'obligation de délivrance est de l'essence même du contrat90(*). De même, la clause selon laquelle le preneur prend les lieux dans l'état où ils se trouvent sans pouvoir exiger aucune réparation ou aucun aménagement doit faire l'objet d'une interprétation restrictive de telle sorte qu'elle ne puisse décharger le bailleur de son obligation de délivrer les lieux conformément à l'usage auquel ils sont destinés, ou de les maintenir en état de servir à l'usage auquel ils sont destinés91(*). Il est souhaitable que le législateur communautaire adopte l'approche de son homologue français en rendant d'ordre public l'obligation de délivrance du bailleur qui est une obligation fondamentale du contrat de bail. De même, il est fait interdiction au bailleur en droit comparé français, de transférer la charge de certains travaux à son locataire. B- L'impossibilité de transférer la charge de certains travaux En droit comparé français, interdiction est faite au bailleur de mettre à la charge du preneur, les travaux liés à la vétusté ou la force majeure, ainsi que les travaux imposés par l'administration. Dans un arrêt, la Cour de cassation a considéré que les clauses de transfert des travaux ne dégageaient pas le propriétaire ou le bailleur de son obligation de participer aux réparations rendues nécessaires en raison de la vétusté de l'immeuble et qu'il restait tenu des vices structurels de l'immeuble92(*). En outre, la même Cour a jugé dans un autre arrêt, que la clause transférant au preneur la charge des grosses réparations et celles du clos et du couvert devait être interprétée restrictivement et ne pouvait inclure la réfection totale de la toiture d'un bâtiment93(*). Dans la même lancée, la clause selon laquelle le preneur prend les lieux dans l'état où ils se trouvent sans pouvoir exiger du bailleur aucune réparation ou aucun aménagement, doit être inopérante en présence des travaux imposés par l'autorité publique94(*). ****** En définitive, il est constant que dans un contrat de bail, le bailleur met à la disposition du preneur un local moyennant paiement des loyers. Les intérêts quant à ce local sont divergents. Le législateur OHADA a prévu des obligations d'entretien pour les deux parties, entérinant les dispositions du code civil. Chaque partie a désormais des obligations qui lui incombent. Ainsi, les grosses réparations incombent au bailleur ainsi que l'édification complète du local, tandis que les réparations d'entretien incombent au preneur95(*), ce qui traduit à première vue l'idée d'équilibre contractuel. Toutefois, les dispositions mettant les grosses réparations à la charge du bailleur ne sont pas d'ordre public96(*)même s'il est vrai que la disposition selon laquelle le preneur peut se faire autoriser à exécuter les grosses réparations aux dépens du bailleur l'est97(*). Partant, il doit se faire autoriser expressément par le bailleur ou par la juridiction compétente statuant à bref délai. Bien que les obligations liées aux travaux soient réparties légalement, il n'en demeure pas moins que le contrat soit avant tout la chose des parties. C'est sans doute ce qui a poussé le législateur à laisser la marge de liberté aux parties afin qu'elles aménagent leur contrat en insérant des clauses de transfert de réparationsà condition qu'elles soient claires et précises. Toutefois, afin de rétablir la notion d'équilibre entre les parties, la jurisprudence française s'est montrée protectrice en interprétant ces clauses restrictivement. Il est donc souhaitable d'adopter cette approche en droit de l'OHADA. CHAPITRE 2 : LE RÈGLEMENT DES COMPTES ENTRE LES PARTIES Investi par la convention du pouvoir d'exploiter les lieux en « bon père de famille 98(*)», le preneur entreprend souvent des travaux de constructions et d'aménagements sur le local avec autorisation du bailleur. Il arrive souvent également que le preneur réalise les grosses réparations sur autorisation judiciaire ou accord exprès du bailleur soit, parce que le bailleur a été défaillant ou, parce que le contrat met cette obligation expressément à sa charge moyennant compensation en fin de bail99(*).Compte tenu du fait que les grosses réparations réalisées par le preneur en lieu et place du bailleur se font aux dépens de celui-ci, et qu'il demeure finalement le bénéficiaire de la plus-value apportée au local, il se pose nécessairement un problème de règlement des comptes entre les parties. Il convient de préciser cependant que ce ne sont toujours pas toutes les modifications ou transformations qui sont profitables au bailleur, en ce sens que ces travaux modifient la structure du local, imposant désormais des locataires exerçant une activité similaire au précédent preneur. Cette situation est parfois préjudiciable pour le bailleur, en ce sens que cela limite très souvent ses pouvoirs de louer son immeuble à qui il veut. C'est ce qui a poussé le législateur à exiger les autorisations tant de la juridiction compétente et surtout du bailleur pour la réalisation des travaux affectant la structure du local. Toutefois, que les travaux aient été réalisés sur autorisation des personnes requises ou non, il se pose un problème de règlement des comptes tant en cours (Section 1) qu'en fin (Section 2) de bail. * 83 CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri CapitantQuadrige,12è éd., PUF, Paris, 2018, p. 967. * 84MOHO FOPA (E. A.), L'ordre public en droit commercial de l'OHADA, thèse de Doctorat, Université de Dschang, 2014, p. 56. * 85 Cass. Civ., 3è, 19 déc. 2000, AJDI, 2001, p. 421, obs. BEAUGENDRE (S.) ; * 86L'obligation de délivrance est prévue à l'article 105 de l'Acte uniforme. * 87 V. Art. 134 du nouvel Acte Uniforme. S'agissant de l'obligation de délivrance, il est constant que l'état de la chose est laissé à la libre volonté des parties. C'est ainsi qu'est valable la clause selon laquelle le preneur entrera en possession des lieux dans l'état où ils se trouvent. Cass. Civ., 3è, 6 juin 1978, D. 1979, p. 461, note H. C. * 88 Cass. Civ., 3è, 9 juil. 2008, D. 2008, p. 1999, note Y. Rouquet. * 89Civ. 3è, 20 janv. 2009, Loyers et copr. 2009. Comm. 63, obs. E. Chavance. * 90 ISSA-SAYEGH (J.), POUGOUE (P.G.) et SAWADOGO (F.M.) (coord.), Traité et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, Jouve, 2018, p.297. * 91 GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux dans l'espace OHADA, PUL, Douala, 2006, p. 94. * 92 Cass. Civ., 3è ch. Arrêt du 9 juil. 2008 ; V. aussi Civ. 3è, 16 mai 2000, Gaz. Pal. 14-15 mars 2001. 24. * 93Civ. 3è, 29 sept. 2010, n° 09-63.337, D. 2010. 2360, obs. Y. Rouquet (y.). * 94 GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux dans l'espace OHADA, Op. cit. p. 97. * 95 Lire les articles 106 et 114 du nouvel Acte Uniforme. * 96 Tel qu'il ressort des dispositions de l'article 134 du même texte. * 97 V. art. 107 et 134 du même texte. * 98 Art 113 AUDCG. * 99ALEMAWO (K.), Liberté contractuelle dans le bail commercial de l'AUDCG, Thèse de doctorat, Université de Kara, 2009, p. 105. |
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