Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Le souci du législateur de rééquilibrer les rapports bailleur-preneur, l'a poussé à prévoir l'impact que peut avoir les travaux sur le cours du bail dans l'intérêt de ces protagonistes. Dans cette optique, il a prévu en cas de grosses réparations, la possibilité pour le preneur de bénéficier de la diminution des loyers et de la suspension ou la résiliation du bail notamment, lorsque le local est soit partiellement ou totalement indisponible. Quant au bailleur, il peut prendre argument des travaux pour procéder à l'augmentation des loyers et s'opposer au renouvellement du bail s'il s'agit d'une démolition pour cause de reconstruction. Ainsi, pour mener à bien son droit de refus de renouvellement du bail, le bailleur doit respecter certaines conditions pour ne pas se voir imputer une quelconque responsabilité. Cependant, compte tenu du droit de résiliation qui est reconnu au preneur en sus des deux autres avantages232(*), et plus grave encore du droit de priorité accordé à celui-ci en cas de reconstruction, l'on pourrait penser à un certain déséquilibre dans les intérêts des parties. C'est ce qui justifie l'appréciation de la notion d'équilibre du point de vue global233(*). De même, le législateur a assorti la possibilitéd'augmentation des loyers de certaines conditions, or dès lors que le preneur démontre l'impossibilité partielle de jouissance du local, le preneur bénéficie de la réduction des loyers. Cela donne l'impression que les avantages du preneur sont évidents et ceux du bailleur ne lui sont profitables que sous certaines conditions. Dès lors, il serait judicieux pour le législateur communautaire de revenir sur son texte pour ce qui est de l'impact des travaux sur le bail dans l'intérêt du bailleur. Il devra notamment assouplir le régime de l'augmentation des loyers au profit du bailleur, assouplir les conditions de la résiliation du bail au profit du bailleur en cas de démolition pour reconstruction.
CONCLUSION GÉNÉRALEEn définitive, s'il est une perfection, un équilibre, qui n'est pas toujours aisé à trouver, c'est celui de la loi. De manière générale, l'équilibre est entendu comme une « juste répartition des éléments d'un tout234(*)». Il s'agit nécessairement de la répartition des droits et obligations liant les parties. Il convient dès lors de noter que le régime des travaux de construction tel que prévu par le législateur communautaire réalise globalement un équilibre entre les intérêts des parties. Le législateur OHADA a prévu une répartition légale et souple des travaux entre les parties en mettant les grosses réparations et l'édification complète du local à la charge du bailleur235(*) tandis que les menues réparations sont à la charge du locataire.Néanmoins, le législateur a prévu la possibilité d'effectuer les grosses réparations sur autorisation du juge compétent236(*)qui désigne un expert et fixe les modalités de remboursement ou à défaut, sur accord exprès du bailleur. Cependant, la notion de grosses réparations demeure ambiguë et est au coeur de nombreux conflits, car le législateur a donné une définition indicative et exemplative. Seule la doctrine a trouvé deux critères adéquats pour la caractérisation des grosses réparations237(*). L'on peut par ailleurs déduire des dispositions de l'article 101 du nouvel Acte uniforme, que l'édification complète de l'immeuble incombe au bailleur, en ce sens qu'il est expressément prévu que le preneur ne peut construire entièrement le local que s'il a obtenu un consentement exprès du bailleur. Toutefois, le contrat étant avant tout la chose des parties, le législateur communautaire a accordé une marge de liberté aux parties pour aménager leur contrat à leur guise sans.Or à titre de droit comparé français, exigence estfaite que ces clauses soient claires et précises238(*). Bien que les parties agissent sous le prisme du consensualisme, il n'en demeure pas moins que le juge intervient chaque fois que l'injuste ou l'inégalité règne. Généralement, lorsqu'une clause est abusive, il fait une interprétation restrictive de la clause comme en droit comparé français239(*). Dès lors que les travaux sont effectués par le preneur, il se pose forcément un problème de règlement des comptes en cours et fin de bail. En cours de bail, les travaux faits sur autorisation judiciaire sont remboursés selon les modalités fixées par le juge qui peuvent être la compensation avec les loyers, paiement, etc... les parties peuvent par ailleurs avoir prévu une clause quant au règlement des comptes des travaux. En fin de bail, il se pose le problème du sort des constructions et aménagements faits par le preneur réglé par l'article 555 du Code civil camerounais. Il ressort expressément de cette disposition que ces travaux peuvent être remboursés dès lors qu'ils ont été édifiés sur autorisation du bailleur. Or lorsqu'ils sont édifiés de mauvaise foi, le bailleur dispose d'une option, soit il décide de les conserver sans paiement d`aucune indemnité au preneur, ou il décide la remise en l'état de son local aux frais du preneur. Il convient de préciser également que les travaux ont un impact sur le cours du bail dans l'intérêt des parties. S'agissant du preneur, le législateur a prévu la possibilité pour lui de bénéficier de la diminution des loyers et d'obtenir la suspension du bail ou sa résiliation de la juridiction compétente statuant à bref délai qui n'est nullement le juge des référés240(*).Par ailleurs, le bailleur peut prendre argument des travaux pour augmenter les loyers de commun accord avec le preneur ou lorsqu'il a fait des améliorations notables sur le local. L'augmentation doit se faire de commun accord entre les parties, c'est en cas de désaccord que la partie la plus diligente saisit le juge241(*), qui se prononce sur la révision du loyer en prenant en compte des critères indicatifs posés par le législateur242(*).En outre, le bailleur peut également se baser sur les travaux pour résilier le contrat de bail notamment en cas de démolition pour reconstruction. Mais le législateur a prévu des conditions à respecterà défaut desquelles cas le bailleur sera tenu de verser une indemnité d'éviction Au regard de tousces constats, si l'on voulait reprocher au législateur OHADA d'avoir été souple au regard de certaines dispositions légales243(*), l'on ne saurait lui dénier par contre le mérite que cette souplesse légale et la flexibilité du contrat ont permis de trouver le juste équilibre du bail à usage professionnel. Partant sur la base que l'équilibre des baux commerciaux est une équation à trouver entre le texte réglementaire et le texte conventionnel244(*), l'encadrement reste fondamental, mais la souplesse est une nécessité. Mais cela n'exclut pas le fait qu'il soit souhaitable que le législateur comble certains vides juridiquesquant au régime des travaux en référence au droit comparé. Il est nécessaire qu'il pose clairement une définition de la notion de « grosses réparations » et rende la charge de cette obligation ainsi que celle de délivrance d'ordre public afin de restreindre la liberté contractuelle, source d'éventuelles inégalités. De plus, le législateur OHADA ferait bien d'assortir la mise en oeuvre du droit de priorité accordé au preneur, de certaines conditions comme son homologue français afin de rétablir un juste équilibre. * 232Il s'agit de la diminution des loyers et de la suspension du bail prévus par l'article 106 du nouvel Acte uniforme. Pourtant le bailleur ne bénéficie que deux avantages. * 233Il convient de préciser que l'équilibre s'apprécie subjectivement. C'est dire que chaque partie a sa conception de la notion d'équilibre. * 234MAGHIA (Q.), Le nouvel équilibre du bail commercial depuis les dernières réformes (2014-2018),Thèse de Doctorat, Université de Toulouse, 2018, p. 13. * 235ISSA SAYEGH (J.), POUGOUE (P.G.) et SAWADOGO (F.M.) (coord.), Traités et Actes uniformes commentés et annotés, 4è éd. Juriscope, Jouve, 2012, p. 297. * 236V. art. 107 nouvel AUDCG. * 237 V. Supra (note 43).Ainsi, les grosses réparations sont celles qui concourent à la solidité et la stabilité de l'immeuble, de même que les éléments qui assurent le clos, le couvert et l'étanchéité. C'est le cas par exemple, de la réfection totale de la toiture, la construction des murs de soutènement, des puisards, des travaux permettant de rendre le local conforme à la destination choisie etc. * 238V. Supra (note 82). * 239Cass. Civ., 3è, 19 déc. 2000, AJDI, 2001, p. 421, obs. S. BEAUGENDRE. * 240 CA de commerce d'Abidjan, 1ère ch. arrêt n°232/2018 du 29 novembre 2018. * 241C'est le juge qui fixe le nouveau montant du loyer et non l'expert. * 242Il s'agit entre autres de la situation des locaux, de leur superficie, l'état de vétusté et les prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour les locaux similaires. Cf. art. 117 AUDCG. * 243V. art. 105, 106, 116, 117, 131 AUDCG. * 244MAGHIA (Q.), Le nouvel équilibre du bail commercial depuis les dernières réformes (2014-2018), thèse de Doctorat, Université de Toulouse, 2018, p. 527. |
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