Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
Paragraphe 2 : La sanction du non-respect des conditions : l'indemnité d'évictionLorsque le bailleur ne respecte nullement les conditions examinées plus haut, il est astreint au paiement d'une indemnité d'éviction prévue à l'article 126 du nouvel acte uniforme. Partant, cette indemnité peut se régler de commun accord entre les parties ou être fixée par le juge en cas de désaccord en ce qui concerne ses modalités(A) mais surtout il se pose un réel problème au niveau des critères de sa détermination (B). A- Les modalités de détermination de l'indemnité d'éviction Quant aux modalités, il apparait clairement des dispositions de l'article 126 sus évoqué que l'indemnité d'éviction peut se régler de commun accord entre les parties ou être fixée par la juridiction compétente. S'agissant du règlement entre les parties, il se fait sous le prisme du principe du consensualisme222(*) en ce sens que le bailleur offre un montant que le preneur peut accepter ou refuser. Ainsi, le principe de l'autonomie de la volonté trouve tout son sens et ce n'est qu'en cas de désaccord entre les parties sur le montant proposé par le bailleur, que la juridiction compétente est saisie.Très souvent, la partie saisissante est le preneur. Une fois saisie, la juridiction compétente dispose d'un pouvoir d'appréciation souveraine dudit montant fixé, et il peut même arriver que ce dernier fixe ledit montant223(*), sur la base de certains critères qui s'imposera aux parties. B- Les critères de détermination de l'indemnité S'agissant des critères de détermination de l'indemnité d'éviction, l'article 126 précité les énumère expressément. Partant, le juge prendra en compte le montant du chiffre d'affaires, les investissements réalisés par le preneur224(*), la situation géographique du local et les frais de déménagement imposés par le défaut de renouvellement. Toutefois, il a été jugé dans une espèce que l'indication de ces éléments d'appréciation n'entame pas la liberté du juge. Pour la prise en compte de la difficulté pour le preneur à trouver un local à usage commercial dans la zone proche de l'implantation actuelle225(*). Dans le même élan d'idées, il a été décidé dans une affaire qu': « À défaut de preuves sur le montant du chiffre d'affaires et des investissements réalisés par le preneur, il y'a lieu de fixer l'indemnité d'éviction en tenant compte non seulement de la situation géographique du local, mais aussi des frais que le bailleur devra supporter pour la remise en l'état du local qui a subi de sérieuses dégradations du fait du preneur 226(*)». Par ailleurs, il est fait interdiction au juge du fond qui octroyeune indemnité d'éviction en tenant compte des investissements réalisés sur le local loué, d'allouer une seconde fois de manière distincte, une somme au titre de remboursement des investissements réalisés, dès lors que le remboursement des investissements sous forme de constructions et aménagements réalisés dans les locaux loués ne peut être accordé qu'au preneur sans droit au renouvellement du bail227(*). ****** En définitive, il est constant que le bailleur peut bénéficier de certains avantages issus des travaux. En effet, il peut premièrement procéder à l'augmentation des travaux dès lors qu'il a apporté des améliorations notables au local. Il peut arriver que les parties prévoient dans leur contrat une clause dite d'échelle mobile ainsi que les conditions du bénéfice. Mais en cas de désaccord ou d'augmentation unilatérale du loyer par le bailleur, le preneur doit saisir la juridiction compétente statuant à bref délai aux fins de fixation du nouveau loyer228(*), à défaut il serait considéré comme avoir implicitement acquiescé ce loyer. Une fois la juridiction saisie, elle s'appuie sur les indices légaux prévus par le législateur tout en disposant d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation desdits éléments229(*). Toutefois, le législateur OHADA a laissé la possibilité à la loi nationale de chaque Etat-partie de définir à quel moment la décision d'augmentation du loyer commence à courir. Or le législateur camerounais n'a rien prévu en ce qui concerne le point de départ de la décision d'augmentation des loyers, mais il est préférable que les juges camerounais situent ce moment à partir de la décision augmentant le loyer tout comme c'est le cas au Sénégal230(*). En second plan, le bailleur peut aussi se baser sur les travaux pour s'opposer au droit de renouvellement du bail du preneur, c'est-à-dire exercer son droit de reprise. Pour se faire, il doit respecter certaines conditions préalablement à la reconstruction et après celle-ci. Il s'agit entre autres de la justification de la nature et la description des travaux projetés et le maintien du preneur dans les locaux jusqu'au début des travaux. Par ailleurs, le bailleur est tenu d'accorder un droit de priorité au preneur sur le nouveau bail et de ne pas changer la destination du local. Ces conditions sont cumulatives si bien qu'en cas de non-respect de l'une quelconque d'elle, le bailleur est astreint au paiement d'une indemnité d'éviction, qui peut être réglée entre lui et le preneur ou fixé par le juge en cas de désaccord. Dès lors qu'il est saisi d'une demande de fixation de l'indemnité d'éviction, le juge s'appuie sur de nombreux critères énoncés à titre indicatif par le législateur OHADA, avant de fixer le montant de l'indemnité. Il en découle que compte tenu des éléments de base retenus par le juge, cette indemnité peut être faramineuse de manière à dissuader les intentions du bailleur231(*). * 222KAMGA SIEWE (L.C.), « L'indemnité d'éviction en droit commercial OHADA », Juridis Périodique n°114, 2018, p. 154. * 223 Idem. * 224TGI Wouri, jgt. n°0002 du 15 janvier 2013, SociétéTOY'S CENTER SARLC/ A. ERNEST, importé le 22 novembre 2019, Juricaf. * 225CA Ouagadougou, arrêt n°02 du 18 janvier 2008, inédit. * 226 CA Ouagadougou, arrêt n°056 du 04 décembre 2009, SAWADOGO Pelga C/ DIOP Awa, Ohadata J-12-174. * 227CCJA, Arrêt n° 017/2006 du 26 octobre 2006, aff. SONATEL C/ Société d'exploitation de la clinique SOKHNA FATMA, Juridicata n° J017-10/2006. * 228 CA Douala, arrêt n°96/REF du 28 juin 2003, POUAKAM Jean C/ TOKO Nobat, OhadataJ-06-177, obs. J. Issa-Sayegh. * 229CCJA arrêt n° 036/2008 du 03 juillet 2008, cité par P. G. POUGOUE et autres, Les grandes décisions de la cour commune de justice et d'arbitrage, l'Harmattan, 2010, p. 30 * 230Cf. Supra note (178). * 231KEM CHEKEM (B. M.), « La pérennité de la relation contractuelle dans le bail à usage professionnel en droit Ohada », Penant n°907, avril-juin 2019, p. 187. Également à titre comparé, il a été jugé en droit français que le bailleur a toujours une possibilité de mettre en oeuvre son droit de repentir. |
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