Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
Section 2: La résiliation du bail pour cause de travauxLe bailleur tout comme le preneur peut solliciter et obtenir en principe la résiliation du bail pour cause de travaux comme présenté plus haut. Il est judicieux d'analyser cette fois le refus de renouvellement du bail par le bailleur pour cause de démolition en vue d'une reconstruction du local. Il s'agit d'une prérogative reconnue certes exclusivementau bailleur, mais qui se trouve encadrée par le législateur afin d'éviter d'éventuelles inégalités. Le législateur a bien voulu qu'il puisse s'opposer au renouvellement du bail sans un quelconque paiement d `une indemnité d'éviction, motif pris des travaux de démolition pour reconstruction mais ce, sous le respect de certaines conditions cumulatives (paragraphe 1), auquel cas il sera sanctionné par le paiement d'une indemnité d'éviction (paragraphe 2)en guise de réparation de préjudice subi par le preneur. Paragraphe 1 : Le droit de résiliation encadré par certaines conditionsD'après l'article 127 alinéa 2 de l'Acte uniforme202(*), le bailleur pour bénéficier du droit de refus de renouvellement du bail encore qualifié de droit de reprise sans paiement d'une indemnité d'éviction, doit respecter certaines conditions qui se veulent cumulatives bien qu'elles soient observées avant (A) et après (B) les travaux proprement dit. A- Les conditions exigées avant la reconstruction du local Tel qu'il appert de l'article 127 alinéa 2 de l'acte uniforme précité, avant de procéder à la démolition, le bailleur est tenu tant de justifier la nature et la description des travaux projetés que de maintenir le preneur dans le local jusqu'au début des travaux de reconstruction. Il n'est pas superflu de rappeler que le bailleur doit signifier un congé pour travaux au preneur. S'agissant primo de la justification de la nature et de la description des travaux de démolition, l'Acte uniforme OHADA ne précise pas la forme que doit revêtir la justification, ce qui laisse penser qu'elle peut se faire par tous moyens. C'est donc à bon droit qu'il a été décidé dans une affaire que la justification peut résulter notamment des correspondances et photographies versées au dossier renseignant les travaux de construction203(*). De même, dans une autre affaire, il a été jugé que la nature et la description des travaux envisagés par le bailleur à la suite de la démolition de l'immeuble doivent et ne peuvent être justifiés que par un homme de l'art204(*). Concernant secundo le droit pour le preneur de rester dans les locaux jusqu'au commencement des travaux tant que l'indemnité ne lui a pas été versée205(*), la jurisprudence constante et unanime l'a approuvé dans une affaire206(*). D'après la doctrine considérée, l'idée est que le preneur ne soit pas trop facilement évincé de son droit de renouvellement au bail207(*).C'est ainsi que s'il appert des devis et plans descriptifs de travaux versés au dossier le bailleur que celui-ci a décidé de démolir son immeuble pour le reconstruire selon un plan différent du premier, le locataire non seulement fondé à réclamer l'indemnité d'éviction, mais encore à demeurer dans les locaux jusqu'au début des travaux208(*). Toutefois, il convient de préciser que le preneur ne peut demeurer dans le local que si et seulement si les travaux s'accommodent avec son maintien dans le local, au cas contraire il sera évincé des lieux après expiration du congé209(*). Dès lors que ces conditions sont réunies, le bailleur est également tenu de respecter certaines exigences après la reconstruction des locaux afin d'échapper au paiement d'une indemnité d'éviction. B- Les exigences requises après la reconstruction Après la reconstruction des locaux, le bailleur pour échapper au paiement d'une indemnité d'éviction, doit non seulement accorder un droit de priorité au preneur sur les locaux reconstruits mais aussi, il ne doit pas avoir changé la destination du local. Quant au droit de priorité ou droit de préemption210(*), il est reconnu au preneur afin de lui permettre d'obtenir prioritairement la location de l'immeuble envisagée par le propriétaire à la fin des travaux211(*). A titre comparé, ce droit n'est reconnu au preneur en droit français, que lorsque la démolition est consécutive à l'état de salubrité du local reconnu par une autorité administrative ou lorsque le bailleur rapporte la preuve du danger que cet immeuble représente pour le preneur212(*). En pratique, la mise en oeuvre de ce droit requiert certaines formalités en droit comparé français, que le législateur OHADA aurait dû préciser par souci de sécurité juridique213(*). Ainsi, le bailleur doit notifier au preneur son projet comportant l'ensemble des termes et conditions du bail envisagé pour l'informer de ce qu'il est prêt à lui consentir un nouveau bail sur les locaux reconstruits. Ce qui n'est possible que si le bailleur connait la nouvelle destination du locataire. Pour pallier cette difficulté, le locataire qui entend bénéficier de ce droit doit avant son départ des lieux notifier sa nouvelle adresse au bailleur. En outre, le bailleur doit préciser dans le projet de nouveau bail, le délai pour le preneur de se prononcer ou de saisir la juridiction compétente en cas de désaccord214(*). Par ailleurs, il peut arriver que le bailleur ayant promis au preneur de le réintégrer dans les locaux après reconstruction, ne le fasse pas, mais loue à une autre personne. Ce problème s'est posé dans une affaire et le juge a admis le principe de réintégration après que le locataire ait passé 16 années dans le local. Le juge avait trouvé en cette attitude, une expulsion déguisée.215(*) S'il est toutefois démontré que le bailleur a donné la possibilité au locataire d'exercer son droit de priorité après la réhabilitation du local, la demande d'indemnité d'éviction ne peut prospérer216(*). Pour ce qui de l'immutabilité de la destination du local, il est de jurisprudence constante que le bailleur qui transforme les locaux commerciaux en maison d'habitation après reconstruction, est tenu de verser une indemnité d'éviction au preneur217(*). De même, c'est à bon droit qu'il a été jugé que l'indemnité d'éviction est due lorsqu'il est établi que la construction projetée est incompatible avec l'activité du preneur218(*). De même, le locataire qui modifie profondément les lieux loués sans avis du bailleur et déconstruit la destination initiale du local, peu important la qualification qu'il entend donner à cette entreprise, ne peut prétendre à aucun renouvellement du bail ni l'indemnité d'éviction219(*). Dès lors que ces conditions sont respectées, le bailleur est fondé à résilier le bail suivant la procédure prévue à l'article 133 du nouvel Acte uniforme220(*). Somme toute, en cas de non-respect du droit de priorité ou de changement de la destination des locaux, le locataire sera parfaitement fondé à demander le paiementd'une indemnité d'éviction prévue à l'article 126 de l'Acte uniforme221(*). * 202« [Le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, sans avoir à régler l'indemnité d'éviction, dans les cas suivants : 1°)... ; 2°) S'il envisage de démolir l'immeuble comprenant les lieux loués et de le reconstruire. Le bailleur doit justifier la nature et la description des travaux projetés(...)] ». * 203CA Yaoundé n°282/Civ/03-04 du 23 juin 2004, Restaurant CHINATOWN C/ MEUYOU Michel Juriscope.org ; Ohada.com/Ohadata J-06-89. * 204CCJA, 2è ch. n°111/2015 du 22 octobre 2015, Ohadata J-16-104, DIALLO Sékou C/ FALL Ibnou, FALL Sidi et autres. * 205KEM CHEKEM (B. M.), « La pérennité de la relation contractuelle dans le bail à usage professionnel en droit Ohada », Penant n°907, Paris, avril-juin 2019, p. 186. A titre comparé, il est intéressant de souligner qu'en droit français, cette mesure est expressément énoncée à l'article L.145-28 du code de commerce en ces termes : « Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitterles lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré (...) ». V. également CCJA arrêt n° 031/2018 du 08 février 2018, www.legiafrica.com. * 206CCJA, arrêt n° 33 du 26 mai 2005, KOITA Bassidiki C/ FABRIS Oscar, Recueil de jurisprudence de la CCJA n° 5 janv-juin 2005 Vol.2, p. 9. * 207CA Yaoundé, arrêt n°282/civ du 23 juin 2004, Restaurant CHINATOWN C/ MEUYOU Michel, Juridis Périodique n°72, 2007, p. 104. obs. F. Anoukaha. * 208CCJA, arrêt n° 33 du 26 mai 2005, KOITA Bassidiki C/ FABRIS Oscar, Recueil de jurisprudence de la CCJA n° 5 janv-juin 2005 Vol.2, p. 9. Le Juris-Ohada n° 4/2005, juillet-septembre 2005, p. 2. * 209CA Dakar, ch. civ. et com. Arrêt du 20 février 2003, DIBA Sérigne C/ TOURE Maréma, Ohadata J-03-144. * 210SANTOS (A. P.), commentaire sous art. 95 AUDCG (1997), in OHADA, traités et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2002, p. 213. * 211KEM CHEKEM (B. M.), « La pérennité de la relation contractuelle dans le bail à usage professionnel en droit Ohada », Penant n°907, avril-juin 2019, p. 186 ; lire aussi CA Centre, arrêt n° 108/civ du 12 décembre 2003, FOMAKA Gwei C/ La SIERKA * 212 Cf. art. L.145-17 C. com. * 213KEM CHEKEM (B. M.), Art. préc. p. 187. * 214KEM CHEKEM (B. M.), ibid. p. 187. * 215 CA Centre, arrêt n° 42/civ. Du 1er févr. 2013, aff Dame TSOMBU née KEUATSOP C/ TCHOUNDJA Joseph, inédit. * 216 CCJA, 3è ch., arrêt n° 204/2019 du 27 juin 2019, legiafrica. * 217CA Abidjan, arrêt n° 288/2018 du 29 mai 2019, 4è ch. de commerce. CA Yaoundé, arrêt n°342/civ du 28 juillet 2000, ZEUDJA KEMADJOU C/ SARL Diffusion Sciences et Techniques, obs. B.M. Kem Chekem, Juridis Périodique n°67, 2006, p. 37. * 218 Trib. Régional Hors Classe de Dakar, n°1712 du 25 octobre 2000, Ohada.com/Ohadata J-05-60. * 219CA Ouagadougou, arrêt n°47 du 19 juillet 2019, FAHO Cyprien, légiafrica. * 220Pour se faire, il doit d'abord servir une mise en demeure préalable à la saisine du juge. Lire à ce sujet, TIODA TEIKEU (W.G.),L'expulsion du preneur professionnel en Droit de l'OHADA, mémoire de Master, Droit des affaires, Université de Dschang, 2019, p. 46. * 221 CA Dakar, ch. civ. et com.1 arrêt n°168/2005 du 18 février 2005,IBANEZ C/ SCI Touba, Ohadata J-06-186, note Bakary DIALLO, Penant n° 855, p. 250. Lire aussi Supra n° 186. |
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