Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
Paragraphe 2 : Les conséquences de la suspension du bailDès lors que le bail est suspendu, cela induit que non seulement le paiement des loyers est suspendu (A) mais aussi le preneur réintègre le local après les travaux (B). A- La suspension du paiement des loyers La suspension de l'exécution d'une obligation est la possibilité pour une partie de suspendre l'exécution d'une obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle164(*). Dans le cadre du bail à usage professionnel, le locataire peut éventuellement s'affranchir du paiement des loyers dans la mesure où du fait du bailleur, il est dans l'impossibilité totale d'exercer son commerce.C'est dire que pendant la réalisation des travaux, le local serait indisponible, toute chose qui justifie le non-paiement des loyers. De même, le preneur est fondé à différer le règlement des loyers si le bailleur n'a pas délivré les lieux avec les aménagements prévus, essentiels pour l'activité autorisée165(*). Cette situation s'apparente à une exception d'inexécution qui n'est admise que lorsque le preneur ne peut plus utiliser les lieux loués au regard de l'activité prévue au bail et de la gravité des manquements du bailleur à son obligation d'entretien. Partant, l'exception d'inexécution a pour effet de suspendre l'obligation d'exécuter de celui qui l'invoque. La suspension qui en résulte est donc purement unilatérale166(*). Elle est également temporaire. Toutefois, il constant que cette suspension des loyers n'est pas automatique. Le preneur est tenu de rapporter la preuvede l'impossibilité de jouissance du local, des manquements reprochés au bailleur et du lien de causalité entre ces manquements et le préjudice subi167(*). Ceci revient à écarter l'hypothèse de la force majeure qui ne peut être imputable au bailleur.De plus, le locataire doit aviser le bailleur de son intention de suspendre les loyers, sinon ce dernier peut continuer à lui adresser des factures de règlement des loyers. Ceci arrive très souvent dans l'hypothèse de suspension conventionnelle. C'est ainsi qu'il a été jugé dans une affaire tranchée par la CCJA, que le locataire qui consent à payer les loyers sue le bailleur lui réclame, ne peut tirer argument du congé à lui adressé par ce dernier pour invoquer la suspension du bail afin de remettre en cause le caractère certain, liquide et exigible de la créance168(*). Outre la suspension du paiement des loyers, le preneur doit réintégrer les lieux après les travaux. B- La réintégration des lieux par le preneur après les travaux Dans son sens général, la suspension est une mesure temporaire qui fait provisoirement obstacle à l'exercice d'une fonction, d'un droit, l'exécution d'une convention ou d'une décision, au déroulement d'une opération ou d'une instance soit à titre de sanction soit par mesure d'attente169(*). C'est dire que contrairement à la résiliation, la suspension ne remet pas le compteur à zero. Donc après la période de suspension du bail, le bail doit reprendre son cours impliquant de ce fait la réintégration de plein droit du preneur dans les locaux sans qu'il y'ait besoin d'une quelconque formalité. Certes le preneur a été privé de la jouissance de son local pendant la période de travaux, mais cela n'entraine nullement le paiement d'une indemnité, car le preneur s'est abstenu de payer les loyers durant cette période. Toutefois, le bailleur ne peut nullement s'opposer au droit de réintégration du preneur, car d'après un auteur considéré en droit comparé belge, la suspension du contrat entraine uniquement la suspension des effets du contrat en principe en tout ou partie, le contrat continuant à exister170(*). Donc après cette période de suspension, le contrat poursuit son cours normalement et le preneur réintègre les lieux. Cependant, il peut arriver que le bailleur refuse la réintégration du preneur dans les locaux soit parce qu'il veut louer à un autre locataire, ou parce qu'un nouveau locataire a intégré le local. Dans le premier cas, le preneur peut saisir la juridiction compétente aux fins de réintégration forcée du local cette fois et obtenir gain de cause171(*), le contrat n'étant arrivé à son terme. Le juge pourra même ordonner la réintégration forcée du preneur sous astreintes En l'espèce, le juge à saisir est la juge des référés vu le caractère urgent de la demande. De même, cet agissement s'analyse en une voie de fait justifiant également la saisine du juge des référés, qui « ne fait qu'assurer l'exécution »172(*) à travers la réintégration, du bail non résilié, dont le bailleur « doit se voir opposer les termes »173(*) en vertu de la force obligatoire des contrats174(*). Mais concernant le second cas, certes il serait difficile pour le juge d'autoriser la réintégration du preneur évincé, mais ce dernier pourra obtenir une indemnité dès lors que le juge aura constaté que le bail a été résilié sans arriver à terme, bref à tort. Toutefois, il n'est pas exclu que le juge ordonne également la réintégration du preneur évincé, même si l'effectivité sera difficultueuse. C'est ce qui s'est passé dans une affaire pendante devant la Cour d'Appel de Commerce d'Abidjan, les juges ayant décidé que la présence d'une tierce personne dans le local, ne saurait faire obstacle à la réintégration du preneur expulsé, ni constituer une contestation sérieuse, évinçant la compétence du juge des référés175(*). Cela démontre la volonté du juge de protéger le preneur professionnel en lui assurant une pérennité du contrat de bail, une garantie du développement de son activité176(*). C'est ainsi qu'il est préférable pour tout locataire de demeurer dans les lieux lorsqu'il y'a impossibilité de jouissance partielle, et de solliciter la réduction des loyers afin d'éviter de pareils désagréments et de conserver surtout sa clientèle. Toutefois, pour atteindre cet objectif, il faudrait que les relations contractuelles soient pérennisées, qu'elles durent le plus longtemps possible, au besoin même par la force. C'est dans ce sens que la pérennité traduit « l'idée de maintien du contrat le plus souvent possible et dans la mesure du possible 177(*)». ****** En définitive, il est toujours compliqué de réaliser les travaux en cours de bail. La raison de cette difficulté est que ces travaux peuvent être à l'origine de l'indisponibilité du local, des accidents, du vol, de la dégradation des équipements. Compte tenu de cette gêne et du préjudice éventuel, la loi a aménagé la possibilité pour le preneur qui est tenu de supporter les inconvénients de ces travaux, de bénéficier d'une réduction des loyers ou de la suspension du bail. C'est dire dans ce cas que les travaux influencent le bail dans l'intérêt du preneur. Quant à la réduction des loyers, elle est en principe légale178(*), mais les parties peuvent prévoir une clause de diminution des loyers pour cause de travaux. Toutefois, qu'elle soit légale ou conventionnelle, les modalités de réduction sont les mêmes, en ce sens que sont prises en compte la durée des travaux et la perte de l'usage de la chose louée. Concernant par ailleurs la suspension du bail, pour qu'elle soit ordonnée par la juridiction compétente statuant à bref délai, le preneur doit d'abord rapporter la preuve de l'indisponibilité totale du local. Une fois les conditions réunies, la suspension produit tous ses effets à savoir la suspension du paiement des loyers qui s'analyse comme une sorte d'exception d'inexécution179(*)et la réintégration de plein droit du preneur dans les locaux après la réalisation des travaux. Cette dernière est la suite logique de suspension du bail, car suspendre c'est arrêter provisoirement le cours d'un contrat, d'une obligation. Le contrat de bail étant donc suspendu pour cause de travaux, il est normal que le preneur puisse regagner le local sans opposition du bailleur et sans paiement d'une quelconque indemnité. Il convient de préciser en outre que le législateur OHADA a également reconnu la possibilitépour le preneur de solliciter la résiliation du bail pour cause de travaux180(*). Cependant, le bailleur n'a pour autant pas été lésé par le législateur, ce qui traduit un certain équilibre entre les intérêts des parties. * 164 CORNU (G.) Vocabulaire juridique,Association Henri Capitant,Quadrige, 12è éd. PUF, Paris, 2018, p. 1056. * 165 GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux dans l'espace Ohada, Op. cit. p. 79. * 166FAGES (B.), Droit des obligations, 4è éd. LGDJ, Paris, 2013, p. 223. * 167CA. Paris, 16è ch. A, 7 juin 2006, JurisData n° 2006-310528. Ceci peut également se déduire implicitement de la lecture de l'article 106 du nouvel AUDCG. * 168 CCJA, arrêt n° 147/2017 du 29 juin 2017, aff. LAUVERGNE C/ SCI Indivision, legiafrica. * 169 CORNU (G.), op.cit. p. 1055. Bruylant, 2010, p. 937 * 170 VAN OMMESLAGHE (P.), Droit des obligations, tome II, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 937. * 171KEM CHEKEM (B. M.), « La pérennité de la relation contractuelle dans le bail à usage professionnel en droit OHADA », Penant n° 907, avril-juin 2019, p. 201. * 172Cass. Com., 12 juill. 1960, consorts Y C/ Epoux X, publié, disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr. * 173KEM CHEKEM (B. M.), art. Préc. P. 200 * 174Idem. * 175 CA Com d'Abidjan, 1ère ch. arrêt n° 194/2019 du 02 mai 2019, aff. Société civile immobilière, legiafrica. * 176 KEM CHEKEM (B. M.), art. Préc. P. 201. * 177 NSIE (E.), « Les sanctions de l'inexécution dans la vente commerciale en droit uniforme africain », La Revue du CERDIP n° 1, Vol. 2, janv-juin 2003, p. 7 ; Ohadata D-10-58, p. 8. * 178 V. art. 106 alinéa 4 AUDCG. * 179 « C'est un moyen de défense qui permet à un débiteur d'être provisoirement dispensé d'exécuter son obligation envers son créancier tant que celui-ci, débiteur envers lui d'une obligation réciproque ou connexe, n'a pas rempli son propre engagement », CORNU (G.), Vocabulaire juridique Quadrige, 12è éd. PUF, Paris 2018, p. 470. * 180 V. art. 106 alinéa 6 AUDCG. |
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