Les travaux dans le cadre du bail à usage professionnelpar Soline KETCHEUZEU NANA Université de Dschang - Master en Droit des Affaires et de l’Entreprise 2020 |
Paragraphe 2 : La remise en état des lieux par le preneurLorsque le preneur effectue les travaux de mauvaise foi, l'article 555 du code civil offre une deuxième option au bailleur, à savoir la démolition des constructions par le preneur119(*), d'où l'expression « remise en l'état des lieux » a un fondement précis (A) et des conséquences préjudiciables pour le preneur (B). A- Le fondement de l'obligation de remise en l'état des lieux L'obligation de remise en l'état des lieux existe depuis le code civilcamerounais en ses articles 555, 1730 et 1731. En outre, les parties peuvent expressément stipuler qu'à la fin du bail, le preneur devra restituer le local dans son état primitif. C'est dire que cette obligation a un fondement légal (1) et contractuel (2). 1- Le fondement légal de l'obligation de remise en l'état des lieux Aux termes de l'article 555 du code civil : « Lorsqueles plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec ses matériaux, le propriétaire du fonds a droit ou de les retenir, ou d'obliger ce tiers à les enlever120(*)... ». De même, l'article 1730 du même texte ajoute que s'il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit rendre la chose telle qu'il a reçu suivant son état sauf ce qui a péri ou a été dégradé par vétusté ou force majeure. Par ailleurs, l'article 1731 du code civil précise que s'il n'avait pas été établi un état des lieux, c'est aux risques et périls du preneur qui demeure tenu de restituer le local en l'état primitif. C'est une disposition dont application a été faite dans un arrêt rendu par la Cour d'appel de l'Ouest. Le juge a décidé que : « [Lorsque le preneur n'a pas fait établir au moment de l'entrée en jouissance des lieux, un état de ces lieux, il est réputé les avoir reçus en bon état. Dès lors, c'est à bon droit qu'il est jugé que les frais de réfection du local au moment de la rupture du contrat sont imputables au preneur121(*) ]». La doctrine va plus loin en ajoutant que lorsque le bailleur donne même simplement son consentement à la construction, ce consentement ne saurait être assimilé à une renonciation anticipée à demander la démolition122(*). Il n'est nullement contesté que ces dispositions légales sont appliquées en cas de remise en l'état des lieux loués si et seulement si les parties n'ont rien prévu. 2- Le fondement contractuel de l'obligation de remise en l'état L'article 555 du Code civil français s'applique aux rapports entre bailleur et locataire dans le silence du contrat de bail sur les constructions élevées sans le consentement du bailleur par le preneur. Pour que soit écarté le jeu de cet article, il faut qu'il existe entre le bailleur et le preneur une convention réglant la propriété de la construction ou l'indemnisation du locataire123(*). C'est ce qui ressort d'un arrêt rendu par la chambre civile de la Cour d'appel de l'Ouest en date du 23 mai 2007. En l'espèce, les parties avaient expressément prévu à l'article 3 de leur contrat de bail que : « Le preneur est autorisé à faire toute transformation qu'il jugera utile ; [...] tout embellissement ou constructions nouvelles fixés aux murs, sol ou plafond appartiendront de plein droit au bailleur en fin de bail, sauf au preneur à remettre les lieux en l'état où ils se trouvaient au moment de l'entrée en jouissance »124(*). En outre, le contrat de bail peut prévoir qu'à son expiration, un constat des lieux soit effectué, le bailleur peut s'en prévaloir pour solliciter de la juridiction compétente la remise en l'état des lieux par le locataire125(*). Face à une telle clause prévoyant la remise en l'état des locaux par le preneur, le juge est lié et ne peut s'assurer que du respect de cette obligation par le preneur, qui doit en assumer les conséquences. B- Les conséquences de la remise en l'état des lieux La remise en l'état des lieux a pour corollaire la suppression des édifices aux frais du preneur et parfois la responsabilité du preneur en cas de dégâts matériels sur le local du fait de cette démolition. LaCour de cassation française a considéré que « les bailleurs ne peuvent être tenus, enl'absence de toutes stipulations contractuelles réglant le sort desconstructions autorisées, de conserver celles-ci en fin de bail etqu'ils [sont] en droit de réclamer la restitution de la chose louéeen son état primitif126(*)». Donc le bailleur dispose d'une option. Soit il décide d'accéder en indemnisant le preneur, soit il demande la remise en l'état des locaux aux frais du preneur127(*). Ainsi, dès lors qu'il n'existe aucun acte spécifique régissant le sort des constructions et nonobstant l'existence d'une autorisation du bailleur, le renvoi au droit commun de l'accession est, en droit français, « des plus orthodoxes [...], l'applicabilité de l'article555 du Code civil aux relations entre bailleurs et preneurs étant depuis longtemps acquise128(*)». Dans l'hypothèse d'une absence d'autorisation du bailleur, la solution devrait être identique en droit uniforme du bail à usage professionnel de l'OHADA129(*). Il est vrai que les constructions ou aménagements qui ont été réalisés par le preneur sans autorisation ne sont pas visés par l'article 131, alinéa 1, de l'AUDCG. L'option offerte au bailleur est contraire à la solution prévue par l'article 131 de l'AUDCG car elle autorise celui-ci à refuser l'accession, qui s'analyse de son point de vue comme une faculté, en demandant la destruction des constructions ou aménagements. Or, les dispositions de l'OHADA, si elles ne sont pas directement consacrées à l'accession immobilière, en traitent indirectement. Elles paralysent l'option du bailleur par la consécration d'un droit à remboursement du preneur. La contradiction entre les dispositions de l'article 131 et celles de l'article 555 est flagrante lorsqu'il existe une autorisation des travaux par le bailleur. Le conflit qui existe, à ce moment, entre une norme nationale et une norme communautaire se résout au détriment de la norme nationale130(*). ****** En somme, le preneur est tenu d'exploiter les locaux en « bon père de famille131(*) ». En vertu de cette obligation, il peut effectuer des constructions et aménagements sur le local à condition de solliciter l'accord exprès et écrit du bailleur. Il arrive souvent que le preneur réalise des travaux de construction et d'aménagement sur le local sans l'aval du bailleur en vue de rentabiliser son activité. Le preneur peut également se faire autoriser par la juridiction compétente pour effectuer des grosses réparations aux dépens du bailleur132(*). Dans l'un ou l'autre cas, il se pose un problème de règlement des comptes quel que soit le moment. Ainsi, en cours de bail, le remboursement peut se faire selon les stipulations contractuelles ou les modalités fixées par la juridiction compétente. Il peut aussi arriver que le juge condamne le bailleur au paiement des frais engagés par le preneur. En outre, les parties peuvent prévoir dans leur contrat une clause de règlement des travaux effectués, en précisant que ceux-ci seront compensés sur les loyers.Elles peuvent également décider que ces travaux appartiendront au fur et à mesure de leur réalisation au bailleur. Par ailleurs, en fin de bail, il se pose le problème du sort des constructions et aménagements réalisés par le preneur133(*). Ne peuvent être remboursés que les travaux ayant été autorisés par le bailleur134(*) et ceux non autorisés peuvent être démolis135(*). Les parties peuvent avoir décidé par exemple qu'en fin de bail, le bailleur remboursera le coût des constructions et aménagements autorisés. Dans ce cas, le jeu de l'article 555 est écarté. Ce n'est qu'en cas de désaccord qu'elles saisissent la juridiction compétente. Par ailleurs, les parties peuvent aussi prévoir une clause d'accession dans leur contrat en cas de constructions non autorisées. * 119GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux, 2è éd. PUL, Douala, 2008, p. 26. * 120 Application, CS. Arrêt n°19 du 28 novembre 1974, Bull. des arrêts n°3, p. 4603. * 121CA de l'Ouest,arrêt n°44/Civ, du 22 juin 2011, aff. Société Générale de Distribution Boissons C/ TCHOUMBA Dieudonné, inOhadataJ-12-66. * 122GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux, 2è éd., PUL, Douala, 2008, p. 26. * 123GATSI (J.), Pratique des baux commerciaux, op. cit. * 124CA civ. de l'Ouest, arrêt n°76/civ du 23 mai 2007, aff. FOKAM KAMGA Constant C/ NOUAFO née WANKO Julienne. * 125Cour d'appel de Niamey, Ch. Com. Spécialisée, arrêt n° 37/ 2018 du 20 août 2018, Legiafrica. * 126Cass. 3è civ., arrêt n° 77-12.470 du 9 janv. 1979, Bull. civ. III n° 6, p. 5. * 127Cette option ne peut être mise en échec que si le constructeur est de bonne foi, ce qui, en règle ordinaire, n'est pas le cas du preneur car la bonne foi est ici entendue au sens technique et non au sens moral. Cf. infra : n° 18 et s. * 128Cf. en ce sens, Cass. civ. 3e, 10 nov. 1999, pourvoi n° 97-21942, Juris-Data n° 003931, Bull. civ. III, n° 211, Defrénois 2000, p. 312, obs. Ch. Atias, D. 2000, AJ, p. 77, obs. Y. Rouquet, Gaz. Pal., 26 oct. 2000 n° 300, p. 32, note J.-D. Barbier. C'est sans doute ce qui se passe en droit camerounais. * 129 CA Port-Gentil, 9 déc. 1999, Société Kossi c/ Paroisse Saint-Paul des Bois, Penant n° 837, sept.-déc. 2001, p. 345, OhadataJ-02-45. Certes, dans cette espèce, une clause d'accession prévoyait que les travaux faits par le preneur, même avec l'autorisation du bailleur, resteraient à la fin du bail, la propriété de celui-ci, sans le versement de la moindre indemnité. * 130La solution d'un conflit entre deux normes communautaires est beaucoup moinstranchée. Cf. par exemple, sur un conflit quasi insoluble entre normes contradictoires d'un Règlement de l'UEMOA et d'un Acte uniforme de l'OHADA, A. T Ndiaye, « Conflit denormes en droits communautaires OHADA et UEMOA. Exemple des paiements réalisésdans les systèmes de paiement intégrés en cas de procédures collectives d'apurement dupassif », Rev. de droit uniforme, n° 2007-2, p. 285.t * 131 V. Art. 113 AUDCG. * 132 V. Art. 107 AUDCG. * 133Traité par l'article 131 de l'AUDCG qui s'est inspiré des articles 555 et 1730 du Code civil. * 134V. Supra (note 60) * 135 V. Art. 555 du code civil. |
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