A. Régime juridique et délimitation des
gisements transfrontaliers
Les prospections pétrolières en cours et
à venir alimentent déjà les ressentiments des pays et les
tensions frontalières. La convention des Nations Unies sur le droit de
la mer de 1982, consacre une notable extension de la juridiction des Etats en
mer en procédant à une territorialisation des espaces «
jadis teintés du sceau de l'international au travers d'un zonage
juridique de la mer aboutissant ainsi à une double subdivision en
espaces maritimes sous juridiction nationale (eaux intérieures, mer
territoriale, zone contigüe, zone économique exclusive et plateau
continental) et ceux internationalisés (haute mer et zone)82
». Elle fixe les limites nationales des compétences à
l'intérieur desquelles les Etats côtiers exercent leur
souveraineté, leurs droits souverains et leurs juridictions sur les
espaces et les ressources maritimes. Mais, « lorsque l'on tente
d'établir une relation juridique entre la ressource marquée par
sa mobilité et la frontière qui, elle, se caractérise par
sa stabilité, des difficultés d'ordre juridique surviennent dans
la mesure où il est reconnu que les ressources sont là où
elles sont, et la frontière est là où elle
est83 ». Ainsi, à l'unité physique de la mer
s'oppose une diversité de régimes juridiques qui complique,
théoriquement, le processus de délimitation maritime et la nature
juridique des titres sur les ressources de la mer. « II n'est d'ailleurs
pas surprenant de constater que le problème relatif à la
conservation des ressources halieutiques ait connu moins de succès dans
la Convention de 198284 ».
Il est fréquent qu'un gisement s'étende des deux
côtés de la limite du plateau continental entre deux Etats et,
l'exploitation de ce gisement étant possible de chaque
côté, un problème nait immédiatement en raison du
danger d'une exploitation préjudiciable ou exagérée par
l'un ou l'autre des Etats intéressés. La question se pose de
savoir s'il faut tracer la frontière maritime après avoir
évalué les ressources ou s'il faut les évaluer avant de
procéder à la délimitation maritime. Il est possible
d'avancer que les paragraphes 74 (3) et 83 (3) ont répondu à
cette question en faisant passer la ressource avant la frontière. Alan
Willis pense que, « ce problème pose un véritable dilemme
car dans le cadre des arrangements provisoires et dans un esprit de
compréhension lorsque les ressources sont connues, l'accord sur la
frontière maritime devient politiquement impossible85 »
et l'inverse, si les Etats savent ou s'attendent de peu ou de rien du tout du
potentiel minier ou d'hydrocarbures, il devient
82 G. LABRECQUE, Op. Cit., P.20.
83 Y. CISSE, Op. Cit., P. 45.
84 Id., P. 46.
85 A. WILLIS, State practice in the
delimitation of maritime boundaries, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers,
1993, P. 68.
23
facile de diviser la zone en dispute. Or, « pour prendre
en compte les ressources comme facteur de délimitation maritime, la
jurisprudence veut que ces ressources soient connues ou
déterminées86 ».
On peut s'apercevoir que l'exploitation des ressources,
notamment transfrontalières, peut poser quelques difficultés. En
effet, « l'exploitation intensive par un seul Etat d'un stock
transfrontalier se trouvant dans sa zone économique exclusive
réduit inéluctablement la biomasse de ce même stock dans la
zone économique de l'Etat voisin87 ». La même
problématique existe quant à l'exploitation des ressources du
plateau continental. La Cour, en 1969, dans l'Affaire du plateau
continental de la mer du Nord, posait le principe de l'unité de
gisement lorsque le champ pétrolier chevauche la ligne de
délimitation du plateau continental88. Pour pallier de telles
incertitudes, Alan Willis propose que « si toutefois les parties sont
préoccupées par le risque de voir que toutes les ressources se
retrouvent d'un seul côté de la ligne et aucune de l'autre, la
meilleure solution serait une police d'assurance sous la forme d'une zone
partagée de la ressource89 ». Ce qui a fait que les
Etats puissent trouver une solution pragmatique permettant une exploitation
rationnelle des ressources de la mer, c'est la création d'une ou des
zones maritimes de développement conjoint ou zones maritimes
d'intérêt commun.
B. La zone maritime de développement conjoint
: une pratique des Etats 1. Notions et problèmes
posés
Les problèmes de délimitation maritime sont la
source d'importants conflits et d'un abondant contentieux, la zone
économique exclusive et le plateau continental étant intimement
liés à l'exploitation des ressources minérales,
génétiques, halieutiques dont la mer abonde. La pratique des
Etats a fait émerger une solution pragmatique : la zone de
développement conjoint. Cette dernière se définit
traditionnellement comme « un accord portant arrangement provisoire
d'exploitation commune des ressources dans des zones où se chevauchent
des titres juridiques, des prétentions concurrentes de
souveraineté ou de juridiction90 ». Le Professeur
Y. Cissé estime de son côté que la zone de
développement conjoint « est une forme de coopération
parmi tant d'autres et qui permet aux Etats côtiers d'exploiter la
ressource en attendant qu'une solution provisoire ou définitive soit
trouvée au
86 A. WILLIS, Op. Cit., P. 68.
87 Y. CISSE, Op. Cit., P. 68.
88 Affaire du plateau continental de la mer du Nord
(Allemagne contre Pays-Bas), C.I.J., Recueil 1969, P. 129.
89 A. WILLIS, Op. Cit., P. 77.
90 P. M., DUPUY, Op. Cit., P. 255.
24
problème de délimitation de la
frontière maritime91 ». On s'aperçoit que
cette définition semble, de prime abord, faire de la zone
d'intérêt commun un espace maritime où les ressources
à exploiter comprennent à la fois les ressources
pétrolières et gazières et toutes ressources biologiques.
« La gestion commune de cette zone peut se faire avec ou sans
frontière maritime, selon les termes et conditions voulus par les
parties concernés92 ».
Toutefois, la zone de développement conjoint en tant
que sous-catégorie des frontières fonctionnelles, n'est pas une
solution optimale ou permanente aux différends non résolus
relatifs aux frontières maritimes. « On peut cependant avancer que
la zone de développement conjoint constitue un processus qui encourage
la résolution d'un différend frontalier maritime entre deux Etats
qui consentent à explorer, exploiter et gérer conjointement des
ressources minérales partagées qui chevauchent la ligne de
division de leurs plateaux continentaux respectifs93 ».
2. Le droit conventionnel et la zone de développement
conjoint
La question qui se pose ici est de savoir s'il existe des
dispositions dans la Convention de 1982 qui, implicitement ou
expressément, font référence à la notion de zone de
développement conjoint.
a. L'obligation juridique de coopérer
L'obligation juridique de coopérer peut s'entendre de
deux manières. Soit les Etats coopèrent pour trouver une
méthode applicable à la délimitation de la
frontière maritime, soit ils coopèrent pour exploiter ensemble
les ressources communes sans envisager dans l'immédiat le tracé
de la frontière. C'est dans cette seconde situation que l'alternative de
la zone de développement conjoint est envisagée. En effet, les
paragraphes 3 des articles 74 et 83 de la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer prévoient, en ce qui concerne la délimitation du
plateau continental et de la zone économique exclusive, qu'« en
attendant la conclusion de l'accord [...] les Etats concernés, dans un
esprit de compréhension et de coopération, font tout leur
possible pour conclure des arrangements provisoires de caractère
pratique et pour ne pas compromettre ou entraver pendant cette période
de transition la
91 M. ALEXANDER, International maritime
boundaries, Vol. II, 1993, P. 60.
92 Y. CISSE, Op. Cit., P. 49.
93 P. WEIL, Op. Cit., P. 275.
25
conclusion de l'accord définitif. Les arrangements
provisoires sont sans préjudice de la délimitation
finale94 ».
A l'examen de ces dispositions, on s'aperçoit que le
concept de zone de développement conjoint n'est pas dans sa lettre un
produit de la Convention de 1982, il l'est tout au moins dans son
esprit, car les paragraphes 3 posent le principe de l'arrangement provisoire en
attendant le règlement définitif de la délimitation. Toute
la question est de savoir, qu'entend-on par « arrangement provisoire de
caractère pratique » ? On peut le définir comme un «
accord d'exploitation conjointe de la ressource indivise fondée sur
l'idée de coopération entre les Etats impliqués. Il s'agit
d'un régime transitoire qui répond ainsi à un objectif
bien défini par la Convention de 1982, celui de «
permettre aux Etats une exploitation optimale de leurs ressources marines pour
les fins de développement socio-économique95 ».
Par ailleurs, l'expression « esprit de compréhension » laisse
entendre que les Etats concernés doivent savoir qu'en droit et en fait,
ni l'un ni l'autre ne peut unilatéralement exploiter la zone.
b. Nature juridique et avantages de la zone de
développement conjoint
Nous avons conscience des limites juridiques de l'approche de
la zone de développement conjoint qui, au regard du droit international,
n'est pas d'application générale. Elle relève encore d'un
régime supplétif, dont l'application reste largement tributaire
de la bonne foi et de la volonté politique des Etats concernés.
« S'il est reconnu que c'est le juge international qui a eu à
formuler le principe de l'exploitation commune des ressources du fond marin, ce
dernier n'a cependant jamais eu l'occasion de l'appliquer à un cas de
délimitation maritime96 ». Dans le fond, nous
sommes d'avis que la Convention sur le droit de la mer en ses articles
74 §3 et 83 §3 permet de soutenir que les Etats ont une obligation
juridique de conclure un accord de coopération ou d'exploitation des
ressources partagées. Le professeur R. Lagoni va même plus loin en
affirmant que l'approche de la zone de développement conjoint est
devenue du « droit coutumier97 ».
94 CNUDM, Art., 74 et 83.
95 Y. CISSE, Op.Cit., P. 51.
96 Id., P. 69.
97 R. LAGONI, Oil and gas deposits across national
frontiers, Londres, A.J.I.L., 1979, P. 218.
26
CHAP. II. PERSPECTIVES CRITIQUES DE L'ACCORD DE
GESTION DES HYDROCARBURES DANS UNE ZONE MARITIME D'INTERET COMMUN
Depuis les indépendances des Etats africains, sur la
côte ouest africaine, les compagnies pétrolières ont
favorisé l'exploitation des hydrocarbures au détriment de la
question de la délimitation des frontières maritimes.
Fondamentalement donc, l'opération de délimitation maritime est
un acte unilatéral parce que l'Etat concerné a seul
qualité pour y procéder. Mais, l'opération en
elle-même peut provoquer des conséquences internationales.
Notamment, elle peut aboutir à un chevauchement de titres juridiques
dans un même espace. C'est le cas lorsque la définition du plateau
continental doit s'étendre jusqu'aux côtes d'un autre Etat ou
serait partagé avec un autre adjacent. Certaines de ses ressources
naturelles, telles le pétrole peuvent dicter, en préliminaire,
des négociations à dominance économique, lesquelles, du
fait même de leur caractère original, imposent des
établissements de coopération interétatique tel l'accord
signé par l'Angola et la République Démocratique du Congo.
Dans le présent chapitre, il sera question d'étudier la teneur
substantielle de l'accord de Luanda de 2007 (Section I) et de confronter ce
dernier aux dispositions de la convention des Nations Unies sur le droit de la
mer (Section II).
Section I. TENEUR SUBSTANTIELLE DE L'ACCORD DE LUANDA
SUR LA GESTION DES HYDROCARBURES
La présente section entend d'abord étudier
l'objet et la nature de l'accord sur l'exploration et la production des
hydrocarbures dans une zone maritime d'intérêt commun conclu entre
la RDC et l'Angola (§1), ensuite, il sied de souligner que le
présent accord de gestion conjointe ne procède pas à la
délimitation maritime et n'est qu'un arrangement provisoire dit
d'administration conjointe, d'où la nécessité de faire
état de la clause du dépôt unique (§2).
§1. DE L'OBJET ET DE LA NATURE DE L'ACCORD BILATERAL
A. Objet de l'accord
Le conflit demeure, sans doute, une forme fréquente des
relations internationales. « Traduction des contradictions
internationales, il n'a cessé de marquer le droit international. Et, en
particulier, les tentatives de ce dernier d'atteindre une coexistence pacifique
entre
27
Etats98 ». L'évolution relativement
récente du droit international a mis en évidence les principes
fondamentaux qui président aux relations amicales et la
coopération entre Etats. « En effet, la nécessité de
rechercher une solution aux différends par la voie diplomatique a des
origines lointaines99 ». Car l'entente directe entre les
parties en litige est considérée comme la façon la plus
simple de régler le différend. « C'est un instrument par
excellence du maintien des relations pacifiques entre Etats100
».
« L'Angola et le Congo-Kinshasa sont historiquement et
sociologiquement liés. Leur situation et leur configuration ne peuvent
être que des facteurs de rapprochement, car leur contiguïté
géographique les y contraint 101. De plus, l'économie,
comme les autres facteurs, joue un rôle de premier plan dans les rapports
entre les deux pays disposant pratiquement des mêmes ressources : bois,
diamant, or, pétrole, cuivre,... Il sied également de souligner
à cet effet que les deux Etats en présence appartiennent dans le
golfe de guinée. « En droit de la mer, tout golfe constitue une mer
semi-fermée102 ». En l'espèce, ledit golfe, au
sens étroit, est encombré de nombreux Etats, du Nigeria à
l'Angola. La plupart de ces Etats ont déjà procédé,
soit par voie conventionnelle, soit par voie judiciaire, à leurs
délimitations maritimes.
La question de délimitation maritime dans le golfe de
guinée est fortement problématique étant donné le
nombre important d'Etats, les inégalités de superficie entre ces
Etats et surtout la configuration des côtes. Didier Ortolland parle de
« délimitation délicate des côtes en raison de leur
configuration » et de configuration qui « forme pratiquement un angle
droit103». Ainsi, certains Etats sont
désavantagés par la configuration des côtes et se
retrouvent avec des espaces maritimes extrêmement réduits, c'est
par exemple le cas de la RDC. La République Démocratique du Congo
est géographiquement désavantagé au regard du droit de la
mer, du fait « de la concavité du golfe de Guinée en
général et des côtes congolaises en particulier, ce qui
crée un effet d'enclavement de son territoire
maritime104». De cet enclavement maritime résulte
l'impossibilité pour la RDC d'avoir accès aux eaux
internationales.
98N. GHOZALI, La négociation diplomatique
dans la jurisprudence internationale, Bruxelles, Bruylant, 1992, P.
323.
99Q. NGUYEN, P. DAILLIER, A. PELLET, Droit
international public, 4e éd., Paris, L.G.D.J., 1992, P.
764.
100N. GHOZALI, Op. Cit., P. 323.
101I. NDAYWEL E NZIEM, Histoire
générale du Congo ; l'héritage ancien de la
République Démocratique, Paris,
Duculot, 1998, P. 315
102S. BULA BULA, Op.Cit.
103 D. ORTOLLAND, J.P., PIRAT, Atlas géopolitique des
espaces maritimes, Paris, Ed. Technip, 2008, P. 52.
104 M. KAMGA, Délimitation maritime sur la côte
atlantique africaine, Bruxelles, Bruylant, 2006, P. 198.
28
Ainsi, pour assurer la coprospérité
économique et le bon voisinage entre la République
Démocratique du Congo et la République d'Angola, « les deux
gouvernements ont, en effet, considéré la volonté
politique des chefs d'Etat des deux pays, ainsi que leur propre
détermination à promouvoir une coopération
économique fructueuse en attendant l'aboutissement des discussion sur le
tracé proprement dit des frontières maritimes105
». La résultante de cette dernière, est l'accord sur la
l'exploration et la production des hydrocarbures dans une zone maritime
d'intérêt commun que ces deux Etats ont identifié sur la
côte atlantique.
La volonté exprimée par le gouvernement de la
République Démocratique du Congo et celui de la République
d'Angola est d'oeuvrer ensemble et de partager fifty-fifty les revenus
générés par l'exploration pétrolière dans la
zone du littoral qu'ils ont appelé « zone d'intérêt
commun », ZIC en sigle. C'est l'idée qui ressort de l'article 3 de
l'accord sous analyse qui prévoit que « La répartition des
intérêts entre les parties dans la ZIC se présente de la
manière suivante : République Démocratique du Congo : 50%,
République d'Angola : 50%106 ». Cet accord de gestion
conjointe ne procède pas à la délimitation maritime,
encore moins du plateau continental et n'est qu'un arrangement provisoire dit
d'administration conjointe. Cet accord, permet de réduire la
fréquence des conflits de souveraineté, les différends
territoriaux et de s'engager dans l'exploitation de la zone.
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