A. Définition et régime juridique de la
frontière maritime
La frontière internationale des Etats, à
l'époque moderne, est généralement conçue comme
« une ligne continue, fixe, séparant et délimitant deux
territoires étatiques adjacents72 ». Cette conception,
étroitement adaptée aux frontières terrestres des Etats,
n'est pas transposable à leurs frontières maritimes.
Déjà, en droit de la mer « classique », la mer
territoriale, en tant qu'espace soumis à la souveraineté
territoriale de l'Etat côtier, était considérée
comme la « frontière maritime » de celui-ci. «
Le régime frontalier s'applique, non pas simplement à
l'entrée ou à la sortie de la mer territoriale, mais sur toute la
zone qu'elle constitue, sous réserve du respect du droit de passage
inoffensif dont bénéficie tout pavillon étranger dans les
conditions requises par le droit international public73 ». Le
développement de l'emprise côtière a donc provoqué
un dédoublement ou un démembrement de la frontière
maritime en plusieurs limites spécifiques, concrétisant
l'émiettement des compétences frontalières, autrefois
concentrées dans la mer territoriale et bornées par sa limite
extérieure. Cette « ventilation sur un vaste espace
côtier national explique l'impossibilité d'une conception
linéaire de la frontière maritime de l'Etat. Mais le
recours à la notion de frontière-zone correspond ici à une
réalité géographique précise et à des
utilisations originales du milieu marin côtier dont découlent des
effets juridiques identifiables et effectifs74 ».
Cependant, « la caractéristique principale de la
frontière maritime, par rapport à la frontière terrestre,
demeure sa mobilité, son instabilité chronique et
peut-être, irréductible sinon par résorption de tout
l'espace disponible. La principale raison est, sans doute, politique : au large
de sa mer territoriale l'Etat côtier ne rencontre pas d'autre
souveraineté exclusive lorsque ses intérêts le portent
à étendre son emprise75 ». « Mais, la
certitude est venue des techniques géométriques (lignes de basses
droites) ou des évaluations chiffrées (distances exprimées
en milles marins). Cependant, l'emploi de telle ou telle méthode
dépend du résultat que l'Etat veut obtenir : s'il est
dépourvu d'un large plateau continental, il optera pour le
critère de la distance. A l'inverse, s'il bénéficie d'une
vaste plate-forme continentale, il refusera de renoncer au critère de
l'exploitabilité ou se prononcera pour le critère
géologique.
72P. REUTER, Droit international public,
Paris, P.U.F., 1976, P.176.
73 G. APOLLIS, Op. Cit., P. 14.
74 Ibid.
75C. CHAUMONT, Cours général de
droit international public, Paris, R.C.A.D.L., 1970, P. 422.
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S'il possède des îles, il adoptera le
système des lignes de base droites. Si son littoral forme des baies, il
invoquera des titres historiques, etc. D'une façon
générale, tous les arguments sont avancés dans le but
d'accroître l'emprise côtière76 ». On
appréciera donc essentiellement le dynamisme des frontières
maritimes à travers l'étude des limites externes de
l'emprise côtière, que l'expansionnisme politique des Etats a
porté à des distances et des profondeurs insoupçonnables
au début de ce siècle.
B. Les conséquences de l'absence des
frontières maritimes définies sur le régime juridique des
gisements pétroliers transfrontaliers
Le pétrole se retrouve de façon
générale lorsqu'il est en offshore dans les plateaux
continentaux, « ceux-ci constituent d'ailleurs la zone maritime qui
dispose de gisements plus dispersés en comparaison avec la
répartition des gisements terrestres77 ». La Convention
de Montego Bay de 1982 définit ainsi le plateau continental dans le
paragraphe 1 en son article 76 : « Le plateau continental d'un Etat
côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa
mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du
territoire terrestre de cet Etat jusqu'au rebord externe de la marge
continentale, ou jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, lorsque
le rebord externe de la marge continentale se trouve à une distance
inférieure78». Sur cet espace maritime, tout comme sur
la zone économique exclusive, un certain nombre de droits, dits droits
souverains, sont reconnus à l'Etat côtier. Il s'agit en fait d'une
« compétence d'attribution, de nature
fonctionnelle79 ». Puisque selon l'article 77 paragraphe 1
de la Convention, l'Etat côtier ne dispose pas d'une pleine
souveraineté sur son plateau continental. Sur cet aspect, la
souveraineté pleine sur le plateau continental signifierait que l'Etat
« exerçât l'ensemble ou l'essentiel des compétences
qu'intègre ce concept, aussi étendues que sur son territoire
terrestre, ses eaux intérieures ou sa mer territoriale ». C'est
dans ce sens qu'il ressort de l'article 77 paragraphe 1 de la Convention que :
« L'Etat côtier exerce des droits souverains sur le plateau
continental aux fins de son exploration et de l'exploitation de ses ressources
naturelles80 ».
Néanmoins, il arrive que les plateaux continentaux se
chevauchent ou que deux Etats partagent un même plateau continental pour
ainsi dire et par conséquent la même nappe de
76 G. APOLLIS, Op. Cit., P. 16.
77 J. P., BEURIER, Droits maritimes, Paris,
Dalloz, 2e éd., 2010, P. 1086.
78 CNUDM, art., 76.
79 J. P., PANCRACIO, Droit de la mer, Paris,
Dalloz, 2010, P. 200.
80 Id., P. 203.
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pétrolière. Il ne s'agît alors plus d'un
Etat côtier, mais de deux Etats qui ont chacun des prétentions sur
la manne pétrolière. Ils ne peuvent exercer les droits
énoncés ci-dessus sans que l'un ou l'autre ne les conteste. C'est
alors que l'on cherche à procéder à une
délimitation. Mais celle-ci n'est toujours pas aisée car les
Etats n'ont pas pour ambition première de répartir les ressources
mais bien de maximiser le potentiel de leur économie en gérant
l'entièreté des ressources disponibles.
C'est ce qui explique l'abondance de la jurisprudence en
matière délimitation du plateau continental, depuis l'Affaire
du plateau continental de la mer du Nord du 20 février 1969 ; car
comme nous le soulignions, bien que les Etats ne le mettent que rarement en
avant, il s'agît presque toujours de manière sous-jacente des
ressources naturelles. Ainsi, dans le cas d'une absence de frontières
maritimes clairement établies dans le Golfe de Guinée les Etats
côtiers se heurtent sans cesse à cette difficulté, c'est la
situation concrète du différend frontalier maritime opposant la
RDC à l'Angola. Ils se retrouvent dans l'incapacité d'exploiter
les ressources pétrolières transfrontalières de
façon unilatérale. Ce qui les conduit généralement
à opter pour une exploitation commune.
§2. EXPLOITATION COMMUNE DES RESSOURCES
TRANSFRONTALIERES : DU REGIONALISME MARITIME A L'ESSOR DU DEVELOPPEMENT
CONJOINT
« L'extension des limites offshore sous juridiction
des Etats côtiers est un acte de souveraineté continue sur les
espaces maritimes contigus aux territoires terrestres81 ».
Mais cet élargissement fonctionnel des zones marines et sous-marines
s'accompagne généralement par des revendications concurrentes sur
les ressources et explique, dans une large mesure, les nombreux contentieux de
délimitation maritime entre Etats côtiers. L'exploration et
l'exploitation des gisements transfrontaliers de pétrole ou de gaz
s'inscrivent dans ce cadre conflictuel. Entant que ressources partagées
et nécessitant une coopération entre Etats concernés, ces
gisements posent des problèmes quant à leur régime
juridique et plus particulièrement leur délimitation (A).
Cependant, la pratique des Etats a fait émerger une solution pragmatique
: la zone de développement conjoint (B).
81 P. WEIL, Op. Cit., P. 275.
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