CHAPTITRE I : APPROCHE THÉORIQUE ET
CONCEPTUELLE
L'étude de la temporalité narrative, dans
l'oeuvre nécessite au préalable une lumière sur les
notions fondamentales y afférentes. Il s'agit essentiellement de la
notionde structure et d'ordre temporel. Mais comment pouvons-nous
aborder l'ordre temporel d'un roman,sans parler de temps ?
I. La
notion de temps
« Vous avez certainement observé ce fait
curieux, que tel mot, qui est parfaitement clair quand vous l'entendez ou
l'employez dans le langage courant, et qui ne donne lieu à aucune
difficulté quand il est engagé dans le train rapide d'une phrase
ordinaire, devient magiquement embarrassant, introduit une résistance
étrange, déjoue tous les efforts de définition
aussitôt que vous le retirez de la circulation pour l'examiner à
part, et que vous lui cherchez un sens après l'avoir soustrait à
sa fonction momentanée ? Il est presque comique de se demander ce
que signifie au juste un terme que l'on utilise à chaque instant avec
pleine satisfaction. Par exemple : je saisis au vol le mot Temps. Ce mot
était absolument limpide, précis, honnête et fidèle
dans son service, tant qu'il jouait sa partie dans un propos, et qu'il
était prononcé par quelqu'un qui voulait dire quelque chose. Mais
le voici tout seul, pris par les ailes. Il se venge. Il nous fait croire qu'il
a plus de sens qu'il n'a de fonctions. Il n'était qu'un moyen, et le
voici devenu fin, devenu l'objet d'un affreux désir philosophique. Il se
change en énigme, en abîme, en tourment de la
pensée. » Paul Valéry (1945 : 132)
Ce propos est significatif de l'embarras où nous nous
trouvons chaque fois que se présente à notre esprit l'une ou
l'autre des grandes notions qui caractérisent le propre de l'homme : par
exemple l'amour, le désir, la mort. Le Temps fait assurément
partie de ces repères qui, parce qu'ils sont cardinaux, sont difficiles
à définir. Il fait partie de ce qu'on appelle « les
catégories fondamentales » du texte romanesque. Il permet comme
l'espace d'organiser nos perceptions en une représentation du monde. En
effet, de la même manière qu'on ne peut imaginer un texte
romanesque sans narrateur, sans indication spatiale etc. de la même
manière, on ne saurait imaginer un roman qui échappe à
tout ordre temporel. Dans un roman, il y a toujours une suite
d'événements enchaînés depuis un début
jusqu'à une fin. Ainsi, nous allons présenter quelques approches
marquantes qui ont été proposées pour cerner cette
notion.
I.1. Le temps
phénoménologique
Le romancier Claude Simon, dans son discours de
réception du prix Nobel de littérature (1986 : 25),
évoque le trouble magma d'émotions, de souvenirs, d'images qui se
trouvent en lui lorsqu'il est devant sa page blanche. Ce magma constitue, avec
la langue, le seul bagage de l'écrivain :« c'est que l'on
écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé
avant le travail d'écrire, mais bien ce qui se produit [...] au cours de
ce travail, au présent de celui-ci ». Pour Claude Simon,
l'écriture n'a qu'un seul temps, le présent. Mais n'est-ce pas
là le cas de toutes les activités humaines ? Le temps, disait
Kant, ne nous attend pas hors de nous, déjà tout organisé
; c'est notre conscience au contraire qui le déploie, à partir de
sa présence au monde, en présent du futur, présent du
présent et présent du passé. Telle est la conscience
intime du temps, pour un phénoménologue comme Husserl : nous
percevons quelque chose, voilà le présent; mais ce présent
est parfois orienté vers l'attente, l'anticipation, et le futur
apparaît. Ou c'est le passé qui se constitue, lorsque nous
maintenons, aux marges de la conscience, ce qui vient d'avoir lieu : le
passé immédiat qui sert de socle au souvenir et à la
remémoration.
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