Conclusion
En conclusion nous souhaitons synthétiser les
résultats de notre recherche avant de dégager quelques pistes
d'évolutions :
En premier lieu, l'essor du contentieux
exercé dans l'intérêt collectif est in fine et avant tout
révélateur des questionnements relatifs à la place de la
justice dans les relations sociales. L'action dans l'intérêt
collectif, est l'exemple parfait de l'action syndicale collective et
l'archétype du droit en état de guerre mobilisé pour
consolider ou conquérir de nouvelles faveurs et de nouveaux droits.
L'époque n'a jamais été autant propice à
l'embrigadement du droit collectif et à la recherche de la place de
l'intérêt collectif. La reconnaissance ancienne de la
prérogative par les chambres réunies n'a pas complétement
neutralisé les débats liés et autour de la notion
l'intérêt collectif. L'exercice de cette action a connu depuis son
apparition et bien avant des obstacles liés essentiellement aux
frontières mouvantes entre les différentes essences
d'intérêts : L'intérêt de l'individuel,
l'intérêt général, l'intérêt de
l'entreprise et l'intérêt collectif. Un intérêt
collectif que je me permets de définir comme étant : « Le
soucis à la fois inédit et commun dont la solution de principe
est favorable en premier pour une catégorie professionnelle
entière et déterminée et pas uniquement pour l'individu ou
la société ». Si les questions ont porté sur la
confrontation entre intérêt collectif et individuel on pense
qu'aujourd'hui elles portent surtout sur une possible articulation entre les
deux versants de la même quête. L'action, prérogative
exclusive des Syndicats professionnels a connu à partir de sa
consécration par les chambres réunies une grande
prospérité. Cette expansion continue a été
facilitée par des conditions d'exercices simples qui ont conduit
à une recevabilité abondante devant des juridictions multiples et
pour diverses demandes. Ces conditions tiennent à un paramétrage
ancien et très ouvert à la fois du droit d'agir et des statuts du
groupement vindicatif. Des conditions qui habilitent en définitive tout
syndicat quel que
soit sa représentativité à élever
une prétention devant la justice pour exprimer son point de vue sur
une question qui intéresse l'intérêt collectif de la
profession dont il estime qu'il en a la garde et surtout un mot à dire
sur elle. L'action à multiples fonctions, a ainsi servi en même
temps à protéger la légalité professionnelle et
sociale dans sa conception large et de manière plus sophistiquée
à respecter la conventionalité c'est-à-dire les textes
collectifs. L'extension de l'action en la matière a permis d'admettre
aux syndicats non-signataires le droit d'agir en exécution de la
convention collective. Une extension qui a laissé aussi l'article
2262-10 C.T (déclinaison particulière de l'article 2132-3 C.T)
à la marge des textes utilisés. L'examen des affaires admises
devant les différentes juridictions nous a permis de classer les
domaines d'intervention de l'action en 5 thèmes principaux : En premier
lieu la
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défense de la santé et de la
sécurité, en second lieu la défense des conditions de
travail, puis la défense des droits et des prérogatives
collectives, ensuite la défense de l'intérêt
général, professionnel et économique et enfin la
défense des conventions collectives. Dans ces affaires jaillissent
à chaque fois une question de portée générale
liée à la fois aux politiques gestionnaires et organisationnelles
de l'employeur et aux droits rattachés à la personne du
salarié ou à l'institution élue. L'action peut alors avoir
pour but de protéger « un droit ou une prérogative »,
à créer « La jurisprudence à suivre », ou de
solutionner « La problématique primordiale du moment » ou
celle « en laquelle se reconnait une catégorie professionnelle
déterminée ». Le régime est facilité au point
que la jurisprudence admet parfois que certaines atteintes « ouvrent
nécessairement » la porte à l'examen d'une
prétention. Cette fonction de veille sociale et de consolidation des
acquis s'ajoute à l'efficacité attendue de l'action principale ou
de l'intervention du syndicat. Les syndicats professionnels auront en effet le
pouvoir à la fois de développer leurs propres arguments et de
demander à la justice en plus des dommages et intérêts, que
des illicéités soient déclarées ou des
régularisations soient faites aux salariés. Autrement dit, des
demandes incidentes dont les effets peuvent affecter la situation individuelle
du salarié et dont l'effectivité, la dissuasion et la diffusion
ne laissent aucun doute.
En second lieu, Cette expansion continuelle est cependant
freinée. Un ralentissement considérable est ressenti depuis
quelques années et qui s'est accéléré depuis peu de
temps. Ce mouvement est confirmé aujourd'hui parce qu'on observe une
jurisprudence de moins en moins accueillante vis à vis des
prétentions syndicales intéressant l'intérêt
collectif de la profession. C'est-à-dire on voit de plus en plus de
décisions de fin de non-recevoir pour motif d'absence de qualité
ou d'intérêt à agir qui sont prononcés par les
juridictions. La logique de ces exclusions est due au fond à une
reconfiguration des bornes classiques de la notion d'intérêt
collectif et surtout à un re-paramétrage
politico-législatif de la place du collectif dans le procès au
moyen d'articulations moins équilibrée avec la liberté
individuelle. Ainsi nous avions pu constater que certaines actions, certes
très rattachées à l'intimité du salarié ou
à son contrat de travail sont exclues du regard du juge quand bien
même elles avaient un versant collectif très prononcé et
que nul ne peut douter que le préjudice qu'elles invoquent porte en plus
atteinte à l'intérêt collectif de la profession. La
complexité du processus créateur de norme conventionnelle et
l'essor vénéré de ces dernières en droit du travail
ont permis d'éloigner les syndicats dans une certaine mesure de leur
vocation à contester les atteintes à l'intérêt
collectif. Et pourtant c'est dans l'effet ergaomnes que se trouve la substance
de cet intérêt collectif. C'est l'exclusion de certaines
infractions pénales du domaine de l'action dans l'intérêt
collectif qui nous a le plus choqué. On a pu vu voir un
écartement de certaines infractions pénales pour le simple motif
que la victime de l'infraction est extérieure à la profession
alors qu'en vrai il s'agissait de dysfonctionnement dans l'organisation de
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travail qui légitimerait en principe l'intervention du
syndicat. Plus loin encore, l'exclusion des infractions économiques et
financières aux motifs que le préjudice de ces infractions
n'affecte que l'intérêt général ou
l'intérêt sociétal et non pas l'intérêt des
salariés.
Cette exclusion est due à notre avis à un
héritage politique de dépénalisation des droits des
affaires et une envie de garder les affaires de l'entreprise hors de la
portée des syndicats.
Cette exclusion n'est ni claire ni assumée par la
jurisprudence. Elle devrait pour-autant le devenir avec l'introduction par la
Loi Pacte d'un bout de phrase qui donne aux salariés un peu plus de
« pouvoir » pour décider de leurs sorts en entreprise. C'est
de la mobilisation de cette disposition que naitra l'espoir d'une re-fusion
entre l'économique et le social. L'action dans l'intérêt
collectif régresse et freine aussi parce qu'elle se trouve
contrariée et sous tension. La tension vient en premier lieu de
l'entrée en jeux à la fois d'acteur concurrent qui ne
l'étaient pas à juste titre avant. Elle vient aussi de
l'entrée en jeux en droit de travail d'un mécanisme ambitieux qui
est censé pallier les inconvénients de l'action en substitution
et surtout de l'action dans l'intérêt collectif : l'action de
groupe. Ce fil conducteur nous a permis de voir sous un autre angle le conflit
positif entre la représentation élue et les syndicats dans
l'entreprise. Cette concurrence témoigne en réalité d'un
changement notionnel et essentialiste induit en effet par le basculement du
centre de gravité de l'intérêt collectif du
côté de l'entreprise. Ainsi le défaut de qualité a
été opposé au syndicat qui contestait par exemple la
qualité de l'information donnés à la représentation
élue. C'est un autre signe selon nous du placement des syndicats
actuellement sous la dépendance de l'institution élue. Les
associations ont contribué également à leur tour dans le
processus de déconstruction de l'action collective. La loi leur a en
effet étendu les habilitations nécessaires afin de
défendre des grandes causes très similaires au fond à
l'intérêt collectif d'une part, et d'autre part elle leur a
partiellement ouvert la porte pour exercer l'action de groupe.
Un contentieux altruiste mais où la liberté
individuelle est encore maitresse. La question de la régression de
l'action dans l'intérêt collectif ne saurait être
analysée sans la prise en compte de l'introduction de l'action de groupe
en droit du travail, une action conçue pour s'améliorer «
à petits pas ».460 Essayer de trouver de nouveaux
chemins qui concilient intérêt individuel et intérêt
collectif était à la fois un besoin mais aussi un risque. Un
risque à rebours de diluer l'action dans l'intérêt
collectif. L'équation à plusieurs degrés a
été résolue par une limitation du spectre de cette action
aux seules discriminations. Le dispositif est certes complexe et limité
mais il est beaucoup plus prometteur qu'il n'y parait. Porteur à la fois
de craintes et d'espoir, il a réussi à séduire même
les syndicats non
460 E. Claudel, Action de groupe et autres dispositions
concurrence de la loi de consommation : un dispositif singulier, RTD Com.
2014.339
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réformistes. Il faut l'admettre rien n'est plus
séduisant que la liberté. Le mécanisme est «
commercialisé » avec l'étiquette d'une meilleure jonction
entre individuel et collectif. La défense dans plusieurs affaires a su
tirer profit de ce dispositif pour essayer de l'améliorer à
travers des demandes « tests ». « L'intérêt (de
l'action de groupe) en termes de communication n'est pas négligeable. La
promotion de l'action de groupe pourrait permettre de mieux faire connaitre
l'action syndicale dans toutes ses dimensions » 461 L'action est aussi un
moyen qui prône une certaine déjudiciarisation du contentieux.
Autrement dit, mieux vaut un « règlement amiable » qu'un
« bon procès ». « Ce recours systématique aux
processus négociés est le signe d'une défiance à
l'égard de l'intervention des juges, ce qui parait contradictoire avec
l'idée même de l'action de groupe qui suppose de donner un
rôle prépondérant aux juges dans la lutte contre les
discriminations »462. Outre l'intérêt non
négligeable de la médiatisation, la cessation de l'illicite,
cette action a le mérite quand même de réussir à
toucher un fléau indétectable : la discrimination
systémique. C'est un outil de plus pour atteindre des discriminations
indétectables.
Enfin, on voit que cette action dans l'intérêt
collectif trouve de moins en moins sa place dans notre ordre juridique.
Contrainte elle est en train d'évoluer pour s'adapter au fond aux
mutations actuelles du droit social. Elle cherche infatigablement à se
réinventer. Des nouvelles pistes s'offrent à elle. Rien
n'empêche en fait de mobiliser cette prérogative à
l'internationale ou en Europe. La pratique judiciaire ouvre certaines voies
procédurales nouvelles, mais leur mise en oeuvre oblige à poser
la question de la compétence internationale en matière
d'intérêt collectif de la profession.
461 Sophie Rozez, L'action en justice, action individuelle,
action collective, le Dr. Ouvrier .Novembre 2014, n°796 p.739
462 Fréderic Guiomard, Revue des droits de l'Homme, 9,
2016, Varia n°52
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