Paragraphe 2 : L'avantage concurrentiel de l'action de
groupe
Malgré ses multiples « imperfections
»425, l'action de groupe n'est pas dénudée
d'intérêt. L'action relève d'abord de l'avenir des avocats
travaillistes pro-salariés qui veulent gagner des procès
intéressants contre des entreprises aux pratiques discriminatoires
contestables. Ensuite, l'action est plus intéressante pour les services
juridiques d'entreprises qui veulent en perdre le moins possible dans des
litiges mettant en causes un système défaillant de ressources
humaines nuisible à leurs images. L'action de groupe tire de plus en
plus profit de l'engouement des syndicats pour celle-ci. Ces derniers cherchent
en effet à exploiter son mécanisme à fin d'étendre,
faute de mieux, leur pouvoir d'agir en défense des intérêts
collectifs. « L'objectif était aussi de faire progresser le
dispositif légal, considéré comme inabouti
»426.
L'élan est initié pour autant par un «
gouvernement un peu hésitant »427. Le rapport
commandé par le gouvernement à Laurence Pécaut-Rivolier
428 a proposé d'instituer « une nouvelle jonction »
entre les actions individuelles et les actions collectives. Une nouvelle
articulation entre l'individuel et le collectif. « Le droit trace une
frontière étanche entre les actions exercées dans un
intérêt personnel et les actions collectives. Alors que les
premières permettent d'octroyer au profit des victimes les effets
attendus des règles antidiscriminatoires, les secondes ne permettent de
réparer que les préjudices propres au syndicat et non celui subi
par les victimes ».429 C'est un changement de paradigme.
L'action de groupe a donc été perçue
comme le moyen d'agir contre ces discriminations collectives que les actions
individuelles ne permettent pas justement d'y faire face efficacement. «
En faveur d'une extension de cette nouvelle procédure au monde de
travail, on remarquera que l'une des idées fondatrices de ce nouveau
mécanisme réside dans la volonté de simplifier les
démarches judiciaires des victimes, d'en faciliter l'accès au
juge et consécutivement de permettre l'effectivité de
425 Myriam El Yacoubi, Semaine sociale Lamy, n°1771,29 mai
2017, La première action de groupe est lancée p.2.
426 Majorie Champeaux, semaine sociale Lamy, n°1809, 3 avril
2018 p.2.
427 Fréderic Guiomard, Revue des droits de l'Homme, 9,
2016, Varia n°3.
428 Semaine sociale Lamy n°1611, p.5.
429 Frederic Guiomard, Revue des droits de l'Homme, 9, 2016,
Varia n°26.
90
l'application des règles de droit
détournées lorsqu'un seul et même acte est à
l'origine de dommages sériels ».430
Cette action, est en train de contrebalancer aujourd'hui le
poids classique de l'action dans l'intérêt collectif sur
différents aspects.
Ambitieuse, elle « promet de dépasser les
insuffisances de l'action en substitution et de l'action collective
».431 Et pourquoi pas « contribuer à lever les
freins de l'action contentieuse ».
L'avantage en matière de droits «
subjectifs » : La réduction récente du champ de
l'action dans l'intérêt collectif, notamment lorsqu'on la
confronte avec les droits individuels des salariés,432 est
liée à la consécration progressive de l'action de groupe
des syndicats. La raison, est que, justement, cette action de groupe ambitionne
de donner aux syndicats en compensation, la possibilité d'agir
individuellement pour le compte d'un groupe de salarié. Cette
hypothèse est confirmée par un arrêt publié par la
cour de cassation du 14 décembre 2016433 qui a limité
la recevabilité de l'action dans l'intérêt collectif aux
contentieux objectif de déclaration d'irrégularité des
pratiques patronales.
L'action dans l'intérêt collectif est
désormais irrecevable s'agissant des demandes ne tenant pas aux seuls
constats d'irrégularité des pratiques patronales.
C'est le cas par exemple des demandes de régularisation
financières résultantes de la déclaration
d'illicéité. Ces demandes de régularisations
étaient pour autant recevables.434 Le revirement
jurisprudentiel est justifié donc par la prise en charge de l'action de
groupe du contentieux « subjectif » subséquent à la
déclaration d'irrégularité.
Avantage en matière de la bonne administration
de la justice : Dans une affaire du 10 février
2016435 qui illustre bien la nuance entre action de groupe et action
dans l'intérêt collectif, la cour de cassation a affirmé
que l'action en requalification de Contrat à durée
déterminée en Contrat à durée
indéterminée appartenait au salarié.
Cependant, techniquement, les syndicats n'ont pas
demandé la requalification du CDD du salarié en CDI. Ce
n'étaient pas leurs demandes parce qu'ils avaient très bien
assimilé qu'ils ne pouvaient pas demander à la place d'un
salarié un droit contractuel qui est la transformation de son contrat.
Ce qu'ils demandaient en revanche c'était l'injonction (d'ordonner)
à l'employeur de procéder à la (requalification)
transformation du CDD en CDI. Ce n'était pas la même chose.
Ça voulait dire que
430 Béatrice lapérou-sheneider, « De la
nature répressive de l'action de groupe et de son extension en droit du
travail », Droit social n°3 Mars 2015 .p256.
431Odile Levannier-Gouel, Semaine sociale Lamy,
n°1741, 24 octobre 2016, « Fallait-l consacrer l'action de groupe en
droit du travail ? ». p.1
432 C'est toute la jurisprudence sur le fait que les syndicats
ne peuvent pas agir dans l'intérêt collectif pour demander la
modification des contrats de travail des salariés pour toucher à
la liberté contractuelle.
433 Soc 14 déc. 2016 n°15-20.812, préc.
434 Comme c'était le cas par exemple dans l'arrêt du
12 février 2013 n°1127.689, préc.
435 Soc 10 févr.2016, n°14-26.304, préc.
91
l'employeur devait s'exécuter mais la décision
de justice ne pouvait pas donner lieu à la requalification en
elle-même. En d'autres termes, les syndicats demandaient d'ordonner
à l'employeur de procéder à une requalification. Et si ce
dernier ne s'exécutait pas, tous ce qu'il risquait, c'est de voir
l'astreinte liquidée et non pas une requalification. C'était non
seulement perspicace mais aussi assez logique de la part du syndicat parce que
se faisant, il donnait aussi aux salariés un moyen de pression pour
qu'après ils n'aient pas à introduire de multiples contentieux.
Ce type d'injonction sous astreinte s'il avait été accepté
il aurait permis aux salariés de ne pas aller en procès pour
demander la requalification et demander le payement de l'indemnité
puisque l'employeur a été condamné. La question de la
bonne administration de la justice jaillie à la surface. Il y'avait dans
cette action un réel intérêt procédural aussi bien
pour les syndicats que pour la cour de cassation qui aurait pu admettre
ça. Les salariés auraient pu gagner ainsi aussi bien le temps que
l'énergie. Le refus de la cour de recevoir l'action peut être
justifiée par une politique de réticence à l'égard
de ce genre de demande. Ce type d'action (dite déclaratoires par ce que
Le syndicat demande de déclarer qu'une pratique est illégale dans
une entreprise) est aujourd'hui admis en matière de discrimination avec
les actions de groupes. La déclaration de culpabilité de
l'employeur dans le cadre de l'action de groupe et la définition des
périmètres du groupe permettent une meilleure administration de
la justice. Ce n'est pas étonnant que « La CGT ... plaide pour une
passerelle entre le jugement de reconnaissance de responsabilité
prononcé par le juge civil et la saisine individuelle du conseil de
prud'homme ».436 L'avantage vanté en définitive
étant l'agrégation du contentieux (et intérêts) dans
une action de groupe déclaratoire, la cessation et la «
réparation » du préjudice individuel dont l'action dans
l'intérêt collectif n'a pas « réussi » à
éponger.437
L'avantage en matière d'identification des
salariés : Les actions dans l'intérêt collectif
portent en elles le vice de l'indiscrétion. Il est presque impossible de
les intenter sans révéler l'identité complète du
salarié ou de risquer de l'exposer par conséquences aux
éventuelles représailles de l'employeur. La doctrine voyait en
ces désavantages un frein sérieux au déploiement de ces
moyens de lutte sociale. L'intérêt de l'action de groupe
réside donc dans le fait que les syndicats ou les associations
n'auraient pas à attendre l'accord du salarié pour pouvoir
amorcer une action qui porte atteinte à l'intérêt
collectif. Ces salariés sont dispensés de s'identifier au stade
précoce de l'introduction de l'action. Il s'agit d'un avantage
considérable par rapport à l'action dans l'intérêt
collectif. « L'action de groupe marque un point : elle peut être
engagée sans qu'il soit nécessaire de connaitre les victimes qui
pourront par la
436 Majorie Champeaux, « La première action de groupe
devant le TGI de Paris », préc, p.5
437 Les actions dans l'intérêt collectif « ne
peuvent pas permettre de reconnaitre directement des droits aux profits des
salariés victimes sans que ceux-ci engagent à leurs tour un
litige ou soient partie personnellement à l'action » : F.Guiomard
et I.Meftah, Entre égalité de traitement et harcèlement,
quel fondement juridique de la discrimination syndicale ? Etat des lieux et
analyse du contentieux entre 2012 et 2014, Travail et emploi n°145,
2016.p76 et 77.
92
suite se prévaloir du jugement constatant la
discrimination collective »438. Le mécanisme de l'action
de groupe permet ainsi aux salariés d'opter pour être dans le
groupe (système d'opt-in) et d'être indemnisés en
conséquence. Cette « adhésion (du salarié) au groupe
vaut mandat tacite »439 au syndicat. Les actions de groupes
permettent donc de combiner les faveurs accordées aux actions
collectives avec celles accordés aux actions individuelles compte tenu
des mesures décidées par le magistrat.
L'avantage financier et probatoire : D'abord,
dans l'action de groupe « Tous les recours sont regroupés dans une
seule procédure ... Cette procédure allégée niveau
formalités permet de mutualiser les couts, ce qui incite les
requérants de se joindre, même pour un faible préjudice,
sans crainte de perte financière au final ».440
Ensuite, la preuve d'une discrimination est bien souvent
difficile à rapporter surtout pour un salarié qui n'a pas
toujours accès aux documents de l'entreprise. La chambre sociale et
criminelle est assez exigeante441, en temps normal, à propos
de l'accès des salariés aux documents appartenant à
l'entreprise442 ; C'est pourquoi, en matière de
discrimination, un régime de preuve « aménagée »
voir partagée avait été mis en place. Le salarié va
apporter en effet devant le juge des éléments de nature à
laisser penser que l'employeur a commis une discrimination, et il reviendra
à l'employeur de prouver qu'il n'a pas commis de discrimination. Et
donc, l'intérêt de l'action de groupe c'est de permettre justement
au groupe de salariés d'entrer en possession d'un plus grand nombre de
moyen de preuve. Le syndicat représentatif ou les associations
agréées titulaires de cette action, pourront accéder
à un certain nombre de documents et d'informations qui concernent
l'entreprise par le biais des institutions représentatives du personnel.
Ils peuvent également avoir recours à une expertise. L'avantage
de l'action de groupe réside alors dans une sorte de «
mutualisation » des efforts probatoires afin de rendre l'action plus
efficace. C'est un autre point de plus pour l'action de groupe. L'exemple
typique c'est le fait que « La CGT s'est appuyée sur la fameuse
méthode Clerc443 qui a fait ses preuves devant les
438 Odile Levannier-Gouel, préc, p 2.
439 Action de groupe : ce qui est déjà possible
aujourd'hui, Service juridique CFDT, publié le 12.06.2013.
440 Action de groupe : ce qui est déjà possible
aujourd'hui, Service juridique CFDT, publié le 12/06/2013.
441 Il faut que le salarié ait eu connaissance de ces
documents à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Et, il faut aussi
que ces documents soient indispensables à l'exercice des droits de la
défense.
Or il peut être difficile pour un salarié qui
tente d'appréhender de tels documents d'évaluer, sur le moment,
à quel point telle ou telle pièces seraient utiles dans le cadre
de sa procédure. Si le salarié ne respecte pas ces conditions, il
risque d'être condamné pour vol.
442 Cass. Soc. 2 déc. 1998 n°96-44.258.
443 « Panel » ou « preuve statique », La
méthode est basée sur des panels de comparaison constitués
de salariés entrés dans l'entreprise en situation comparable. Ces
panels sont construits à partir d'un triptyque : analyse des faits,
modélisation et comparaison : F.Guiomard et I.Meftah,
préc.p.77.
93
tribunaux ».444 En effet, le syndicat, qui a
les moyens financiers, juridiques et humains de rassembler ces preuves, va les
collecter en faveur du groupe de salariés victimes pour les
présenter plus tard dans le cadre de l'action de groupe.
Les salariés ont d'ailleurs la possibilité de
tirer parti des preuves ainsi récoltées et les utiliser ensuite
au profit de l'action individuelle qu'ils introduiront en parallèle. Une
fois la discrimination reconnue au niveau du groupe, il sera plus facile
d'aller individuellement devant le juge. Il apparaîtra alors
évident au juge que le salarié a subi une discrimination
individuelle. Le salarié n'aura simplement qu'à présenter
le dossier des preuves préalablement constitué lors de l'action
de groupe pour être indemnisé, puisqu'une discrimination aura
déjà été reconnue. Ce qui pourrait être
intéressant aussi c'est que cela pourrait entraîner des actions
individuelles successives. C'est-à-dire que tous les salariés de
l'action de groupe pourront individuellement, aller en justice pour se faire
reconnaitre la discrimination et donc se faire réparer, ce qui pourrait,
au final et à long terme couter plus cher à l'employeur. En
définitive, cette action « présente de nombreux avantages
pour les victimes, psychologique, financiers, médiatique et judiciaire
». 445 « Les syndicats fournissent ici un appui à la fois
matériel et symbolique, qui facilite l'accès à la justice
pour les salariés ».446
L'avantage en matière de cessation de
l'illicite : L'action de groupe a quand même un avantage
concurrentiel par rapport à l'action dans l'intérêt
collectif notamment en matière de cessation du manquement. Les demandes
faites par la défense pour obtenir des mesures collectives très
pratiques en matière de défense de l'intérêt
collectif sont révolutionnaires. « Pour la première fois
(dans l'affaire Safran précitée), le juge va pouvoir examiner les
causes de discriminations et, surtout, contraindre l'employeur à
modifier ses pratiques managériales si la discrimination collective est
reconnue ».447 Ce genre de demandes, auraient
échoué s'il était présenté dans le cadre de
l'action dans l'intérêt collectif. En témoigne
l'arrêt du 10 février 2016 précité. « A ce
stade, un outil peut s'avérer utile : l'astreinte avec liquidation au
profit du trésor public, et non au profit du syndicat demandeur. Une
nuance qui pourrait favoriser des astreintes élevées de la part
du juge ».448 Rappelons au passage qu'en droit de la
procédure, l'injonction (généralement sous astreinte)
donne la possibilité au requérant de demander en cas de son
inobservation à ce que l'astreinte soit liquidée par le juge. Le
juge judiciaire a un pouvoir d'appréciation sur sa liquidation et sur
son montant quand bien même, c'est lui qu'il l'a fixé
444 Majorie Champeaux, préc. p.1
445 L-G. Tin, M. T. Allal et S. Lemaire, note de synthèse
préc.
446 Fréderic Guiomard, Revue des droits de l'Homme, 9,
2016, Varia n°20.
447 Majorie Champeaux, « La première action de
groupe devant le TGI de Paris » semaine sociale Lamy, n°1809, 3 avril
2018.p3
448 Myriam El Yacoubi, Semaine sociale Lamy, n°1771,29 mai
2017, La première action de groupe est lancée p 2.
94
préalablement. L'examen de certaines actions de groupe
pendantes permet de déceler une manière intéressante de
rédiger les demandes. Par exemple « Les demandes formulées
par la CGT sont ainsi regroupées en quatre catégories
»449 ; D'abord, une injonction générale à
l'entreprise d'éponger et de remédier au mieux à toute
discrimination. Ensuite, des injonctions plus précises d'élaborer
des processus adaptés afin de stopper les manquements.
Le cas échéant, une demande d'élaboration
par l'entreprise d'un indicateur partagé.
Enfin une demande pour contraindre l'entreprise à
prendre des mesures préventives et pratiques. « Pour permettre la
mise en oeuvre des mesures destinées à faire cesser le
manquement, le juge peut désigner un tiers choisi parmi tous
professionnel justifiant d'une compétence dans le domaine
considéré ».450
Ces demandes concrètes imaginées par la
défense pour faire cesser la situation illicite donne à l'action
de groupe un réel avantage concurrentiel par rapport à la
classique action dans l'intérêt collectif
L'avantage médiatique : La pression
médiatique est d'abord un point extrêmement important en
matière judiciaires, notamment dans le cadre de l'action de groupe.
Contrairement à l'action dans l'intérêt
collectif où la médiatisation du litige n'est pas très
développée, l'action de groupe semble avoir la capacité de
tirer avantage de cet élément inscrit déjà dans son
ADN. La médiatisation de l'affaire peut être utilisée,
efficacement, par les syndicats comme un instrument de pression face à
l'auteur de la discrimination. Ce que l'on constate dans les actions de groupe
qui ont été menées jusqu'à présent, c'est
que les syndicats ont à chaque fois convoqué la presse. L'effet
de surprise est déstabilisant presque à tous les coups pour un
syndicat soucieux de son image. Il y'a souvent un côté infamant
pour l'employeur, de se voir reconnaitre par l'opinion publique une
discrimination. Le fait que cela concerne un groupe, va faire beaucoup plus de
bruit qu'un cas isolé. La capacité de mobiliser l'opinion
publique contre l'employeur et autour d'une question sensible, donne beaucoup
de force à cette action. Du coup cela pourrait avoir plus de
conséquences néfastes sur l'entreprise tel que par exemple le
boycott de ses produits, l'altération de son image, d'éventuelles
pertes financières en raison de la perte de clientèle. Chose que
cette dernière redoute plus qu'une peine civile. Certains syndicats,
notamment la CGT, ont vu en cette pression médiatique
l'opportunité de faire pression sur l'employeur et de se positionner
favorablement pendant les négociations. On retrouve lors de la
négociation précontentieuse cette idée de «
l'épée de Damoclès » qui menace l'employeur. Cette
posture à la fois menaçante et intimidante permet
d'égaliser les rapports de forces.
449 Majorie Champeaux, « La première action de
groupe devant le TGI de Paris » semaine sociale Lamy, n°1809, 3 avril
2018.p4
450 Myriam El Yacoubi, Semaine sociale Lamy, n°1771,29 mai
2017, La première action de groupe est lancée p3.
95
L'utilisation du verbe « égaliser » part du
postulat que dans une négociation collective classique l'employeur est
plus souvent en position de force. L'employeur serait ainsi, en principe, plus
disposé à négocier de bonne foi, avec en principe une
réelle volonté de faire cesser la discrimination et à
mettre en place des mesures de prévention concrètes.
L'avantage en matière de discrimination
systémique : Le droit de la non-discrimination s'est construit
en France autour d'actions individuelles. Or une discrimination n'est pas
seulement un fait d'individu à individu, mais peut s'inscrire aussi dans
un système. Les nouvelles discriminations comme celle basées sur
l'âge ou le sexe ou l'appartenance sont difficiles à
débusquer même avec les notions de discriminations directes ou
indirectes. Cette insaisissabilité a poussé à «
réfléchir sur à une autre grille de lecture, celle des
discriminations systémiques » 451. Cette notion,
ignorée jusque-là en droit français a été
définie par plusieurs auteurs452. Il y'a souvent en ces
définition une sorte de référence à l'absence
d'intentionnalité. En vérité on devrait s'interroger s'il
y'a vraiment des discriminations non intentionnelles et dans ce cas, est ce
qu'on peut parler de discrimination systémique. L'adjectif «
Systémiques » serait en référence au «
système » mais aussi et dans une certaine mesure à la
systématique.
Le terme systémique devrait surtout être compris
comme systématique plutôt que comme faisant
référence à un système. La référence
à un système renvoi pour-autant à une sorte de flou, de
vague et d'absence d'intention en fait. Il y'a effectivement des
discriminations qui ne sont pas formalisés comme telles et qui sont
parfois pratiqués sans même qu'on s'en rende compte. En
réalité on devrait tout simplement partir de l'idée qu'on
peut sanctionner une discrimination sans même rechercher l'intention. Le
contre-exemple est cependant révélateur, lorsqu' on
s'aperçoit par exemple que toutes les femmes d'une entreprise sont moins
bien payées que les hommes. Le comportement de l'employeur
découlerait des stéréotypes de genre qu'il aura
intégré lui-même dans sa façon de penser et d'agir.
Dans cette situation, il faudrait une action permettant de prendre en compte
ces femmes comme un groupe pour faire cesser la discrimination. C'est tout
l'intérêt de manier cette notion. Notion qui échappe
à l'action dans l'intérêt collectif et qui peut constituer
un avantage concurrentiel pour l'action
451 Marie Mercat-Bruns, L'identification de la discrimination
systémique, RDT novembre 2015. p. 672
452 Laurence Pécaut-Rivolier propose une
définition dans son rapport sur les discriminations collectives : «
la discrimination systémique est une discrimination qui relève
d'un système, c'est-à-dire d'un ordre établi provenant de
pratiques, volontaires ou non, neutres en apparence, mais qui donne lieu
à des écarts de rémunération ou d'évolution
de carrière entre une catégorie de personnes et une autre. Cette
discrimination systémique conjugue quatre facteurs : les
stéréotypes et préjugés sociaux ; la
ségrégation professionnelle dans la répartition des
emplois entre catégories ; la sous-évaluation de certains emplois
; la recherche de la rentabilité économique à court terme.
La particularité de la discrimination systémique étant
qu'elle n'est pas nécessairement consciente de la part de celui qui
l'opère. A fortiori, elle n'est pas nécessairement
décelable sans un examen approfondi des situations par catégories
», Rapp. L. Pécaut-Rivolier, Lutter contre les discriminations
au travail : un défi collectif, 17 déc. 2013, p. 27.
96
de groupe. Cet intérêt collectif, de vouloir
combattre « des combinaisons de désavantages liés à
des pratiques, des institutions ou des structures sociales »453
a rendu une partie de la doctrine progressiste un peu plus nuancée
aujourd'hui au sujet de l'action de groupe. Une position que je rejoins quand
on examine de près certaines actions de groupe tel est le cas de
l'affaire Safran en matière de discriminations syndicale. « Il est
difficile, sans action de groupe, de monter l'ampleur de ces
phénomènes ... Dans ce cas une action transversale ... peut
révéler ces pratiques récurrentes plus subtiles
».454 Cette nouvelle action a pour intérêt donc de
définir un groupe de lésés, identifiables, par le biais de
critères de rattachements autres que le critère prohibé
commun de discrimination.
Le temps de la négociation : La
culture grandissante du règlement amiable des différends a
influencé le mécanisme d'action de groupe. En effet, l'article L.
1134-9 du code du travail impose au demandeur, avant d'intenter toute action,
une mise en demeure qui initie une période de six mois pendant laquelle
va s'engager une période obligatoire de « discussion sur les
mesures permettant de faire cesser la situation de discrimination collective
alléguée ». Cette période retarde le recours au
contentieux. Ce passage par la case du dialogue a été
critiqué. « Certains y voient un signe des temps et de la
méfiance à l'égard du juge qui les caractérise
». 455 Ce basculement relève d'une volonté «
d'éviter toute judiciarisation inutile ».456Cette
croyance en la force de la discussion et son pouvoir de changer les choses a
séduit plus qu'une confédération. La CGT457 par
exemple semble, être plutôt favorable à la phase
précontentieuse de l'action de groupe.
Selon les syndicalistes, elle serait un instrument qui permet
de favoriser le dialogue social, avec cette idée que ce n'est pas le
juge qui permet d'appliquer au mieux les garanties du droit du travail, mais ce
sont les syndicats, par le rapport de force. Le juge ne serait pas vraiment
utilisé ici pour sa fonction de juger mais pour la menace qu'il
représente pour l'employeur, qui ne serait plus en position de refuser
de négocier ou de refuser des avantages au cours de la
négociation. Ce discours est justifié aussi par François
Clerc, pour qui le but est finalement « de forcer au dialogue car les
employeurs sont toujours dans le déni ».458 Ce qui est
confirmé dans la plupart des affaires récentes.
453 A. Mc Colgan, Discrimination, Equality and the law, Hart,
2014, p 33
454 Marie Mercat-Bruns, L'identification de la discrimination
systémique, RDT novembre 2015. p. 673
455 Patrice Adam, « l'action de groupe, sur l'audace
d'une réforme majeure », Droit social N°7/8 - juillet -aout
2017 p 638 et s
456 L'exposé de motif de la loi de justice du XX
siècle.
457 « C'est dans le cadre du dialogue social en instituant
des outils de diagnostic et de prévention, des indicateurs
partagés avec les représentants des salariés que l'on
parviendra à terme à se prémunir contre ce genre de
dérives » Propos tenus lors de la conférence de presse du 23
mai 2017 relative à l'action de groupe Safran Aircraft Engines.
458 Liaison soc. L'actualité n°17334, section
Acteurs, débat, évènements, 29 mai 2017.
En fait, les employeurs ont systématiquement
refusé de négocier lors de la phase de conciliation. Ce qui a
valu à cette phase latente le qualificatif de « dialogue de sourds
»459. Cette class action à la française permet en
même temps aussi aux employeurs de négocier après la
déclaration de culpabilité pour un règlement global du
procès. Dès lors, il est possible de se demander quelle sera la
nature de la négociation précontentieuse et de l'accord conclu
avec la direction à ce moment-là ? S'agit-il d'un
véritable accord collectif de travail au sens juridique du terme ou d'un
simple engagement de la part de l'employeur ? La loi reste floue à ce
sujet et aucune des actions engagées au titre de l'action de groupe n'a
permis de répondre à cette question dans la mesure où
aucune phase précontentieuse n'a abouti, Il n'a jamais eu d'accords
à notre connaissance.
97
459 Majorie Champeaux, semaine sociale Lamy, n°1809, 3 avril
2018.
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