Paragraphe 2 : L'exclusion de certaines infractions de
droit pénal des affaires
Ce sont pour la plupart « des délits
économique ou financiers commis par la société ou ses
dirigeants devant les juridictions répressives ».345
La jurisprudence de la chambre criminelle a tendance à
déclarer irrecevable la constitution de partie de civile du syndicat de
ce type de délits de droit pénal des affaires.
A titre d'exemple, la chambre criminelle a
déclaré la constitution de partie civile d'un syndicat
irrecevable afin de poursuivre des délits d'« Abus de bien social,
abus de confiance, escroquerie, recel, la présentation de comptes
inexacts, distribution de dividendes fictifs (et) le trafic d'influence
»346, les « détournements de fond et la prise
illégale d'intérêt »347.
Pour la chambre criminelle, il n'y a pas de différences
entre le préjudice porté « indirectement » à
l'intérêt collectif de la profession et le préjudice subi
par les salariés du fait de l'infraction.348 Et pourtant la
distinction entre les deux catégories de préjudices est
évidente.
Plusieurs critiques ; D'abord
l'intérêt collectif dépasse les simples
intérêts individuels de salariés additionnés. Cette
nuance est pourtant admise par la cour depuis très longtemps. Ensuite,
ce raisonnement comporte une perception très caractéristique du
statut des travailleurs au sein de l'entreprise. Un statut marginalisé,
dans une société de plus en plus conçue sur un
modèle patronal qui isole le salarié et le réduit à
un simple élément externe.349
341 Crim, 11 oct. 2005 n°05-82.414 Vs Crim 1er sept 2010,
n°10-80.577
342 Voir nos développements infra dans la sous-section 2
de la première partie.
343 Par contre l'assassinat d'un chauffeur de taxi n'implique
pas une atteinte à l'intérêt collectif de la profession
Crim.29 oct.1969, Bull. crim, n°274. (39)
344 Crim, 11 oct. 2005 n°05-82.414 Vs Crim 1er sept 2010,
n°10-80.577 (40)
345 Fréderic Guiomard, Droit Social, préc, p.134
346 Cyril Wolmark, préc, P.632
347 Frederic Guiomard, préc, p.134
348 Crim, 23 févr.2005, n°04-83.792, Dr, soc,
2005.588, obs.F.Duquense et Crim, 27 oct.1999, n°98-85.213, Bull. Crim,
n°236, Rev.Sociétés 2000.364, Note. B.Bouloc
349 B.Hatchuel et B.Segrestin, Refonder l'entreprise, Seuil,
2012.
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Cette conception nous choque particulièrement. Elle
heurte aussi le droit constitutionnel 350 en faisant barrage
à la participation de tout travailleur par l'intermédiaire de ses
représentants à la « gestion des entreprises » 351.
Elle opère malencontreusement une dislocation
maniérée entre le travail et le capital.
Du reste, La jurisprudence de la chambre criminelle nous
parait infondée parce que les termes de l'article 2132-3 C.T sont
clairement indifférents à la catégorie des infractions qui
porteraient atteinte à l'intérêt collectif de la
profession.
Le champ de recevabilité est normalement plus ouvert
par rapport aux associations parce que les dispositions de l'article 2-1 et
suivant du CPP enferment la constitution de ces associations de grandes causes
dans une liste limitatives d'infraction recevables.
Cette logique qui exclut une catégorie
spécifique de délit du champ de la recevabilité de la
partie civile est susceptible de freiner aujourd'hui l'action dans
l'intérêt collectif de la profession.
Du reste, le mouvement n'est pas si net qu'il n'y parait. En
effet dans une affaire ou la recherche de culpabilité du dirigeant
était basée sur l'infraction de prise illégale
d'intérêts, l'action dans l'intérêt collectif a
été jugée recevable puisqu'il était question dans
l'espèce d'une atteinte au même temps aux lois morales de la
profession.
La doctrine voit dans la continuité de cette
orientation jurisprudentielle une potentielle « brèche
»352 à la recevabilité de l'action
d'intérêt collectif.
Plusieurs justifications à cette exclusion
: Le professeur Cyril Wolmark estime pour sa part que les nuances de
la jurisprudence pourraient provenir de la nature de l'infraction et de la
victime de ces infractions.353
On pense de notre côté que « l'image de la
profession » l'a emporté dans cette affaire (de prise
illégale d'intérêts) sur la nature économique de
cette infraction puisque sa « gravité et son inédit »
étaient capables d'irradier toute la profession.
Il nous semble qu'en dépit de ce raisonnement,
l'exclusion de ces délits économiques et financiers relève
d'une conviction jurisprudentielle consistant à conserver le recours en
justice aux seuls
350 L'alinéa 8 du préambule de la constitution de
1946
351 Cyril Wolmark, préc, p.633
352 Cyril Wolmark, préc, p.633
353 Cyril Wolmark, préc, P.632 et 633
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détenteurs du capital, « seuls »
légitimes et capables d'apprécier l'atteinte à
l'intérêt social (de l'entreprise).
Si on nous oppose le fait que l'intérêt de
l'entreprise est différent de l'intérêt collectif, nous
pourrons répliquer en disant que cette irrecevabilité est
motivée peut-être par la volonté d'empêcher toute
concurrence entre l'action syndicale et l'action At-singuli ou
at-universi354 qu'un associé ou un dirigeant peuvent engager
contre le dirigeant responsable.
En d'autres termes, il semblerait qu'on veuille bien tenir les
soucis pénaux de l'entreprise (économiques et sociaux) hors de la
portée des syndicats.
Cette tendance s'inscrit aussi à notre avis selon dans
le cadre d'un mouvement global initié à partir des années
2008 visant à « dépénaliser le droit des affaires
».355
De la réalité du préjudice subi
par les l'intérêt collectif : Dans ces affaires, il est
vrai que les associés et les dirigeants sont perdants. Mais
réellement, les plus grands perdants ce sont les salariés de
l'entreprise. D'abord parce qu'ils ne vont pas faire de réclamation de
salaire, ensuite parce que la société pourrait être
liquidée et enfin parce qu'ils pourraient perdre leurs emplois. Donc il
y'a milles et une raisons pour lesquelles les salariés sont directement
impactés par ce type d'infractions.
Prenons le cas par exemple des abus de marché public ;
les conséquences dramatiques de ces agissements sur l'entreprise ne
laisseraient aucun doute. L'entreprise ne peut souvent plus candidater aux
marchés publics, sa politique commerciale et ses capacités de
gain seront amoindris. Son pronostic vital sera engagé et les
salariés pourraient alors voir leurs emplois par conséquence
menacés voir supprimés.
Cette jurisprudence est donc très rétrograde. On
ne le répétera jamais assez ; la société n'est pas
composée uniquement de dirigeants ou d'actionnaires. Elle est
également composée de salariés qui devraient en principe
participer à sa gestion. Ignorer leur intérêt collectif,
serait malheureux.
Le débat de savoir qui fait partie de l'entreprise ou
pas a refait surface au moment de la loi Pacte du 22 mai 2019 relative à
la croissance et la transformation des entreprises.
354 L'action « ut universi » est l'action en
responsabilité engagée par les dirigeants eux-mêmes par
contre l'action « ut singuli » est dirigée par l'un des
associés de la société.
355 Rapport Coulon sur la dépénalisation du droit
des affaires, Groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon,
Janvier 2008
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Un rapport ultérieur à cette loi intitulé
« L'entreprise, objet d'intérêt collectif » a
recommandé d'inscrire dans cette loi que « La société
doit être gérée dans son intérêt
propre356, en considérant les enjeux sociaux et
environnementaux de son activité » en assurant, entre autres,
« la reconnaissance des travailleurs »357. Le nouvel
article 1833 du code civil (modifié par la loi PACTE) a retenu dans son
deuxième alinéa que « La société est
gérée dans son intérêt social ».
Rapporté au contentieux de l'article 2132-3 C.T, ce bout de phrase
pourrait fonder la recevabilité de la constitution de partie civile des
syndicats afin d'en poursuivre les délits économiques ou
financiers exclus par la cour de cassation.
Cette loi peut être « une note d'espoir ... dans le
sens d'une plus grande démocratie »358 comme elle peut
être une subtilité pour « redorer le blason de la grande
entreprise, parce que c'est là que l'on déplore les
dérives les plus médiatisées »359 du droit
de travail.
Notre réalisme nous pousse à pencher pour la
deuxième alternative tout en encourageant les syndicats de travailleurs
à exploiter le potentiel de ce « bout » d'espoir.
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