Sous paragraphe 2 : Le contentieux relatif à la
négociation collective
Les questions relatives à la recevabilité de
l'action dans l'intérêt collectif s'inscrivent également
dans la sphère grandissante du droit de la négociation
collective.
Les arrêts Euro Disney du 12 juin 2001327
suivis des arrêts Aventis Pharma du 21 janvier 2004328 et
Michelin 26 mai 2004 329 ont estampillés la capacité
des syndicats à requérir l'application des conventions
collectives. Si l'article 2262-11 C.T semble conférer l'exercice de
l'action en exécution des conventions collectives aux syndicats
signataires exclusivement, l'arrêt Eurodisney avait admis la
recevabilité de l'action dans l'intérêt collectif de la
profession pour tout syndicat (signataire ou non) si la convention avait
été étendue330 et ce avant que cette condition
ne soit plus exigée par les arrêts Michelin et Aventis Pharma
précités.
Le doyen J.M Verdier, grand spécialiste de la question
a pu conclure à propos de cette jurisprudence que le champ statutaire du
syndicat requérant l'emporte sur le champ conventionnel de la convention
collective.
En d'autres termes, l'atteinte portée à
l'intérêt collectif couvert par le champ statutaire du syndicat
est forcément une atteinte à l'intérêt collectif de
la profession susceptible d'être défendue en justice par tout
syndicat, qu'il soit signataire de l'accord ou pas.
327 Soc, 12 juin 2001 n°00-14.435, D.2002.361 ;
Dr.soc.2001.1019, obs. H.Antonmattei
328 Soc, 21 janvier 2004 n°02-12.712, Aventis Pharma,
Bull.civ.V.n°26, D.2004.323, obs. Dr.soc.2004.375, note B.Gauriau
329 Soc. 26 mai 2004 n°02-18.756, Michelin, Bull.civ.V,
n°143, D.2004.1866 obs. Dr.Soc.2004.839, note P-H.Antonmattei
330 Voir nos développements dans la section 2 de notre
première partie.
68
Un arrêt récent de la cour de cassation du 23
janvier 2019331 est allé dans le même sens en indiquant
que l'action dans l'intérêt collectif est recevable même
lorsque la convention est contestée par un seul salarié, rejoint
par un syndicat. Cependant, un arrêt antérieur du 19 novembre
2014332 est venu pour poser une condition nouvelle et implicite pour
agir ; L'action dans l'intérêt collectif ne serait recevable que
par une Organisation syndicale capable de conclure un accord ou une convention
collective et donc par une organisation Syndicale représentative.
Cette condition est surprenante puisqu'elle ne figure pas
parmi les conditions prévues à l'article 226211 C.T. Rappelons
que cet article n'exige, pour que des syndicats puissent « intenter en
leur nom propre toute action visant à obtenir l'exécution »
d'une convention collective, seulement le fait qu'elle soit « liée
par une convention ou un accord ». On pressent ici la volonté de
lier la capacité d'agir en justice avec la capacité du syndicat
à négocier un accord collectif.
Autrement dit, comme si le syndicat n'est capable d'agir en
justice en défense de l'intérêt collectif que lorsqu'il est
représentatif.
Une telle exigence pourrait freiner le déploiement de
l'action dans l'intérêt collectif.
En outre, l'action visant à annuler l'accord collectif
semble être restreinte en termes de recevabilité. En effet, si la
contestation de la validité de l'accord est recevable
indépendamment de la signature du syndicat (lorsque la nullité
alléguée est absolue), la contestation ne le sera pas
(irrecevable) en revanche si le syndicat invoquant la nullité relative
n'est pas signataire.
La mutation du droit de la négociation collective
semble ainsi influencer la recevabilité de l'action dans
l'intérêt collectif. Le doyen Verdier333 a
évoqué cette problématique en opposant la « logique
statutaire » protégée par les organisations syndicales d'une
part à une logique « contractualiste » de la
négociation d'autre part.
L'action dans l'intérêt collectif de la
profession visant à appliquer ou annuler un accord collectif devrait
être reçue en justice normalement sans trop de restrictions.
331 Soc, 23 janv. 2019 n°17-22-769, publié au
Bulletin
332 Soc.19 nov. 2014, n° 13-23.899, Bull.civ.V, n°271,
D.2014.2414, RDT 2015.126, obs.I.Odoul-Asorey
333 In Fréderic Guiomard, Droit Social 2020, préc
p.135
69
Sous-section 2 : L'exclusion de certaines infractions
pénales
L'invocation par les syndicats de l'atteinte à
l'intérêt collectif a toujours été admise devant les
juridictions pénales et ce quand bien même elle ait porté
parallèlement atteinte à l'intérêt
général de la société. Le principe a
été affirmé clairement par la chambre criminelle dans une
formule célèbre : « la circonstance qu'un texte a
été édicté dans un intérêt
général ne saurait faire échec à l'application de
l'article L 411-11 du code de Travail ».334 Autrement dit la
superposition des intérêts (collectif et général) ne
sont pas, en principe, exclusif l'un de l'autre. Et pourtant, la demande de
constitution de partie civile en défense de l'intérêt
collectif n'est pas automatiquement admise par les juridictions
répressives. Rappelons à ce titre que l'action en défense
de l'intérêt général est réservée en
principe au procureur de la république. Il va falloir donc se demander
où, principalement en droit pénal, l'action des syndicats est
irrecevable, c'est-à-dire quand est ce que la constitution de partie
civile est irrecevable ? Rappelons également de passage qu'être
une partie civile dans un procès revêt un double
intérêt. D'abord l'intérêt, est de déclencher
l'action dans l'intérêt public dans le cas où l'action
n'est pas faite par le ministère public. Ensuite, l'intérêt
est de pouvoir être « partie » victime au procès.
De multiples freins jurisprudentiels sont érigés
aujourd'hui (beaucoup plus qu'avant) devant l'action dans
l'intérêt collectif l'empêchant d'être recevable. Le
mouvement d'exclusion que nous allons exposer n'est pas très net
aussi.
La constitution de partie civile a été
refusée ainsi pour les syndicats dans des poursuites relatives à
certaines infractions de droit commun (paragraphe 1) et dans la majorité
des contestations qui concernent les infractions dites de « droit
pénale des affaires » (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'exclusion de certaines infractions de
droit commun
L'extranéité de la victime :
D'abord, La cour de cassation a déclaré la demande de
constitution de partie civile irrecevable, lorsque la victime de l'action est
un tiers extérieur à la profession, et ce quand bien même
l'infraction a été commise par un membre de la profession
335 dans des circonstances très discutables compte tenu de
leurs impacts sur les conditions d'exercice de la profession.
En effet, dans une affaire336 relative à la
responsabilité médicale où un pharmacien hospitalier est
accusé pour homicide involontaire, la cour de cassation n'a pas admis la
constitution de partie civile du syndicat de pharmaciens et ce malgré le
fait qu'une telle infraction aurait pu ouvrir la voie à ce
334 Crim, 20 novembre 1980, n°80-92.344.crim, n°309.
335 Crim 16 février 1999 n°98-81.621, Bull,
n°18, D.1999.79 et Crim 10 mai 2011, n°10-84.037, Bull. Crim.,
n°95 ; D.2011.1490 ; Aj pénal 2011.525, obs.J.Laserre Capdeville ;
Dr.soc.2011.1135, obs.F.Duquense ; RSC 2011.855, obs.A.Cerf-Hollender
336 Crim., 10 mai 2011, n°10-84.037, préc
70
dernier pour plaider contre une situation préjudiciable
à l'intérêt collectif de la profession de pharmacien. Dans
ce cas, le syndicat était face à une question de principe qui
concernait les conditions d'exercice et d'engagement de responsabilité
de la profession dont il a normalement vocation à défendre. On
pourrait se demander si la fin de non-recevoir de l'action du syndicat est
justifiée par la position du syndicat en tant que victime indirecte du
préjudice, puisque le préjudice subi par la victime d'un homicide
n'est pas le même préjudice subi par un syndicat. Ce raisonnement
dont on suspecte la cour de cassation d'emprunter ne tient pas à notre
avis. En effet et en examinant l'article 2132-3 du C.T, on ne trouve aucune
mention qui exige l'appartenance de la victime de l'infraction à la
collectivité demandant à être partie civile, ni une
exigence particulière d'une quelconque qualité. La loi donne aux
syndicats la possibilité d'être « partie à la
procédure, en l'absence de victime directe membre de la profession, mais
simplement pour corroborer ou provoquer l'action publique ». L'article
2132-3 C.T n'est en définitive qu'une exception à l'article2-1 et
suivant du code de procédure pénale qui n'autorise la
constitution de partie civile qu'à côté de la victime. Pour
corroborer notre analyse, on peut se référer à un
arrêt illustratif de la chambre criminelle du 13 avril 2010 où
« L'arrêt est, sur ce point, cassé sans renvoi. Les motifs de
la cour d'appel procèdent en effet d'une confusion entre
intérêt des membres du syndicat et ceux de la profession
représentée ».337 Le but de l'action dans
l'intérêt collectif dans le cas où la victime n'appartient
pas à la profession est justement de pousser l'employeur responsable du
préjudice affectant l'intérêt collectif de la profession
à la condamnation pénale. La doctrine338
suggère néanmoins d'étendre la compréhension fine
de la faute civile à la matière de pénale. Ensuite, il
ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle également que
seules les infractions protégeant « strictement » la
profession 339 sont admises. L'irrecevabilité de la
constitution de partie civile n'est décidée ainsi que lorsqu'il
s'agit d'infractions de droit commun pures.340 Au demeurant, la
jurisprudence de la chambre criminelle reste imprévisible à
propos du reste des infractions de droit commun, tantôt elle
reçoit l'action dans l'intérêt collectif et tantôt
elle la rejette pour des motifs pas tout à fait clairs. Ce qui se
dégage de l'examen de la jurisprudence en la matière c'est qu'il
y a un principe d'irrecevabilité qu'on a tempéré par des
exceptions relatives à la mort dans des circonstances
337 Agnès Cerf-Hollender, RSC 2010, Note Ss Crim. 13 avril
2010, n°08-85.775. p871
338 Cyril Wolmark, Cours Droit de la représentation des
intérêts, Université paris Nanterre.2020
339 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif
préc. p.632
340 Crim, 27 oct. 1992, n°92-84.511, Bull. Crim. N°344
à propos d'irrecevabilité de la constitution de partie civile
d'un syndicat de magistrat à l'occasion d'une tentative d'assassinat
dont a été victime un membre de la profession
71
d'homicide ou de blessures.341 Seul le
décès ou les blessures rendent l'action dans
l'intérêt collectif recevable, et pas n'importe
lesquelles342.
Ces atteintes doivent être corrélées
à la condition du non-respect des règles relative à la
sécurité au travail.343 C'est le cas par exemple de
l'effondrement du terminal 2B de Roissy.344
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