Sous paragraphe 1 : Exclusion de certaines actions qui
relèvent de la sphère privée
Selon la doctrine, c'est la notion de « l'intime
»311 qui encadre en principe l'action dans
l'intérêt collectif parce l'intime relève de la
sphère privée du salarié. Et comme il s'agit d'une
atteinte personnelle, le préjudice est par conséquence individuel
et non collectif. Cependant, la grande proximité de l'atteinte avec la
personne d'un travailleur n'est pas exclusive d'un quelconque préjudice
direct ou même indirect pouvant atteindre l'intérêt
collectif d'une profession. Bien au contraire, il est fréquent qu'une
atteinte relevant de la sphère privée mette en lumière un
dysfonctionnement dans l'organisation de l'entreprise.
Un dysfonctionnement tellement grave qu'il devrait être
logiquement couvert par le champ de l'action dans l'intérêt
collectif. Pourtant, la jurisprudence en la matière atteste d'une assez
grande prudence et imprévisibilité quant à la
recevabilité de ce genre d'action. S'il est compréhensible dans
certaines affaires que l'atteinte à l'intérêt collectif
n'est pas caractérisée (et donc l'action est irrecevable) en
raison justement de cette introversion, il nous semble que dans plusieurs cas
récents, la cour de cassation a été plus
sévère. En effet un syndicat a été privé
d'agir et a vu par conséquence son action sanctionnée par une fin
de non-recevoir dans une affaire où les faits étaient
préjudiciables à « la vie privée » d'un membre
de la profession. 312 Dans le même sens, une demande de
constitution de partie civile d'un syndicat a été rejetée
par la chambre criminelle au motif que le harcèlement-viol subi par le
salarié, pour autant sur son lieu de travail, ne portait pas atteinte
à l'intérêt collectif de la profession.313 Cette
interprétation restrictive a été justifiée
abusivement par la connexité des faits réprimés avec la
personne du salarié quand bien même l'acte incriminé s'est
produit dans l'enceinte de l'entreprise. Cet élément n'est pris
en considération qu'implicitement par la cour314. Ce qui nous
laisse présumer qu'il faut plus qu'un viol et plus qu'un cadre
professionnel pour que l'atteinte à l'intérêt collectif
soit reconnue. On comprend implicitement qu'il faut peut-être un «
choc » plus important ou une affaire très médiatisée
pour qu'une action syndicale soit jugée recevable.
La problématique d'harcèlement au travail est
pour-autant très connue et de plus en plus admise en tant que
problème lié aux conditions de travail.
311 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt
collectif, préc, p.633 et s
312 Civ 19 décembre 1995 n° 93-18.939, Bull.civ.I,
n°479, D.1997.158 ; RTD com., 1996.498, obs.E.Alfandari et M.Jeantin
313 Crim 23 janvier 2002, n°01-83.559, Bull. Crim.,
n°12, RSC 2002.832, obs.G.Giudicelli-Delage.
314 La cour explique dans la même affaire que la survenance
des faits dans un cadre professionnel n'est pas suffisante pour donner au
préjudice individuel une teinte collective.
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Le mouvement social encourageant la prise de paroles des
femmes par exemple pour dénoncer les viols et agressions de tout genre
est en plein essor315.
« La victime d'un harcèlement moral est souvent
isolée et psychologiquement affaiblie. Dans ses conditions, la mise en
mouvement de l'action publique peut lui paraitre insurmontable. De toute
évidence, les victimes préfèrent s'adresser au juge
prud'homal, plus proche, plus accessible, pour qu'il prononce la rupture du
contrat et mettre fin à une situation souvent devenue cauchemardesque
»316.
En conséquence, personne ne peut nier l'impact de cette
problématique sur l'intérêt collectif de la profession
parce qu'elle est en étroite liaison avec les conditions de travail. En
témoigne une analogie possible avec le délit d'harcèlement
moral déjà reconnu. En effet « Si le harcèlement
(moral) s'inscrit dans une démarche de management pervers et concerne,
non pas un, mais plusieurs salariés, le harceleur s'en prenant tour
à tour aux uns et aux autres, il semble que l'atteinte à
l'intérêt collectif soit caractérisée. (...) En
revanche, admettre l'action syndicale en présence de harcèlement
ciblé sur une personne peut paraitre plus délicat
».317 Du reste, la cour de cassation pourrait être plus
sensible à cet argumentaire « d'autant que l'article 1154-2 C.T
habilite le syndicat à exercer par substitution l'action même de
la salarié victime »318. Encore faut-il que les
syndicats parviennent à plaider le lien entre les faits
répréhensibles et la violation des conditions de travail. Le
maintien de cette jurisprudence restrictive représente un frein à
l'action dans l'intérêt collectif de la profession susceptible
d'empêcher sa recevabilité.
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