Sous paragraphe 2 : La défense de
l'intérêt général
Devant les juridictions pénales :
Certaines infractions à l'intérêt général
sont perméables, à l'admission d'autres intérêts
à l'instar de celui de la profession. L'intérêt
général n'est pas exclusif de l'intérêt de la
profession et l'action syndicale en défense de l'intérêt
collectif objet de l'article 2132-3 C.T peut être ainsi recevable devant
les juridictions pénales, tel est le cas par exemple s'agissant d'un
délit d'obstacle à l'accomplissement des fonctions d'un
contrôleur du travail.277 des poursuites pour
dénonciation calomnieuse 278ou à propos du meurtre
d'un inspecteur du travail par la personne qu'il
contrôlait.279
273 Nicolas Cayrol, Action en justice Dalloz Collection, Dalloz
Corpus 2019 ISBN n°496 p.234
274 S.Guinchard et Buisson, procédure pénale, 11eme
Edition. 2018, LexisNexis, n°1217.
275 Ex : Crim. 20 nov. 1984, n°84-91.237, Bull (en cas
d'exercice illégal de la profession de préparateur), Crim. 10
juill. 1973, n°71-93.712, (en cas d'exercice illégal de
l'activité des agences de voyages), Crim. 14 juin 1972, no 71-91.966,
Bull. (en cas d'exercice illégal de la profession d'ingénieur
conseil) et Crim. 5 janv. 1971, n°70- 90.712 (en cas d'infraction à
la police sanitaire des animaux).
276 Dalloz actualité, 24 janvier 2019, Mehdi Kebir
« Ordre des médecins : recevabilité de l'action en
défense de l'intérêt collectif de la profession » Civ.
1re, 12 déc.2018, F-P+B, n°17-27.415.
277 Crim. 4 oct. 1988, n°87-80.084.
278 Ex : Crim. 11 mars 2003, n°02-82.352, Bull.
279 Bordeaux, 17 mai 2005, Dr. ouvrier 2006. 40, note F. S.,
54
Les syndicats professionnels sont aussi recevables en cas de
procédures judiciaire ouvertes à l'encontre de certains membres
du conseil des prud'hommes.280
La défense des lois et règlements
devants les juridictions administratives : Parmi les exemples
relativement récents qui témoignent de la possibilité des
organisations syndicales à engager un recours contre une norme juridique
touchant les intérêts collectifs des travailleurs : le recours
devant le juge des référés engagé par une
confédération syndicale interprofessionnelle afin de suspendre
l'application de l'ordonnance n°2005-892 du 2 août 2005 relative
à l'aménagement des règles de décompte des
effectifs des entreprises.281 Le conseil d'Etat a
considéré que « l'application de cette mesure porte une
atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts
» du syndicat requérant (CGT-FO en l'espèce). 282
Sous-section 2 : La défense de la
conventionalité 283
L'action en justice des syndicats a trouvé
également un champ vaste, mais pas très soyeux, sur lequel elle a
pu s'étendre pour défendre l'intérêt collectif de la
profession : la défense de la conventionalité,
c'est-à-dire défendre l'exécution et la validité de
la norme collective. L'articulation entre conventions collectives et l'action
dans l'intérêt collectif est assez « subtile ».
284 La recevabilité de l'action dans l'intérêt
collectif en défense de la conventionalité peut être
basée juridiquement sur le fondement général de l'article
2132-3 C.T ou sur la base particulière de l'article 2262-10 C.T issu au
fond de la loi du 25 mars 1919285.
La qualité d'agir : Il convient de
rappeler que seuls les syndicats de salariés ou d'employeurs sont
qualifiés pour exercer l'action en justice en la matière. Les
institutions représentatives du personnel sont donc en principes
privées de l'exercice de telles actions. Il en va de même pour les
groupements qui ne détiennent pas la qualité de syndicat
professionnel286 . L'action en justice en défense de la
280 Crim. 3 févr. 2004, n°03-83.259, Dr. ouvrier
2004. 441 (Faux en écriture et violation du secret professionnel).
281 C.E 23 nov. 2005, n°286440 publié au recueil
Lebon
282 CE 13 janv. 1975, no 90193, Lebon 16, à
propos du recours contre des circulaires concernant la situation des
travailleurs étrangers en France
283 Le terme « conventionalité » est
emprunté à Emeric Jeansen, La semaine juridique Entreprise et
affaire n°39,28 septembre 2017,1515
284 Hélène Tissandier, « intérêt
collectif, intérêt catégoriel, intérêt
individuel : la complexité de l'action syndicale en justice » note
ss Soc. 22 févr. 2006, no 04- 14.771, inédit, RDT 2006. 329
285 Loi relative aux conventions collectives de travail.
286 V, sur ce point, nos développements sur la
qualité d'agir.
55
conventionalité a pour ambition d'appliquer les
stipulations de la convention collective et/ou de lui donner
l'interprétation qui convient au syndicat.287
L'action « générale » en
défense de l'intérêt collectif de la profession (Art 2132-3
C.T) est différente de l'action de l'action de l'article 2261-11 C.T
appelée aussi « Action du syndicat en son nom propre ».
Conformément à l'article 2262-11 C.T, Cette
action peut être intentée par tout syndicat ou groupement «
contractuellement » lié par la convention ou l'accord, pour
demander en son nom propre, l'exécution de la convention et le cas
échéant obtenir des dommages et intérêts en raison
du préjudice dont il a souffert.
136 : La loi du 25 mars 1919 a ouvert la porte aux syndicats
professionnels pour exercer l'action en défense de
l'intérêt collectif de la profession par le biais d'un texte
particulier relatif aux conventions et accords collectifs qu'est l'Article
2262-10 C.T. Cet article n'est qu'une « déclinaison
»288 de l'action générale des syndicats en
défense de l'intérêt collectif de la profession tel qu'elle
a été reconnue dans l'article 2132-3 C.T (Paragraphe 1). La
chambre sociale a tellement étendue la recevabilité des actions
syndicale sur la base générale de l'article 2132-3 C.T que
l'article 2262-10 C.T est tombé en désuétude (Paragraphe
2).
Paragraphe 1 : L'action générale de
l'article L 2132-3 C.T :
Le droit pour les syndicats d'ester en justice pour
défendre la conventionalité (et de manière indirecte
l'intérêt collectif) a progressivement été reconnu
sur la base générale de l'article de 2132-3 C.T. Cette
reconnaissance s'est faite en dépit des actions syndicales
spécifiques prévues par les articles 2262-10 et 2262-11 C.T.
Preuve d'extension, l'action dans l'intérêt
collectif de la profession est recevable aussi bien en cas de demande
d'exécution de la convention collective (sous paragraphe 1) qu'en cas de
contestation de sa validité à travers l'action en annulation
(sous paragraphe 2). Cette défense de conventionalité «
conduit aujourd'hui à admettre que l'action en exécution de la
convention collective puisse être exercée par des syndicats
non-signataire »289.
287 V. par exemple Soc. 2 déc. 2008, n° 07-44.132,
Semaine juridique n°10, mars 2009,1098 note Lydie Dauxerre à propos
de la détermination des avantage acquis par les salariés à
la suite de la dénonciation d'un accord collectif. Voir aussi Cass. Soc
20 nov. 2010 n° 09-42.990 s'agissant de l'inapplication d'une convention
collective non étendue. Note Yannick Pagnere, La semaine juridique
Social n°6, février 2011,1066
288 Manuela Grévy, Syndicats professionnels :
Prérogatives et action, Dalloz, Répertoire de droit du travail,
Avril 2014 n°136
289 Cyril Wolmark, l'action dans l'intérêt collectif
- Développements récents. Droit social n°7/8-juillet-Aout
2017. P.631
56
Sous paragraphe 1 : L'action dans
l'intérêt collectif en exécution de la Convention
Collective Une ouverture significative : En matière d'actions
en exécution de la convention collective on a assisté à
une évolution intéressante marquée par l'extension du
champ de l'action dans l'intérêt collectif de la profession. En
effet, avant les années 2000, La jurisprudence avait tendance à
déclarer l'action du syndicat en vue de l'obtention de
l'exécution de la convention collective irrecevable pour défaut
de qualité lorsqu'elle, l'action, se basait juridiquement sur l'article
2132-3 C.T.290
Mais depuis les années 2000, la cour a commencé peu
à peu à changer de position.
Elle admet de plus en plus l'action en exécution de la
convention collective sur la base de l'article 2132-3 C.T sans tenir compte ni
de la représentativité ni même du fait que le syndicat
demandeur a signé ou non la convention collective.
L'engloutissement de l'action de l'article 2262-11 C.T
: La cour de cassation a profité du contentieux relatif
à l'application de la convention collective étendue pour admettre
le principe de recevabilité de l'action syndicale. C'est l'arrêt
du 12 juin 2001 qui a marqué le coup. En effet, l'arrêt a
été l'occasion pour la cour de cassation d'autoriser la
recevabilité de l'action du syndicat en vue d'appliquer la convention
collective, sur la base générale de l'article 2132-3 C.T et non
pas sur celle de l'article 2262-11 C.T relatif à l'action contractuelle
du syndicat.
Le pas qui a été franchi par la cour de
cassation a été considéré par la doctrine comme
étant un « saut inhabituel ». Autrement dit, La cour s'est
située sur le terrain de l'action dans l'intérêt collectif
et s'est montré indifférente à l'existence ou non
d'actions particulières en cas de demande d'exécution d'une
convention collective, favorisant ainsi une interprétation extensive de
l'article 2132-3 C.T ; A ce titre, l'attendu de la cour est assez
révélateur ; « en cas d'extension d'une convention ou d'un
accord collectif qui a pour effet de rendre les dispositions étendues
applicables à tous les salariés et employeurs compris dans leur
champ d'application, les syndicats professionnels sont recevables à en
demander l'exécution sur le fondement de l'article L. 411-11 du code du
travail, leur non-respect étant de nature à causer
nécessairement un préjudice à l'intérêt
collectif de l'ensemble de la profession ». 291 Cette solution
est soutenable à notre avis car d'une part, la
généralité de l'article 2132-3 C.T n'est pas
imperméable à l'accueil d'une telle l'hypothèse et d'une
autre part parce que l'extension de l'accord est de nature à uniformiser
l'accès à la justice pour le syndicat bénéficiaire
de cette extension. La « condition »
290 Ex : Soc. 10 mai 1994, n°92-14.097, Bull. civ. V, no
173 ; RJS 6/1994, n°736. V. aussi Soc. 25 mars 1985, n°8312.714,
Bull. civ. V, no 204.
291 Soc. 12 juin 2001, n°00-14.435, Bull. civ. JCP 2002.
II. 10049, note Petit. Et dans le même sens V. Soc. 18 févr. 2003,
n°01-02.079, publié
57
jurisprudentielle liée à l'extension de la
convention collective, a fait toutefois l'objet de nombreux reproches tenant
essentiellement à l'effet ergaomnes des conventions collectives,
l'inapplication de ces dernières seraient nécessairement
préjudiciables à l'intérêt collectif de la
profession.
La conquête d'un nouveau
domaine292 : A l'occasion d'un arrêt du 3 mai 2007,
la chambre sociale a réussi à lever le doute qui s'est
installé en 2004293 s'agissant de la condition d'extension de
l'accord collectif supposée nécessaire à la
recevabilité de l'action dans l'intérêt collectif.
L'arrêt du 3 mai 2007 294 qui a
supprimé cette condition de manière définitive, marque
incontestablement le signe d'occupation par l'action dans
l'intérêt collectif d'un nouveau champ, qui est celui des accords
et conventions collectives. 295
En extrapolant la règle de recevabilité de
l'action dans l'intérêt collectif à tout litige mettant en
cause les conventions collectives, la cour de cassation a autorisé tous
syndicat à demander l'application de l'accord ou la convention
collective sur la base du préjudice porté à
l'intérêt collectif de la profession quand bien même
l'accord ou la convention n'est pas étendue et peu importe le niveau de
cet accord (Entreprise, Branche, groupe, établissement).
L'arrêt précité explicite en des termes
clairs que : « indépendamment de l'action réservée
par l'article
L. 135-5 du code du travail (devenu article L. 2262-11 C.T )
aux syndicats liés par une convention ou un accord collectif de travail,
les syndicats professionnels sont recevables à demander sur le fondement
de l'article L. 411-11 de ce code ( devenu article L. 2132-3)
l'exécution d'une convention ou d'un accord collectif de travail,
même non étendu, son inapplication causant nécessairement
un préjudice à l'intérêt collectif de la profession
»296. « La cour de cassation fait ainsi sauter l'un des
derniers verrous enfermant l'action en justice des syndicats en justice des
syndicats en matière de convention ou d'accord collectif
»297. Plusieurs arrêts ont permis ultérieurement
de confirmer cette orientation jurisprudentielle. 298 Le dernier
arrêt en date indique que l'action de l'article 2132-3 C.T est
recevable
292 Note Fabre, Ss. Soc 3mai 2007, n844 FS-P+BA. Dalloz
Actualité 24 mai 2007
293 Soc. 26 mai 2004, n°02-18.756, Bull. civ. V, no 143 ;
RJS 11/2004. 795, rapp. Morin. Et J-M verdier, La recevabilité de
l'action syndicale exercée dans l'intérêt collectif de la
profession après les arrêts Aventis Pharma et Michelin, Dr. soc.
2004. 845.
294 Le litige portait sur l'inexécution d'un accord de
participation aux résultats de l'entreprise.
296 Soc. 3 mai 2007, n° 05- 12.340, Bull. civ. V, n°68
; RDT 2007. 536, obs. Borenfreund.
297 Soc 3mai 2007, n844 FS-P+BA. Dalloz Actualité 24 mai
2007, Obs A. Fabre
298 V. Soc. 16 janv. 2008, n°07-10.095, Bull. civ. V,
n°10 ; RDT 2008. 245, obs. Véricel. , Soc. 25 mars 2009,
n°0744.748, Bull. civ. V, no 84 ; D. 2009. AJ 1092, obs. Maillard. , Soc.
30 nov. 2010, n°09-42.990, Bull. civ. V, no 276 ; JCP S 2011. 1066, note
Pagnerre.
58
abstraction faite de la signature de l'accord par le syndicat
qui l'engage et ce donc « indépendamment de l'action
réservée par l'article 2262-11 C.T aux syndicats liés par
une convention ou un accord »299
Intérêt collectif et effet ergaomnes
: Le non-respect de la convention collective produit un effet
néfaste à l'égard de tous les salariés. Un effet
ergaomnes selon George Borenfreund. Cet effet néfaste porte atteinte
à l'intérêt de la collectivité des salariés.
Et donc c'est cet effet préjudiciable à l'égard de tous
qui justifie la recevabilité de l'action dans l'intérêt
collectif de la profession. Le raisonnement est en totale corrélation
avec le principe même de l'action dans l'intérêt collectif
tel qu'elle a apparue en 1913 et codifié dans l'article 411-11 C.T
(devenu 2132-3 C.T). Cette disposition à caractère très
généralisant en dit long sur la capacité
représentative des syndicats. En effet, elle confère à
tous les syndicats professionnels, un « rôle de représentant
» des intérêts agrégés de la profession. Un
intérêt qui dépasse les membres du syndicat. Une action
« au nom de tous », qui reconnait à toutes les organisations
syndicales représentatives ou non, signataires ou non de la norme
collective le droit de demander son application ou de demander des dommages et
intérêt pour atteinte l'intérêt collectif.
Nouvelle optique : L'action dans
l'intérêt collectif a vu également son champ se
détendre malgré certaines restrictions jurisprudentielles d'ordre
procédurales. L'action principale du syndicat en application de l'accord
collectif n'est en principe recevable que si le syndicat sollicite cette
application au bénéfice d'une collectivité
déterminée et non pas à chacun des salariés
nommément désignés300. Facteur
d'éclatement du contentieux entre les juridictions et frein à
l'action collective, cette orientation a été
critiquée.301
L'évolution peut être saisie à travers un
nouveau raisonnement observé dans plusieurs jugements de la TGI qui ont
pris appui sur la jurisprudence de la chambre sociale.
Une Jurisprudence permissive qui a accordé aux
syndicats la possibilité de demander d'ordonner l'application des
conventions à une collectivité définie mais à
condition qu'il ne s'agisse pas de « droits déterminés au
profit de salariés nommément désignés
».302 Le mécanisme nous rappelle étrangement
celui de l'action de groupe.
299 Note F.Bousez. Ss. Soc. 11 juin 2013, no 12-12.818, semaine
juridique n°3. 21 janvier 2014. 1033.
300 G.Borenfreund, préc .536.
301 Note Ss TGI Nanterre, 23 nov. 2012, Dr. ouvrier 2013. 351.
302 V. Soc. 25 sept. 2013, no 12-13.697, Dr. ouvrier 2014. 41,
note Keller Lyon-Caen.
59
Dans l'affaire du 25 septembre 2013, « l'arrêt
casse partiellement la décision d'appel en se prononçant en
faveur de la demande de régularisation ... la cassation ainsi
prononcée a ajouté du pragmatisme à la solution, un
certain dynamisme puisque la solution peut être directement
exécutée »303
Ces tribunaux ont ainsi pu se prononcer en même temps
sur l'exécution matérielle de la convention collective ainsi que
sur la demande du syndicat visant à régulariser en bloc la
situation des salariés concernés. 304
Enfin, dernier espace dans lequel l'action
générale dans l'intérêt collectif déplorable
en matière d'exécution d'accord ou de convention collective a pu
s'étendre, c'est les accords atypiques. En effet l'inobservation de ces
accords par l'employeur cause inévitablement préjudice à
l'intérêt collectif de la profession. 305
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