Section 2 : La nature internationale du contrat
d'investissement
On retrouve des signes d'internationalité chez les deux
parties au contrat d'investissement. Cela se remarque d'une part au niveau de
l'État en ce qu'il a la particularité d'avoir une double
personnalité juridique, interne et internationale et, d'autre part, au
niveau de l'investisseur, qui du fait de sa nationalité
étrangère fait intervenir le droit international. Ainsi, la
qualité de sujet du droit international public de l'État
d'accueil des investissements et la qualité de personne
étrangère de l'investisseur, constituent des facteurs de
rattachement suffisants du contrat d'investissement au droit international.
Il importe de souligner que les développements qui
constitueront cette section sont tirés des réflexions faites sur
le contrat d'État mais qui sont tout aussi valables pour le contrat
d'investissement, qui (nous l'avons déjà relevé dans les
pages précédentes) n'est autre qu'un contrat d'État
portant sur des investissements internationaux. C'est pourquoi, nous
emploierons l'expression contrat d'État pour désigner celle de
contrat d'investissement134.
Il s'agira dans cette section d'aborder dans un premier temps,
la question préalable de l'ordre juridique dans lequel le contrat tire
sa force obligatoire. À cet effet, on relèvera le fait que le
contrat oscille entre au moins deux ordres juridiques, ce qui nous amène
à nous demander si le contrat d'investissement est un contrat en
quête d'un ordre juridique (§1). L'on présentera dans un
second temps la volonté d'une certaine doctrine tendant à faire
du contrat
133 C. LEBEN, « L'évolution de la notion de contrats
d'Etat », Rev. arb., 2003, pp. 630 et s.
134 Ceci dans le but de rester fidèle à l'esprit
des ouvrages relatifs à cette partie que nous avons consulté lors
de nos recherches.
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à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
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d'investissement un contrat internationalisé (§2)
en vue de pallier la pluralité d'ordres juridiques et avoir un ordre
juridique unique.
§1 : Un contrat en quête d'un ordre juridique
?
Plusieurs théories ont été
développées afin de clarifier la nature véritable de
l'acte juridique que constitue le contrat d'État. De ce fait le contrat
d'État peut être appréhendé comme un contrat sans
loi ayant son propre ordre juridique mais aussi comme un contrat appartenant
à un ordre juridique distinct des droits nationaux et du droit
international public (A). Ces théories qui constituent le fondement de
l'ordre juridique propre du contrat d'État ont fait l'objet de critiques
virulentes (B).
A.- Un contrat sans loi ayant son propre ordre
juridique distinct des droits nationaux et du droit international public
Selon une première conception, des auteurs ont
construit la thèse d'après laquelle , les contrats d'État
se suffiraient à eux-mêmes et auraient ainsi vocation à
créer leur propre ordre juridique détaché aussi bien des
droits nationaux que du droit international public. En d'autres termes, pour ce
courant particulier de la théorie du contrat sans loi, les contrats
d'État généreraient leur propre ordre juridique et
seraient exclusivement soumis à cet ordre. À ce titre, ils
constitueraient selon les termes d'A. Verdross, des «
quasi-international agreements »135.
Notons que la théorie du contrat sans loi est apparue
avec le courant de l'individualisme philosophique du 19e
siècle et soutient l'idée selon laquelle, le contrat se suffisant
à lui-même ne saurait se soumettre à aucune règle
qui lui est supérieure.136 Fondée sur une analyse
poussée à l'excès du principe de l'autonomie de la
volonté, cette théorie élève la volonté
individuelle à un rang supérieur à celui de toute
règle de droit, en ce sens qu'elle « reconnaît au contrat
la possibilité de naître, de se développer et de produire
ses effets juridiques en ne reposant que sur lui-même, c'est à
dire sans être soumis à une norme qui contrôle sa
validité »137. Autrement dit, l'appréciation
de la validité du contrat dans un tel
135 A. VERDROSS, « Quasi International Agreements and
International Economic Transactions », Yearb. World Aff., 1964, p.
217, cité par M. AUDIT et alii, op. cit., p. 200.
136 B. ARFAOUI épouse BEN MOULDI,
L'interprétation arbitrale du contrat de commerce
international, Thèse, Université de LIMOGES, 2008, p. 23.
137 Ibid.
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contexte se fait non en se référant à une
norme extérieure, mais en référence à la
volonté des parties.
Pour les défenseurs de cette théorie, bien que
le contrat soit détaché de tout système juridique, il ne
peut pas être considéré en réalité comme
étant sans loi car la volonté individuelle demeure sa propre loi.
Une telle conception fait de la volonté individuelle une source
normative concurrençant celle de l'État. Il faut reconnaitre que
la matière des contrats d'État est l'une des matières
où la théorie du contrat sans loi a prospéré. Elle
a été particulièrement soutenue dans cette matière
par P. Mayer pour qui, « si l'on met à part le droit des
États autres que l'État partie dont l'application dans
l'arbitrage des contrats d'États est exceptionnelle, on arrive à
la conclusion que les rapports contractuels ou non, entre l'État et
l'entreprise étrangère ne peuvent être soumis à
aucun droit »138.
Une deuxième conception soutient la thèse selon
laquelle, les contrats d'État évolueraient au sein d'un ordre
juridique distinct tant du droit international public que des droits internes,
et généralement dénommé le droit transnational,
lorsqu'il n'est pas assimilé à la lex
mercatoria139. Dans la logique de cette conception, le
droit transnational en question semble être un ordre juridique
spécifique avec un contenu différent de celui des droits
nationaux des États, du droit international public et même de la
lex mercatoria. Le fait de ne pas assimiler ce droit transnational
à la lex mercatoria se comprend aisément lorsque l'on a
connaissance de l'existence d'une certaine opinion doctrinale selon laquelle,
la lex mercatoria constitue elle-même un ordre juridique
autonome140.
En effet, pour les partisans de la lex mercatoria
érigée en ordre juridique, cet ordre est constitué
des éléments tels que les usages professionnels codifiés,
les clauses contractuelles répétées, les sentences
arbitrales appliquant des principes généraux.141 Il
s'agit en général de « tous les éléments
susceptibles de manifester la volonté des parties, des juges ou des
arbitres de s'écarter de l'application d'une loi étatique
désignée suivant la méthode traditionnelle des conflits de
lois »142. Dans cette hypothèse où l'on
considère la lex mercatoria comme un ordre
138 P. MAYER, « la neutralisation du pouvoir normatif de
l'Etat en matière de contrat d'Etat », JDI 1986. 5.
139 J-F. LALIVE, « Contrats entre Etats et entreprises
étatiques et personnes privées », RCADI 1984, vol.
181, P. 142. Cité par M. AUDIT et alii, op. cit., p. 201.
140 V. spéc. B. GOLDMAN , « la lex mercatoria dans
les contrats et l'arbitrage internationaux », JDI, 1979, 475.
Cité par E. GAILLARD, « la distinction des principes
généraux du droit et des usages du commerce international »,
in études offertes à Pierre Bellet, 1991, p. 203.
141 Ibid.
142 E. GAILLARD, « la distinction des principes
généraux du droit et des usages du commerce international »,
in études offertes à Pierre Bellet, 1991, p. 203.
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juridique à part entière, confondre le droit
transnational à celle-ci reviendrait à biaiser l'intention ou la
volonté qui consiste à faire de ce droit transnational un autre
ordre juridique à côté de la lex mercatoria et qui
s'en distingue.
Au regard des deux conceptions exposées, on remarque
que le contrat d'État peut être un contrat qui n'est
rattaché à aucune loi, créant ainsi son propre ordre
juridique ou un contrat évoluant dans un ordre juridique
préexistant avec un contenu très particulier. La
difficulté avec une telle situation est que l'on ne sait plus exactement
à quel ordre juridique appartient le contrat d'État, et par
conséquent duquel il tire sa force obligatoire. Ceci montre bien que ces
conceptions présentent des limites et comportent des insuffisances, ce
qui fait qu'elles n'ont pas échappé à la critique.
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