§2 : Un contrat réducteur de la liberté
contractuelle
En droit privé, l'un des principes fondamentaux
régissant la conclusion du contrat est le sacro-saint principe de la
liberté contractuelle, ce qui a fait dire que « le contrat par
sa nature respire la liberté »105. Ce
principe de la liberté contractuelle, découle de ce qu'on a
qualifié de dogme de l'autonomie de la volonté qui est une
théorie selon laquelle la volonté est toute puissante et qu'elle
est la seule à pouvoir s'autolimiter par ses propres lois106.
Fruit de la philosophie individualiste et de la doctrine économique
libérale (libéralisme économique) des 18e et
19e siècles en Europe107, l'autonomie de la
volonté repose ainsi sur deux principaux postulats. Le premier est que
l'homme est libre par essence avec une volonté qui est par voie de
conséquence autonome, et le second est que l'homme ne peut s'obliger que
par sa propre volonté108. Dans ce dernier postulat,
l'autonomie de la volonté se matérialise par «
l'affirmation selon laquelle l'obligation contractuelle repose
exclusivement sur la volonté des parties »109.
Dans cette dynamique libérale, la liberté
contractuelle peut être considérée comme « la
liberté de conclure ou non, avec qui l'on veut, diverses sortes de
contrats susceptibles d'être totalement aménagés par des
stipulations particulières »110. Ainsi donc, la
liberté contractuelle comporte quatre aspects ou quatre libertés
que sont la liberté relative au principe
105 P. ESMEIN, Obligations, T. IV, 1ère partie, in M.
PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil
français, Paris, LGDJ, 2e éd., 1952, p. 17.
106 D. TERRE-FORNACCIARI, « L'autonomie de la volonté
», Rev. sc. morales et politiques, 1995, p. 256.
107 L. LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit
privé », AJDA, 1998, p. 676.
108 J-C TAHITA, Théorie générale des
obligations, Ouagadougou, les éditions temple du savoir, 1ere
édition, 2e partie, 2014, p. 23.
109 J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les Obligations : L'acte
juridique, Armand Colin, 7e éd., t.1, 1996, n°
94.
110 L. LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit
privé », op. cit., p. 676.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
23
même de contracter ou de ne pas
contracter111, la liberté de choisir le cocontractant, la
liberté de fixer ou de déterminer le contenu du contrat et la
liberté des formes du contrat (forme verbale ou écrite, forme
officielle ou non officielle)112.
Il convient de noter que la liberté contractuelle
existe à toutes les phases du contrat. C'est ainsi qu'on la retrouve au
moment de la négociation du contrat, puis à la formation du
contrat et enfin à l'exécution du contrat. Cependant, le principe
de l'autonomie de la volonté a connu un déclin entrainant avec
elle dans sa chute la liberté contractuelle113. L'on a
rapporté les causes d'un tel déclin en affirmant que «
le principe de l'autonomie de la volonté et la liberté
contractuelle ont été très sérieusement remis en
question par le développement considérable de l'ordre public
économique et social. Les restrictions ont été
particulièrement graves en périodes de crises, comme par exemple
au cours des deux guerres mondiales. Elles ont subsisté sous l'influence
conjuguée du dirigisme économique et des théories
néo-libérales visant à garantir le jeu normal de la
concurrence »114.
À l'instar des autres contrats, le principe de la
liberté contractuelle s'applique au contrat d'investissement. Toutefois,
le contrat d'investissement a cette particularité de réduire dans
une moindre mesure la liberté contractuelle de l'État d'accueil
des investissements surtout en ce qui concerne, la fixation du contenu du
contrat qui doit être conforme à son objet et à sa
finalité (A). Il est réducteur de la liberté contractuelle
de l'investisseur étranger par le fait qu'il est à la fois
souvent imposé à celui-ci, mais aussi partiellement
négocié par celui-ci (B).
A.- Un contrat réducteur de la liberté
contractuelle par son objet et sa finalité
Tout comme le contrat administratif qui a pour objet le
service public et pour finalité l'intérêt
général, le contrat d'investissement a respectivement comme objet
et comme finalité, l'investissement et le développement. Ce sont
donc ces deux éléments qui réduisent la liberté
contractuelle de l'État d'accueil lorsqu' il passe un contrat
d'investissement. Mais avant de démontrer en quoi ces
éléments réduisent la liberté contractuelle de
l'État d'accueil, il est
111 M. FABRE-MAGNAN, Droit des obligations, Contrat et
engagement unilatéral, Paris, PUF, 2008, p. 55.
112 L. LEVENEUR, « La liberté contractuelle en droit
privé », op. cit. p. 676.
113 J. WALINE, « La théorie générale
du contrat en droit civil et en droit administratif », in Etudes
offertes à Jacques Ghestin, Le Contrat au début du XXI
siècle, Paris, LGDJ, 2001, p. 973-974.
114 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, Traité de Droit civil -
Introduction générale, Paris, LGDJ, 4e
éd., 1994, p. 164.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
24
judicieux de présenter de prime abord les
réflexions qu'a suscité la question de la liberté
contractuelle des personnes publiques telles que l'État.
Lorsque l'on évoque le sujet de la liberté
contractuelle en droit public, la question fondamentale que se posent les
auteurs est celle de savoir si l'on peut reconnaitre aux personnes publiques
une liberté analogue à celle reconnue aux individus en
matière contractuelle115. Dans la jurisprudence
administrative française, on admet quasi-unanimement que l'arrêt
Société Borg Warner116 est la décision
à travers laquelle le Conseil d'État a reconnu à la
liberté contractuelle des personnes publiques, notamment des
collectivités territoriales, la valeur de principe général
du droit117. Quant à la valeur constitutionnelle de la
liberté contractuelle des personnes publiques, elle est reconnue dans
les décisions du Conseil constitutionnel français118
rattachant ladite liberté aux autres normes constitutionnelles comme le
principe de la libre administration des collectivités
territoriales119. La particularité des personnes publiques
qui est de rechercher l'intérêt général dans tout
acte qu'elles posent, fut-il unilatéral ou contractuel, a conduit
certains à dire que cette situation aboutit « à faire de
la restriction de la liberté contractuelle la règle, et de son
exercice par la personne publique l'exception »120.
Une autre notion qui est considérée comme un
obstacle empêchant l'exercice de la liberté contractuelle par les
personnes publiques est celle de compétence c'est-à-dire, «
l'aptitude à agir dans un certain domaine »121.
Cette compétence oblige la personne publique à réaliser
certaines missions pour la satisfaction de l'intérêt
général, de sorte que sa mise en oeuvre restreint l'exercice de
la liberté contractuelle par la personne publique. Cette restriction par
la compétence de la personne publique est perceptible à un double
niveau en ce sens que d'une part, « elle restreint sa faculté
« de contracter ou de ne pas contracter », principalement par la
limitation de la faculté de choisir entre l'acte unilatéral et
l'acte
115 M. AJJOUB, La notion de liberté contractuelle
en droit administratif français, thèse, Université
Panthéon-Assas Paris II, 2016, p. 20.
116 C.E., Sect., 28 janvier 1998, Société Borg
Warner, req. n° 138650, Lebon. p. 20; AJDA, 1998, p. 287; CJEG, 1998, p.
269, chron. F. Moderne.
117 M. AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en
droit administratif français, thèse précitée,
p. 23.
118 Par exemple, C.C., Déc. n° 2004-506 DC du 2
décembre 2004, Loi de simplification du droit, à propos de la
ratification implicite de diverses dispositions d'une ordonnance du 17 juin
2004 ayant trait à la passation de contrats de partenariat
public-privé, Rec., p. 21.
119 M. AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en
droit administratif français, thèse précitée,
p.23.
120 Op.cit. p. 25.
121 G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 10e
édition, 2014, p. 213.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
25
contractuel »122 et d'autre part,
« elle restreint sa capacité à déterminer le
contenu de son contrat notamment si l'objet du contrat n'entre pas dans le
domaine de la compétence de la collectivité publique
»123. Ces restrictions ne signifient cependant pas que les
personnes publiques sont dépourvues d'une volonté contractuelle,
loin s'en faut. Cela implique tout simplement que cette volonté n'est
pas assimilable à celle des particuliers124.
En dernière analyse sur la question de la
liberté contractuelle des personnes publiques, il ressort que «
la reconnaissance pratique de la liberté contractuelle en faveur des
personnes publiques à l'instar des personnes privées est
très difficile, voire inutile. Cette difficulté ne s'explique pas
seulement par la différenciation radicale entre les personnes publiques
et les personnes privées, mais aussi par la restriction excessive des
aspects fondamentaux de l'exercice de la liberté contractuelle ce qui
rend l'exercice de cette dernière par la personne publique marginal
»125.
En concluant un contrat ayant pour objet un investissement
étranger sur son territoire, l'opérateur étatique vise
l'atteinte d'un certain nombre d'objectifs. Au rang de ceux-ci, figure en bonne
place la satisfaction de l'intérêt général à
travers le développement de secteurs économiques et sociaux
stratégiques liés aux besoins de la population. Dans cette
optique, la liberté contractuelle de l'État est réduite
car le contrat d'investissement est négocié, formé et
exécuté avec en ligne de mire le développement, obligeant
ainsi l'État à subir des contraintes de marché ou des
contraintes de développement. Cette situation justifie l'appellation des
contrats d'investissement en accords de développement économique
c'est-à-dire, « des accords à long terme dans lesquels
les divers aléas contraignent les parties à les considérer
comme préférables à tout équivalent
»126.
La réduction de la liberté de contracter par la
finalité du contrat d'investissement est plus marquée lorsque les
États parties à ce type de contrat sont des pays en voie de
développement du Tiers-monde. En effet, de tels accords par le fait
qu'ils occupent dans l'économie de ces pays une place
prépondérante et constituent un instrument de
122 M. AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en
droit administratif français, op. cit., p. 26.
123 Ibid.
124 Voy. dans ce sens G. PEQUIGNOT, Contribution à la
théorie générale du contrat administratif, Paris,
Pedone, 1945, p. 603 et s.
125 M. AJJOUB, La notion de liberté contractuelle en
droit administratif français, op. cit., p. 30.
126 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des contrats
administratifs et marchés publics internationaux, op.cit., p.
126.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
26
développement, altèrent la liberté des
États d'accueil car cet impératif de développement ne
leurs laissent plus en quelque sorte le choix de contracter ou de ne pas
contracter. Dans ces conditions, le mobile de l'État d'accueil des
investissements est « contracter pour se développer ». Cette
réalité a fait dire que « le recours par ces
États aux étrangers n'est pas dénué de sens. Ce
n'est qu'une conséquence de leur incapacité et de leur carence.
Ces accords sont devenus une stratégie indispensable à leur
croissance »127.
Dans notre logique selon laquelle la finalité de
développement poursuivie par les contrats d'investissement serait
réductrice de la liberté contractuelle des États, cette
liberté n'est pas réduite par des engagements juridiques de
l'État mais de manière implicite par des « engagements
politiques » ou plutôt des « promesses politiques ». C'est
pourquoi, parlant du contexte dans lequel les États du Tiers-monde
concluent les accords de développement économique, l'on a pu dire
que « ces accords symbolisent la réussite ou l'échec de
la politique de certains gouvernements »128.
Il peut paraitre incompréhensible ou même
paradoxal de dire que la recherche de développement réduit la
liberté contractuelle d'un État partie à un contrat
d'investissement disposant en principe de prérogatives souveraines
susceptibles d'influencer le contrat. Pourtant, cela est
particulièrement vrai, surtout pour les États du Tiers-monde
comme le Burkina Faso car pour ces États, la situation de
pauvreté les oblige souvent à mettre de côté leur
souveraineté pour privilégier leur développement. Si le
contrat d'investissement est réducteur de la liberté
contractuelle de l'État d'accueil des investissements par son objet et
sa finalité, c'est aussi par son caractère partiellement
négocié et imposé à l'investisseur étranger
qu'il réduit la liberté contractuelle de ce denier.
|