B.- L'investisseur étranger
Le droit international tend à reconnaitre à
l'étranger les mêmes droits que ceux attribués aux
nationaux. Cette avancée juridique a eu pour effet au plan
économique d'avoir favorisé l'implantation et la croissance de
nombreuses entreprises étrangères à travers le monde
surtout dans les pays du sud. Ainsi, les investissements considérables
faits dans ces pays par les sociétés étrangères ont
contribué à faire de celles-ci des partenaires contractuels
incontournables des États. Par investisseur étranger, nous
entendons les personnes morales de droit privé à savoir les
sociétés étrangères, transnationales,
multinationales ainsi que leurs filiales nationales (même si celles-ci ne
sont pas étrangères) parties à des contrats
d'investissement avec le Burkina Faso en tant que pays d'accueil.
La société transnationale peut être
définie comme une société ou un groupe de
sociétés qui dispose d'un savoir-faire et adopte une politique
commune, lui permettant d'opérer des transactions économiques
à l'intérieure de quelques souverainetés76.
L'un des traits caractéristiques des sociétés
transnationales est leur grande capacité technique, leurs moyens
financiers exorbitants et leur appartenance à des États
développés, ce qui leur permet de « séduire » un
tiers monde à la recherche de nouvelles technologies et de financements
étrangers77.
Cependant, cette force n'empêche pas les
sociétés étrangères de se regrouper. Moyen
généralement privilégié par les
sociétés étrangères (quel que soit leur poids) pour
la
74 P. WEIL, « Problèmes relatifs aux
contrats passés entre un État et un particulier »,
RCADI, 1969, vol. 128, p. 105.
75 Voy. dans ce sens M. AUDIT et alii,
Droit du commerce international et des investissements
étrangers, op. cit., p. 199.
76 P. MERCIAI, Les entreprises multinationales
en Droit international, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 34 ; X. LEDUCQ ,
Les accords de développement économique conclus entre un
partenaire étatique et une personne privée
étrangère, thèse, Rouen, 1981, p. 3.
77 K. KADIDI, Contrats internationaux des travaux
publics en droit libyen, thèse Dijon, 1978, p. 87.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
18
réalisation de grands projets d'investissement, le
groupement d'entreprises peut être considéré comme un
« contrat conclu entre deux ou plusieurs personnes afin de
réaliser conjointement certaines prestations, en conservant chacune son
identité »78. Comme avantages, il permet de
répondre aux préalables technico-financier du candidat, de faire
face au jeu de la concurrence et de partager les risques avec d'autres
sociétés79. Il faut souligner que le groupement
d'entreprises a un statut juridique particulier qui le distingue des autres
formes sociales, sur lequel nous n'allons pas nous attarder car n'entrant pas
dans le cadre de notre étude80. L'on ne saurait
présenter l'investisseur étranger qui s'identifie en la personne
des sociétés étrangères sans aborder
l'épineuse question de la nationalité de ces dernières.
Considérée comme « seul instrument
utilisable lorsque sont en cause le bénéfice ou la privation de
certains droits »81, la nationalité est, et demeure
une composante essentielle du statut international des
sociétés82. L'intérêt pour la
société d'avoir une nationalité n'est donc plus à
démontrer83. Au Burkina Faso, la question de la
nationalité des sociétés commerciales a été
consacrée au fil du temps dans des textes aussi anciens qu'épars
et divers car il n'y a pas eu, au plan strictement national, un texte
général règlementant l'ensemble des sociétés
commerciales84.
Le plus souvent ce sont des textes particuliers qui ont
été pris pour réglementer des formes particulières
de sociétés commerciales, voire un aspect particulier de ces
sociétés85. C'est ainsi que l'ordonnance n° 74-56
du 26 août 1974 a été prise pour organiser le
contrôle des personnes morales ou physiques bénéficiant des
concours financiers de la personne publique86. On peut ajouter
également l'ordonnance n°81-026 du 26 août 1981 portant
réglementation de la profession de commerçant.
78 I. R. M. EL-BEHERRY, théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux, op.cit.,
p.64.
79 Voy. en ce sens, M. DUBISSON, Les
groupements des entreprises pour les marchés internationaux, Paris,
1985, p. 63 ; J. KOMOK, « Les principes directeurs de la
négociation des contrats clé en main », Rev. Jur. Poli.
Indép. Coo., 1988, p. 204.
80 Pour plus d'informations sur le statut du
groupement d'entreprises voir I. R. M. EL-BEHERRY, thèse
précitée, op. cit., pp. 64-67.
81 J.-M. JACQUET, P. DELEBECQUE et S. CORNELOUP,
Droit du commerce international, coll. « Précis »,
Paris, Dalloz, 2007, p. 151.
82 Ibid.
83 R. ASSI, Le régime juridique des
investissements étrangers au Liban au regard de l'ordre juridique
international, thèse, Université AIX-MARSEILLE, 2014, p.
82-84.
84 Voy. dans ce sens J. Y. TOE, Droit des
sociétés commerciales et du groupement d'intérêt
économique (dans l'espace OHADA), coll. Précis de droit
burkinabè, Imprimeries Presses Africaine, Ouagadougou, 2007, p. 6.
85 Ibid.
86 Ibid.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
19
Cependant, il importe de relever que depuis son
adhésion au Traité de l'Organisation pour l'Harmonisation en
Afrique du droit des Affaires (OHADA)87, le droit des
sociétés commerciales est dorénavant régit au
Burkina Faso par l'Acte Uniforme révisé relatif au Droit des
Sociétés Commerciales et du Groupement d'Intérêt
Économique (AUDSC/GIE)88.
Au-delà de la controverse doctrinale sur la question de
l'existence même d'une nationalité des personnes morales
(sociétés commerciales), des liens que l'on peut établir
entre la nationalité des personnes physiques et celles des personnes
morales, plus précisément des sociétés
commerciales89, une autre question importante en matière de
nationalité des sociétés commerciales est celle relative
aux critères de détermination de cette nationalité. Pour
résoudre cette équation, la doctrine a élaboré
quelques critères à savoir celui du siège social de
l'exploitation, de l'incorporation, du contrôle et du centre de
décision90.
Pour déterminer la nationalité d'une
société établie au sein de son espace, le droit OHADA des
sociétés commerciales fait un renvoi aux législations des
États parties91. Ainsi donc, il revient au droit national de
chaque État membre de déterminer les critères fixant la
nationalité de la société commerciale92. Pour
ce faire, les États peuvent avoir recours à plusieurs droits
applicables tels que le droit national, le droit OHADA et les autres droits
communautaires notamment ceux de la Communauté Economique des
États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)93 et de l'Union
Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)94.
87 Traité signé à Port Louis
le 17 octobre 1993, entré en vigueur le 18 septembre1995 et
révisé à Québec le 17 octobre 2008.
88 La révision du texte original qui date du
17 janvier 1997 est survenue le 30 janvier 2014 à Ouagadougou. L'acte
est entré en vigueur le 5 mai 2015.
89 Voy. dans ce sens J. HAMEL, « Faut-il
parler de « nationalité » des sociétés
commerciales ? », in Mélanges Gutzwiller 1959, p. 365 ;
J.-P. NIBOYET, « Existe-t-il vraiment une nationalité des
sociétés ? », Rev. crit. DIP, 1927, p. 402.
90 Pour une étude détaillée de
chacun de ces critères voir M. MENJUCQ, Droit international et
européen des sociétés, Montchrestien,
3ème éd., 2011, n. 13 ; B. AUDIT, Droit
International Privé, Economica, 3e éd., n. 1078
et s.
91 Il faut déplorer ce mécanisme de
renvoie au droit national des Etats pour régler certaines questions au
sein de l'espace OHADA car il est contraire à l'esprit d'harmonisation
ou d'uniformisation incarné par le droit OHADA. On ne peut pas vouloir
avoir le même droit partout dans l'espace et laisser encore la latitude
aux législations nationales de régler certaines questions, tout
en sachant que la solution à un même problème de droit peut
varier d'une législation nationale à une autre.
92 Voy. dans ce sens Z. ABDOU ASSANE, « La
nationalité des sociétés dans les pays de l'espace OHADA :
Les cas du Niger, du Sénégal et de la RD Congo »,
Revue CAMES/SJP, n°001/2016, p. 4.
93 La Communauté Economique des Etats de
l'Afrique de l'Ouest créée par le traité de Lagos du 28
mai 1975, regroupe quinze États de l'Ouest africain : Bénin,
Burkina, Cap -Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée,
Guinée Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal,
Sierra Leone, Togo. Son objectif principal est de favoriser
l'intégration économique en promouvant la constitution d'un
marché intra régional. Le 24 février 2017, le Maroc a
adressé une demande officielle d'adhésion à la CEDEAO.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l?aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
20
En droit burkinabè, les critères de rattachement
de la société à une loi nationale apparaissent dans
plusieurs textes comme l'ordonnance n°78-037 du 30 mai 1978 portant
encouragement à la création et à l'extension de la petite
entreprise nationale (article 2 al. 2)95, le décret du 12
septembre 1981 portant modalités d'application de l'ordonnance du 26
août 1981 (article 11)96. Selon ces textes, c'est le
critère du siège social qui est retenu comme critère de
principe et à titre exceptionnel celui de la direction effective de la
société ou celui du lieu d'immatriculation de la
société. Il en est de même dans la plupart des États
membres de l'OHADA comme le Sénégal, le Niger, la RD Congo
etc.97.
L'un des critères utilisé à titre
subsidiaire dans ces États est le critère du contrôle,
fondé notamment sur la nationalité des principaux actionnaires,
des dirigeants sociaux ou sur la provenance des fonds. Ainsi, selon ce
critère et par un raisonnement a contrario, est
étrangère la société dans laquelle les principaux
actionnaires, les dirigeants sociaux ou les fonds sont étrangers
même si celle-ci a son siège social sur le territoire d'un
État donné. Ce critère a reçu les faveurs du CIRDI
qui le prévoit à l'article 25 (2) (b) de sa
convention98 et les nombreuses sentences CIRDI qui en ont fait
application le démontre également99.
Concernant le traitement des sociétés
étrangères dans l'espace OHADA, il convient de
souligner qu'en principe, les sociétés
étrangères établies dans un État membre de l'espace
OHADA sont reconnues et jouissent des mêmes droits que les
sociétés nationales
94 L'Union Economique et Monétaire Ouest
Africaine a été créée par un Traité
signé à Dakar le 10 janvier 1994. Elle compte 8 Etats membres
à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la
Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Elle vise entre autres, le renforcement de la compétitivité des
activités économiques, la création d'un marché
commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des
services et le droit d'établissement des personnes exerçant une
activité indépendante ou salariée et l'harmonisation
législative des Etats membres en vue de favoriser le régime de la
fiscalité.
95 Cette disposition considère comme
nationales les sociétés dont le capital est contrôlé
à 80 par des nationaux burkinabè.
96 Cet article n'accorde la jouissance des
prérogatives attachées à la nationalité
burkinabè qu'aux sociétés dont le directeur
général et 80 au moins des administrateurs sont de
nationalité burkinabè en ce qui concerne les
sociétés anonymes, ou dont au moins 51 du capital sont
détenus par des personnes physiques ou morales burkinabè et dont
le gérant est burkinabè en ce qui concerne les autres types de
sociétés.
97 Voy. dans ce sens Z. ABDOU ASSANE, « La
nationalité des sociétés dans les pays de l'espace OHADA :
Les cas du Niger, du Sénégal et de la RD Congo », op. cit.,
p. 6.
98 « Ressortissant d'un autre État contractant
» signifie : b) toute personne morale qui possède la
nationalité d'un Etat contractant autre que l'Etat partie au
différend à la date à laquelle les parties ont consenti
à soumettre le différend à la conciliation ou à
l'arbitrage et toute personne morale qui possède la nationalité
de l'Etat contractant partie au différend à la même date et
que les parties sont convenues, aux fins de la présente convention, de
considérer comme ressortissant d'un autre Etat contractant en raison du
contrôle exercé sur elle par des intérêts
étrangers.
99 Il s'agit notamment de l'affaire
Klöckner, de la sentence Litco c./Libéria, de
l'affaire Soabi c./le Sénégal.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
21
de l'État sur lequel, elles sont établies, sauf
textes particuliers contraires.100 Les sociétés
étrangères jouissent donc d'une personnalité juridique
effective en droit OHADA. À cet effet, on a pu même affirmer que
« cette personnalité résulte en effet d'une concession
de l'autorité publique de l'État de l'espace OHADA sur lequel la
société étrangère est établie: la
société étrangère n'a pas d'existence tant que
l'autorité publique de l'État en question ne lui a pas
conféré la personnalité »101.
Autrement dit, « une société étrangère,
est celle qui n'est pas immatriculée sur le territoire ou dont les
actions sont détenues en majorité par des étrangers
»102.
La question des succursales de sociétés
étrangères dans l'espace OHADA est prévue par l'article
120 alinéa 1 de l'AUDSC/GIE révisé qui dispose que «
quand elle appartient à une société
étrangère, la succursale doit être apportée à
une société de droit OHADA préexistante ou à
créer, de l'un des États parties, deux ans au plus tard
après sa création, à moins qu'elle ne soit
dispensée de cette obligation par un arrêté du ministre
chargé du commerce de l'État partie dans lequel la succursale est
située ». D'autres formalités s'ajoutent à celle
prévue par la disposition suscitée pour permettre aux
sociétés étrangères de jouir pleinement des
mêmes droits que les sociétés nationales103.
En définitive, sur cette question des critères
de détermination de la nationalité des sociétés,
l'on remarque qu'il n'y a pas de critères fixes ou constants comme, en
témoigne l'usage alterné qui est fait de chacun des
critères justifiant tantôt le recours à un critère
de principe, tantôt à des critères subsidiaires,
accessoires, voire exceptionnels comme celui du contrôle ; auquel on ne
recourt que dans des « situations exceptionnelles où le
législateur cherche à privilégier les
sociétés locales, à restreindre les droits de certaines
sociétés ou à leur imposer d'obligations en les
réputant étrangères et les soumettant à ce titre
à des conditions auxquelles ne sont pas soumises les
sociétés nationales dans certains secteurs stratégiques
»104.
100 Z.ABDOU ASSANE, « La nationalité des
sociétés dans les pays de l'espace OHADA : Les cas du Niger,
du
Sénégal et de la RD Congo », op. cit., p.
10.
101 Ibid.
102 Z. ABDOU ASSANE, « La nationalité des
sociétés dans les pays de l'espace OHADA : Les cas du Niger,
du
Sénégal et de la RD Congo », op. cit., p.
11.
103 Pour plus de détails sur cette question voir op. cit.,
p. 11-12.
104 R. ASSI, Le régime juridique des investissements
étrangers au Liban au regard de l'ordre juridique
international, thèse précitée,
op.cit., p. 109 ; ABDOU ASSANE Zeinabou, « La nationalité des
sociétés dans les pays de l'espace OHADA : Les cas du Niger, du
Sénégal et de la RD Congo », op. cit., p. 15-21.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
du droit burkinabè
Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
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La présentation de tous ces éléments en
rapport avec les sociétés étrangères se justifie
par la bonne et simple raison qu'ils s'avèrent très importants
dans la connaissance de l'investisseur étranger, surtout lorsqu'il est
une société ou un groupe de sociétés. Il se doit en
tant que partenaire essentiel du contrat d'investissement, de connaitre les
règles relatives à son implantation, son organisation et son
fonctionnement dans l'État d'accueil des investissements afin de
s'assurer de la sécurité juridique nécessaire à la
protection de ses intérêts et à la bonne exécution
du contrat d'investissement qui est réputé être
réducteur de la liberté contractuelle.
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