Titre I : Le régime juridique du contrat
d'investissement
Dans la science du Droit, le régime juridique
désigne un « système de règles,
considéré comme un tout, soit en tant qu'il regroupe l'ensemble
des règles relatives à une matière, soit en raison de la
finalité à laquelle sont ordonnées les règles
»33. Il s'agit donc d'un corps cohérent de
règles gouvernant une notion, une matière ou une
institution34. Il importe cependant , de relever que les
règles constituant le régime juridique doivent être
appréhendées lato sensu englobant à la fois, les
règles en tant que normes juridiques mais aussi en tant qu'ensemble de
principes35 encadrant une notion, une matière ou une
institution.
Quant au régime juridique du contrat, il comprend de
façon classique les règles et principes qui encadrent sa
négociation, sa formation ou conclusion et son
exécution36. Le régime juridique du contrat
d'investissement n'est pas étranger à cette
réalité. Ainsi, traiter du régime juridique du contrat
d'investissement, revient à traiter des règles et principes
relatifs à sa négociation, sa conclusion et son exécution
qu'ils soient communs à tout contrat ou spécifiques au contrat
d'investissement.
L'analyse du régime juridique du contrat
d'investissement que l'on envisage dans les lignes qui suivent, se fera d'abord
à travers la recherche de la nature juridique exacte du contrat
d'investissement (Chapitre 1) avant d'aborder ensuite, les questions
liées à son exécution (Chapitre 2).
33 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF,
10e édition, 2014, p. 876.
34 Cet entendement est plus exact pour le droit
privé.
35 Pour la notion de principe V. G. CORNU, op. cit.
p. 804. Voir aussi F. CHEVALLIER, les principes généraux du droit
des contrats, Mémoire pour le master 2 de droit privé
général, Université Panthéon-Assas Paris II,
20142015, p. 3-8.
36 On peut ajouter aux
éléments du régime couvrant ces trois phases de la vie du
contrat, des éléments concernant une phase peu ou prou
éclipsée à savoir la phase post-contractuelle.
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Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
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Chapitre 1 : La détermination de la nature
juridique du contrat d'investissement
Contrat de type particulier37 au regard des parties
qui le concluent notamment, le contrat d'investissement est susceptible d'avoir
une nature juridique hybride. En effet, on peut conférer à raison
ou à tort au contrat d'investissement une nature administrative mais
aussi une nature internationale. En d'autres termes, l'on pourrait qualifier le
contrat d'investissement de contrat administratif et de contrat international,
et c'est ce que nous allons nous atteler à démontrer tout au long
de ce chapitre.
Ainsi, nous allons confronter au contrat d'investissement les
critères du contrat administratif dégagés par la
jurisprudence administrative afin de confirmer ou d'infirmer la thèse de
la nature administrative du contrat d'investissement (Section 1). En analysant
des éléments du contrat international, nous tenterons
également d'exposer des éléments qui nous permettrons
d'être situé sur la nature internationale du contrat
d'investissement (Section 2).
Section 1 : La nature administrative du contrat
d'investissement
À l'exception des contrats dits administratifs par
détermination de la loi,38 c'est-à-dire les
accords39 dont les conflits en découlant ont
été confiés par la loi au juge administratif, sans
détermination de leur nature ou de leur droit40, est
administratif selon la jurisprudence le contrat dont l'une des parties
possède au moins la qualité de personne morale de droit public
(État, collectivité territoriale, établissement public
etc. ). Cette personne publique doit être directement présente au
contrat ou indirectement représentée. Cette représentation
pouvant revêtir la forme d'un mandat ou d'une action pour le compte de la
personne publique41.
37 Sur le caractère particulier du contrat
d'investissement voyez supra p.5 et svts.
38 Voy. dans ce sens A. T. BA, Cours de droit
administratif burkinabè , 2e année,
Université Ouaga 2, 20102011, p. 103.
39 Il s'agit par exemple des contrats de travaux
publics, des ventes d'immeubles de l'Etat, d'occupation du domaine public etc.
(Voir en droit français la loi du 28 pluviôse an VIII et la loi
n°2001-1168 du 11 décembre 2001. En droit burkinabè, le
décret n° 2008-173 /PRES/PM /MEF du 16 avril 2008 portant
réglementation générale des marchés publics et des
délégations de services publics).
40 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux,
thèse, Université de NICE SOPHIA-ANTIPOLIS, 2004, p. 26.
41 Situation dans laquelle on peut agir pour le
compte d'une personne sans être son mandataire, ni explicitement ni
implicitement. Cette action a été reconnue par le tribunal de
conflit français dans l'arrêt du 8 juillet 1963, Entreprise
Peyrot contre Société de l'autoroute Esterel-Cote-
d'Azur relatif à des contrats conclus pour la construction
d'autoroute, puis dans les arrêts suivants : C.E., Sect., 30 mai 1975,
Société d'Equipement de la région
montpelliéraine, T. C., 10 mai 1993, Société
Wanner Isofi Isolation et Société Nersa, C.E.,
Sect., 18 juin 1976, Dame Culard.
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Mais ce critère subjectif ou encore organique et
considéré même comme une condition invariablement
exigée du contrat administratif42, bien que
nécessaire, ne suffit pas à lui seul pour conférer
à un contrat le caractère administratif. Pour cela, il doit
être complété (mais pas toujours car la présence de
ces deux critères peut être exigée de façon
cumulative ou alternative)43 par un deuxième critère
alternatif, objectif ou matériel lui aussi jurisprudentiel selon lequel,
le contrat doit être en relation avec l'exécution d'un service
public44 et comporter une ou plusieurs clauses exorbitantes du droit
commun45. La clause exorbitante46 la plus
emblématique qui caractérise le contrat administratif est celle
octroyant à l'administration la faculté de prononcer la
résiliation unilatérale du contrat en l'absence de tout
manquement du cocontractant à ses obligations
contractuelles47.
Si l'on fait une transposition de ces critères au
contrat d'investissement, l'on remarque clairement que celui-ci tout comme le
contrat administratif est conclu entre l'État et ses
démembrements et une personne privée nationale ou
étrangère48 et qu'il comporte également
certaines clauses exorbitantes du droit commun et d'autres clauses
particulières. Il existe donc des ressemblances entre le contrat
administratif et le contrat d'investissement.
Toutefois, cela ne nous autorise pas à retenir d'ores
et déjà, et ce de manière hâtive une nature
administrative supposée du contrat d'investissement. Au regard des
critères identiques au contrat administratif et au contrat
d'investissement, il n'est pas exagéré d'affirmer que le second
est à l'image du premier un contrat qui crée une collaboration
entre des parties indubitablement inégales49 (§ 1) et un
contrat réducteur de la liberté contractuelle (§ 2).
42 Voy. dans ce sens A. T. BA, Cours de droit
administratif burkinabè, op.cit. p. 104.
43 Pour le Conseil d'Etat français, la
présence alternative de l'un des deux critères est satisfaisante
pour la publicisation du contrat. Depuis l'arrêt Bertin, le contrat
était administratif, soit par son objet, soit par ses clauses ; un seul
de ces éléments suffisait pour le rendre « administratif
» P. WEIL, « Le critère du contrat administratif en crise
», in Mélanges offert á Marcel WALINE, p. 842,
1974.
44 C.E., Sect., 20 avril 1956, Epoux Bertin.
45 C.E., 31 juillet 1912, Société des
Granits Porphyroïdes des Vosges, GAJA, n°29.
46 C'est « la clause ayant pour objet de
conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des
obligations, étrangers par leur nature à ceux qui sont
susceptibles d'être librement consentis par quiconque dans le cadre des
lois civiles et commerciales », C.E., Sect., 20 octobre 1950, Stein, Leb.
p. 505.
47 T.C., 5 juillet 1999, UGAP.
48 C'est cette dernière hypothèse qui
nous intéresse dans le cadre de cette étude. Dans cette
dernière hypothèse, on parle souvent de contrat administratif
international.
49 Cette inégalité doit être
toutefois relativisée car il s'agit d'une inégalité de
droit dans la mesure où de fait, il y a des investisseurs notamment les
multinationales qui sont plus puissants sur le plan financier et technologique
que de nombreux Etats surtout ceux du tiers-monde. On a pu dire concernant
l'inégalité entre Etat et investisseur qu' « à
une inégalité technologique voire de puissance financière
entre parties et au détriment de l'Etat, correspond une
inégalité dans la négociation mais surtout dans
l'exécution du contrat, où les prérogatives
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§1 : Une collaboration entre des parties
inégales
Le contrat d'investissement met en présence l'État,
partie directe ou représentée au
contrat en l'occurrence l'État d'accueil des
investissements (A) et une ou des personnes privées
étrangères, plus précisément l'investisseur
étranger (B).
A.- L'État d'accueil des investissements
L'un des concepts les plus complexes et difficiles à
cerner par son ambiguïté dans la science du droit, est bien celui
d'État. En effet, la notion d'État peut faire l'objet de
plusieurs entendements selon l'angle sous lequel l'on se place pour
l'apprécier. Cette observation vaut également lorsque l'on
étudie l'État en tant que partie à un contrat
d'investissement, même si l'on estime que « lorsque
l'État est directement représenté dans un accord, sa
définition ne suscite pas de difficulté d'appréciation
dans la sphère des rapports interétatiques ou inter-partes
»50.
En droit constitutionnel et en droit international,
l'État a été défini à partir de ses
éléments constitutifs51 comme « une
collectivité composée d'une population soumise à un
pouvoir souverain sur un espace territorial ».52 Selon M.
Kamto, cette définition de l'État est purement descriptive et
permet d'identifier l'État partout où on le rencontrera certes,
mais elle n'est pas opératoire pour expliquer comment l'État agit
ou se manifeste, comment il peut vouloir en tant qu'être
juridique53.
C'est pourquoi, prenant en compte ses aspects politico-social
et juridique en mettant plus précisément en exergue sa
qualité de personne morale, Kamto défini l'État en droit
international comme « une personne morale, c'est-à-dire un
être juridique construit, mais reposant sur des éléments
physiques constitutifs, apte à être titulaire de droits et
d'obligations
d'Etat peuvent jouer au détriment du cocontractant
privé. », N. R. TAFOTIE YOUMSI, l'encadrement contractuel des
investissements (grands projets), op. cit., p. 28.
50 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux, op.cit.,
p. 32.
51 Voy. dans ce sens A. HAURIOU, J. GICQUEL, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 7è
éd., 1980, p. 97.
52 Avis de la Commission d'arbitrage pour le
problème de la paix en Ex-Yougoslavie, 29 novembre 1991, R. G.D.I.P.,
1992, p. 264. Cité par I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux, op.cit.,
p.32.
53 M. KAMTO, « La volonté de l'Etat en
droit international », Recueil des cours, tome 310 (2004), p.
25.
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ou à se voir reconnaître ou attribuer des
pouvoirs lui permettant de participer, en tant que sujet de droit, à la
formulation et à l'application des règles de droit dans l'ordre
juridique international »54.
Un autre concept important accompagnant toujours celui
d'État et tout aussi ambigu est la souveraineté55.
Cette dernière peut être considérée comme le
caractère suprême d'une puissance (summa potestas) qui
n'est soumise à aucune autre56 ou encore le caractère
d'un organe qui n'est soumis au contrôle d'aucun autre et se trouve
investi des compétences les plus élevées
(souveraineté dans l'État)57. Juridiquement,
l'État souverain désignerait donc une personne morale
dotée d'une puissance qui ne le soumet à aucune autre.
Cependant, il convient de distinguer l'État souverain
de l'État contractant. Parlant de l'État lorsqu'il négocie
avec des étrangers ou contrôle ses émanations
impliquées avec eux dans des relations économiques ou
commerciales, la Charte de la Havane a utilisé l'expression «
contractant du droit privé » pour désigner «
l'État commerçant »58. Un intérêt
indéniable réside dans la distinction entre État souverain
et État contractant.
En effet, l'État apparait comme étant le
contractant le plus essentiel du contrat d'investissement dans la mesure
où il est à l'origine de la mise en oeuvre du régime
juridique spécifique applicable au contrat. Il est pourtant reconnu que
l'État n'est pas un contractant comme les autres dans le contrat
d'investissement, en raison du fait effectivement qu'il peut agir en tant que
souverain et/ou en tant que simple contractant, de sorte que l'on a
l'impression que le contrat d'investissement est conclu par l'État
contractant et influencé par l'État souverain59.
En outre, « les actes de l'État souverain et
ceux de l'État contractant ne relèvent
pas forcement d'un seul système juridictionnel. La
pratique est riche d'enseignements à
54 Op. cit. p. 27.
55 Sur les différentes imbrications entre
les concepts d'Etat et de souveraineté du point de vue du droit
constitutionnel voir Louis FAVOREU et alii, Droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 15e éd., 2013, pp.
56-71.
56 Voy. dans ce sens H. M. MONEBOULOU MINKADA,
« L'expression de la souveraineté des Etats membres de l'OHADA :
Une solution-problème à l'intégration juridique »,
Revue de l'ERSUMA : Droit des affaires - Pratique Professionnelle,
N° 3 - Septembre 2013, Doctrine, p. 4.
57 Ibid.
58 G. CISTAC., « Le renouvellement du
rôle de l'État dans le Commerce international »,
D.P.C.I., 1996, p. 173.
59 C'est précisément cette influence
sur le contrat que l'on tend à atténuer par certaines clauses que
l'on verra plus loin.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
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propos des États qui modulent leurs qualités
au gré de leurs besoins ou de ceux de leurs entités. Il est
difficilement imaginable que l'État contractant ne tienne pas compte des
intérêts du souverain ou que ce dernier ne vienne au secours du
contractant »60.
Bien que l'intérêt de cette distinction soit
évident, elle a été critiquée en ce sens qu'aussi
bien l'État contractant que l'État souverain sont des composantes
d'une seule et même entité qu'est l'État. Ainsi, on a pu
dire qu'en se liant par des contrats ou en les résiliant, l'État
exerce sa souveraineté61.
Une autre distinction opérée sur la personne de
l'État contractant qu'il convient de souligner, est celle faite entre
État-administration et État souverain. Cette distinction purement
doctrinale a divisé les auteurs en partisans de la double
personnification de l'État et en partisans de la personnalité
unique de l'État.
Au rang des zélateurs de la double personnification de
l'État, figure Anzilotti pour qui, « lorsque des lois
nationales s'appliquent à des États étrangers (par exemple
si l'État étranger acquiert des biens ou passe des contrats), le
mot État désigne un sujet juridique différent de celui
auquel se réfère le même mot en droit international
»62. Pour cet auteur, le terme État a un double
sens (d'où une double personnalité) et désigne
l'État sujet d'un ordre juridique interne, différent de
l'État sujet du ius gentium.
Dans le même sens P. Mayer considère que
l'État-administration est le sujet de son propre ordre juridique qu'il
crée alors que l'État souverain est le sujet du droit
international public. Dans cette logique, lorsque l'État contracte en
qualité d'État-administration, ses contrats restent soumis
à son propre système juridique, incluant les règles de
droit administratif dérogatoires que celui-ci prévoit. Par contre
lorsque l'État conclut en tant qu'État souverain un accord avec
une personne privée, on peut alors parler de contrat
d'État63. D'autres auteurs ont également soutenu une
telle position mettant en avant soit l'État
60 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux, op.
cit., p. 33.
61 Voy. dans ce sens J-M JACQUET, « Le
contrat d'Etat », éd. Juris- Classeur, Dr. Int., 1998, fasc.
565-60, p. 25, n° 121.
62 D. ANZILOTTI, Cours de Droit
international, T. 1, Paris, Sirey, 1929, traduction GIDEL, reprise
Université Panthéon-Assas (Paris II), Collection, Les
introuvables, 1999, pp. 53-54. Cité par I. R. M. EL-BEHERRY,
Théorie des contrats administratifs et marchés publics
internationaux, op.cit., p. 34.
63 Voy. dans ce sens P. MAYER, « La
neutralisation du pouvoir normatif de l'Etat en matière de contrat
d'Etat », JDI, 1986, P.14.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
à l'aune du droit international et
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Mémoire présenté par Abdoul -Rachidi TAPSOBA
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souverain, soit l'État-administration64. La
double personnalité de l'État contractant a été
critiquée par des auteurs plutôt partisans de la
personnalité unique de l'État.
Parmi les défenseurs de cette vision, il y a C.
Leben65. Il fonde ses critiques sur les écrits de Hans
Kelsen66, qui pense que « l'État n'existe pour la
théorie du droit qu'en tant que sujet du droit ou en tant qu'ordre
juridique , et si, dans une théorie juridique, deux sujets de droit
différents sont qualifiés l'un et l'autre d'État, ce ne
peut être que deux États différents
»67. Poursuivant sa négation de la dualité
entre État-administration et État souverain, C. Leben nous renvoi
une fois de plus à cette pensée de Kelsen selon laquelle, «
si nulle relation unissait le droit international au droit étatique
(thèse dualiste), l'État en tant que sujet du droit international
représenterait une entité totalement distincte de l'État
comme substratum du droit étatique. Du point de vue juridique, il
existerait alors deux États différents sous le même nom,
deux France, deux États-Unis... La France du droit Étatique et la
France du droit international... »68.
S'appuyant sur ce raisonnement, Leben parvient à la
conclusion selon laquelle « la théorie de la double
personnalité de l'Etat ne semble pas défendable. S'agissant alors
de contrats, quelles sont les conséquences de ces analyses ? Il est bien
clair tout d'abord qu'un contrat peut être conclu au sein de l'ordre
juridique étatique total par un particulier (national ou
étranger) avec l'État personnification de l'ordre juridique
partiel (l'État Administration). Ce contrat, qu'on appelle administratif
(et éventuellement contrat administratif international) ou non, est
régi par les règles de l'État »69.
Sur cette controverse, en ce qui nous concerne, nous
partageons la thèse dualiste en ce
qu'il existe bel et bien un ordre juridique étatique
distinct de l'ordre juridique international. Cependant, nous réfutons la
thèse de la double personnalité de l'État, qui en fait un
État
64 Voy. dans ce sens M.TROPER, «
Réflexions autour de la théorie kelsénienne de
l'État », in « La pensée politique de
Hans Kelsen », Cahiers de philosophie politique et juridique , Centre de
publications de l'Université de Caen, 1990, n° 17 ; S. LEMAIRE,
Les contrats des personnes publiques internes en droit international
privé, thèse, Paris I, mars, 1999.
65 C. LEBEN, « Quelques réflexions
théoriques à propos des contrats d'État »,
in « Souveraineté étatique et marchés
internationaux á la fin du XXème siècle »,
Mélanges Philippe KAHN, LITIC-CREDIMI, Dijon, 2000, pp. 119-175.
66 H. KELSEN, « La transformation du droit
international en droit interne », R.G.D.I.P., 1936, p. 22.
67 H. KELSEN, « La transformation du droit
international en droit interne », Op. cit., p. 23.
68 H. KELSEN, La théorie
générale du droit et de l'État, traduction B. LAROCHE
et V. FAURE, L.G.D.J./Bruylant, Paris/Bruxelles, 1997, p. 422.
69 C. LEBEN, Quelques réflexions
théoriques à propos des contrats d'État, op.cit.,
p.128.
Les aspects contractuels des investissements internationaux
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souverain, sujet du droit des gens et un
État-administration sujet du droit étatique. Nous pensons que le
souverain et l'administration forment une seule et même entité,
laquelle entité est à la fois sujet de l'ordre juridique
étatique et de l'ordre juridique international.
En raison des attributs propres à l'État qui le
caractérise ou de ses compétences souveraines faisant de lui un
contractant hors pair, la jurisprudence70 a proposé deux
solutions extrêmes pour pallier l'inégalité
congénitale entre l'État et son cocontractant privé. La
première solution proposée par la Cour de cassation
française consiste à élever le cocontractant privé
de l'État au rang de sujet du droit international.
La deuxième solution consiste à l'inverse
à rabaisser l'État contractant au niveau de son contractant
privé car selon la haute juridiction française « rien ne
justifie qu'un commerçant soit autorisé á violer ses
engagements sous prétexte qu'il a la qualité d'État ou est
une de ses émanations. L'intérêt de l'État n'est pas
loin de l'intérêt du créancier privé, et
l'intérêt diplomatique n'est pas loin de l'intérêt
financier. Il n'y a pas d'intérêt á distinguer la
personnalité souveraine ou publique qui échapperait á la
compétence juridictionnelle de la personnalité morale assujettie
á l'immunité des États »71. Sans
faire étalage des arguments qui ont été avancés
à cet effet, il importe de souligner que cette égalité
absolue que l'on tend à établir entre l'État contractant
et ses partenaires étrangers est vivement
contestée72.
Cependant, que l'on soit de ceux qui défendent la
thèse de l'État contractant tout puissant usant de sa
souveraineté, ou la thèse faisant de l'État un contractant
égal à ses partenaires dépouillé de toute
souveraineté, ces deux positions sont largement conciliables et des
faits palpables le démontre si bien73. Outre les contrats
conclus par l'État stricto sensu, ceux conclus par des
entités publiques dont la personnalité est sur le plan du droit
interne distinct de celle de l'État, peuvent être qualifiés
aussi de contrat d'État en général et de contrat
d'investissement en particulier. Il peut s'agir des « accords conclus
par des organismes mi-publics mi- privés intervenant pour le compte de
l'État bien que possédant une personnalité
70 Cour de Cassation, 1ère Ch.
Civ., 21 juillet 1987, Société Benvenutti et Bonfant c./ banque
Commerciale Congolaise, Rev. Crit. Dr. Int. Pri., 1988, pp. 350 et s., note
REMOND-GOUILOUD Martine.
71 Cour de Cassation, 1ère Ch.
Civ., 21 juillet 1987, Société Benvenutti et Bonfant c./ banque
Commerciale Congolaise, Revue Critique Dr. Int. Pri., 1988, pp.
353-356.
72 Cf. I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des
contrats administratifs et marchés publics internationaux, op.
cit., pp. 44-45.
73 Op. cit., pp. 45-47.
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à l?aune du droit international et
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juridique distincte »74. Il faut
comprendre par cette formule tous les organismes publics paraétatiques
ou même les entreprises publiques, c'est-à-dire des
sociétés de droit privé dont l'actionnaire unique
(sociétés d'État) ou majoritaire (sociétés
d'économie mixte) est l'État75. Si l'État dans
toutes ses facettes se présente comme une partie importante au contrat
d'investissement, il a en face de lui une partie non moins importante sans
laquelle on ne saurait parler de contrat d'investissement à savoir
l'investisseur étranger.
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