§2 : Le recours à l'arbitrage et la question du
droit applicable au contrat d'investissement
Le recours à l'arbitrage comme mode de règlement
des différends nés du contrat d'investissement est intimement
lié à la question du droit applicable à celui-ci en ce
sens que lorsque les arbitres sont saisis par les parties, ils doivent trancher
le différend en principe conformément au droit que les parties
ont choisi pour s'appliquer à leur contrat. Ce lien logique commande
d'analyser d'abord les implications du recours à l'arbitrage en
matière de contrat d'investissement (A) avant de s'intéresser
ensuite au droit applicable au contrat d'investissement (B).
A.- Les implications du recours à l'arbitrage en
matière de contrat d'investissement
L'importance de l'arbitrage international comme mode de
règlement des différends relatifs aux investissements n'est plus
à démontrer et cela pour plusieurs raisons. Parmi les raisons qui
amènent les investisseurs étrangers à privilégier
les juridictions arbitrales au détriment des juridictions
étatiques pour le règlement des litiges les opposant aux
États d'accueil des investissements, l'on peut retenir essentiellement
avec M. Verhoeven qu'« indépendamment de la lenteur et de la
lourdeur des procédures, une crainte d'incompétence s'ajoutant
à une crainte de partialité explique sans doute la
défaveur du recours aux juridictions nationales de l'État
contractant pour régler les différends relatifs aux States
contracts »221.
221 J. VERHOEVEN, « Contrats entre Etats et
ressortissants d'autres Etats », in Le contrat économique
international. Stabilité et évolution, op. cit., p. 143.
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On ne saurait étudier l'arbitrage (interne ou
international) impliquant un État ou une autre personne morale de droit
public (émanations ou démembrements de l'État et autres
organismes publics) sans faire cas de certaines questions classiques
nécessairement liées à la nature particulière des
personnes publiques en matière d'arbitrage. Il s'agit des questions
relatives aux immunités de juridiction et d'exécution de
l'État, au caractère arbitrable ou non des actes de l'État
en tant que souverain ainsi que l'aptitude générale de
l'État ou des organismes publics à recourir à l'arbitrage
; au consentement de l'État et des autres personnes morales de droit
public à l'arbitrage et enfin aux fondements sur la base desquels on
peut attraire ces personnes devant un tribunal arbitral en matière
d'investissements.
Prérogative qui interdit en droit international public
à l'État hôte des investissements de compromettre,
l'immunité de juridiction est à la fois de source
coutumière et conventionnelle222. La question fondamentale
que soulève cette immunité de juridiction est celle de savoir si
l'État peut l'invoquer devant un tribunal arbitral ?
Il est connu que la fonction de l'immunité de
juridiction est la protection de la souveraineté juridictionnelle de
l'État en vue d'éviter qu'il soit jugé par un autre
État. Or si l'on se fonde sur l'idée que les arbitres ne rendent
la justice au nom d'aucun État, la conséquence logique est que
l'immunité de juridiction devrait être normalement
étrangère à l'arbitrage. Cependant, les États et
leurs émanations ont toujours invoqué l'immunité de
juridiction pour se dérober à la justice arbitrale. Cet argument
a eu du mal à prospérer car en pratique on estime qu'en
acquiesçant ou en consentant à une convention d'arbitrage (clause
compromissoire ou compromis), l'État renonce à coup sûr
à son immunité de juridiction. Par conséquent l'argument
contraire doit être rejeté par les arbitres lorsqu'il est
invoqué par l'État.
Le Burkina Faso à l'instar des États
francophones d'Afrique dont la législation sur l'arbitrage s'inspirait
du droit français sur l'arbitrage avant les réformes intervenues
entre 1980 et 1981, avait intégré l'interdiction de compromettre
« retenue en droit français sur la base du caractère
inarbitrable des causes communicables au Ministère public
»223.
222 Voy. dans ce sens E. A. NKOUNKOU, La stabilisation des
investissements pétroliers et miniers transnationaux : Des contrats aux
traités, Thèse précitée, p. 117.
223 Voy. dans ce sens P. MEYER, Droit de l'arbitrage
OHADA, Bruxelles, Bruylant, coll. droit uniforme africain, 2002, p. 98.
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Cette interdiction n'existe plus de nos jours dans ces
États avec l'avènement de l'OHADA et l'adoption de l'Acte
Uniforme sur l'Arbitrage (AUA). Désormais, l'article 2 , alinéa
2, de cet acte uniforme dispose que « les États et les autres
collectivités publiques territoriales ainsi que les
établissements publics peuvent également être parties
à un arbitrage sans pouvoir invoquer leur propre droit pour contester
l'arbitrabilité d'un litige, leur capacité à compromettre
ou la validité de la convention d'arbitrage ». Cette
règle s'inscrit dans la même logique que la tendance en
matière d'arbitrage international qui interdit à l'État de
remettre en cause une convention à laquelle il est partie, en se fondant
sur son incapacité à compromettre ou le caractère
inarbitrable du litige224. Ainsi, il est unanimement reconnu aussi
bien en droit interne qu'en droit international, à l'État et ses
émanations la capacité de compromettre.
Après la question de la capacité à
compromettre des personnes morales de droit public au sens large et celle de
l'arbitrabilité des litiges impliquant l'État, il convient
à présent de s'intéresser aux actes dans lesquels
l'État matérialise son consentement à l'arbitrage et sur
le fondement desquels les investisseurs étrangers peuvent attraire
l'État devant les juridictions arbitrales. Habituellement, l'État
peut donner son consentement à l'arbitrage à travers une clause
compromissoire ou un compromis d'arbitrage. Mais en matière d'arbitrage
relatif aux investissements, l'État peut exprimer son consentement dans
une loi nationale relative aux investissements, dans un traité
bilatéral de promotion et de protection des investissements (TBI) ou
dans un traité multilatéral. La modalité par laquelle
l'État d'accueil exprime son consentement dans une loi nationale a
été qualifiée d' « offre publique de recourir
à l'arbitrage accordée à l'investisseur étranger
»225. Le Burkina Faso est l'un des États ayant
accepté ce mode de règlement des différends. En effet,
l'on peut déduire le consentement de l'État burkinabè des
différents accords que le pays a signé en matière
d'investissements, mais aussi à travers sa législation interne et
plus précisément la loi n°007-2010/AN du 29 janvier 2010
portant code des investissements du Burkina Faso226.
Concernant le recours à l'arbitrage sur le fondement
d'un TBI, il se subdivise en
arbitrage investisseurs-État et en arbitrage
interétatique227. S'agissant du recours à l'arbitrage
sur le fondement d'un traité multilatéral, il faut distinguer les
conventions multilatérales au
224 Voy. dans ce sens P. MEYER, Droit de l'arbitrage OHADA,
op. cit., p. 97-98.
225 R. ASSI, Le régime juridique des
investissements étrangers au Liban au regard de l'ordre juridique
international, thèse précitée, op.cit., p. 510.
226 Article 30 de ladite loi.
227 Pour plus de détails sur ces deux types d'arbitrage
voir Rola ASSI, le régime juridique des investissements étrangers
au Liban au regard de l'ordre juridique international, thèse
précitée, op.cit., p. 513-543.
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niveau international de celles au niveau régional. Nous
allons nous intéresser particulièrement à une convention
multilatérale au niveau international à savoir la Convention de
Washington de 1965 instituant le Centre International pour le Règlement
des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI), à laquelle
le Burkina Faso est partie.
Premier instrument multilatéral relatif au
règlement des différends en matière d'investissements, la
Convention CIRDI joue un rôle capital dans l'arbitrage en matière
d'investissement international. Elle a comme objectif fondamental «
une promotion du développement économique en s'appuyant
principalement sur la capacité d'attraction des investissements
privés étrangers et sur la nécessité
d'établir un cadre juridique qui puisse faciliter le règlement
des différends qui pourraient survenir »228.
Le nombre impressionnant de TBI conclus à travers le
monde comportent dans la plupart des cas des clauses qui renvoient au
mécanisme du CIRDI pour le règlement des différends, ce
qui témoigne de la fiabilité et de la crédibilité
des procédures ayant lieu sous l'égide du CIRDI. Sans pouvoir
faire ressortir dans la présente étude toutes les informations et
réflexions relatives à l'arbitrage tel qu'il existe dans la
Convention CIRDI, l'on peut retenir que les particularités et les
caractéristiques229 propres à l'arbitrage CIRDI
assurent une meilleure protection des droits et intérêts des
investisseurs étrangers ; et donc l'admission de l'arbitrage CIRDI par
un pays comme le Burkina Faso230 constitue certainement une source
de sécurité pour ces derniers.
Le dénouement de toute procédure arbitrale se
fait par la reddition d'une sentence arbitrale qui doit être
exécutée afin que la décision prise par les arbitres dans
la sentence puisse produire valablement ses effets. Ainsi, se pose la question
de l'exécution des sentences arbitrales en matière
d'investissements. Initialement écartées en raison de la
préférence des juridictions arbitrales par les investisseurs
étrangers pour trancher leurs différends, les juridictions
étatiques font leur retour en force au moment de l'exécution des
sentences arbitrales notamment pour connaitre d'une demande d'exequatur de la
sentence arbitrale,
228 Ch. SCHREUER, The ICSID Convention : A commentary,
Cambridge University Press 2001, note 1,
pp. 218, no. 36. Cité par R. ASSI, Le régime
juridique des investissements étrangers au Liban au regard de l'ordre
juridique international, thèse précitée, op.cit., p.
544.
229 Sur ces particularités et ces
caractéristiques de l'arbitrage CIRDI V. R. ASSI, Le régime
juridique des investissements étrangers au Liban au regard de l'ordre
juridique international, thèse précitée, op.cit., p.
545 à 549.
230 Le Burkina Faso a déposé les instruments de
ratification de la Convention CIRDI le 29 Août 1966.
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d'une demande de mesures d'exécution forcée de
celle-ci ou encore d'un recours en annulation exercé contre celle-ci.
Cependant pour des raisons d'efficacité des sentences, certaines
conventions les rendent automatiquement exécutoires sur les territoires
des États parties à ces conventions sans qu'elles passent devant
les juridictions de ces États. Tel est le cas par exemple de la
convention CIRDI, qui en son article 54, impose à l'État
contractant de reconnaître le caractère obligatoire des sentences
CIRDI et d'assurer l'exécution des obligations pécuniaires qui en
découlent. Il en est ainsi également de la Convention de New York
du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences
arbitrales étrangères231 qui organise la mise à
exécution réciproque des sentences rendues dans chacun des
États contractants.
Malgré toutes ces précautions, il arrive que les
États fassent obstacles à l'exécution des sentences
arbitrales en leur opposant leur immunité d'exécution. En effet,
cette dernière permet à l'État qui en
bénéficie de s'opposer à ce que ses biens soient saisis
sur le territoire d'un autre État. Ainsi, cette immunité
constitue un véritable frein à l'exécution des sentences
arbitrales et rend inutiles les efforts fournis par les investisseurs pour
obtenir des sentences rendues en leur faveur mais qu'ils ne peuvent faire
exécuter. Certaines conventions comme la Convention CIRDI permettent
même aux États d'invoquer leur immunité d'exécution.
C'est pourquoi, l'exécution des sentences CIRDI dépend du droit
interne de chaque État232. En guise d'exemple, il ressort de
l'article 54.3 de la Convention CIRDI que « l'exécution est
régie par la législation concernant l'exécution des
jugements en vigueur dans l'État sur le territoire duquel on cherche
à y procéder » et l'article 55 de renchérir qu'
« aucune des dispositions de l'article 54 ne peut être
interprétée comme faisant exception au droit en vigueur dans un
État contractant concernant l'immunité d'exécution dudit
État ou d'un État étranger ».
Ainsi, en droit burkinabè l'exequatur est
réglé par certaines dispositions du Code des
Personnes et de la Famille (CPF)233 et du Code de
Procédure Civile (CPC)234. Les dispositions du CPF
précisent les conditions de fond et les effets qui sont
conditionnés par une procédure
231 Le Burkina a adhéré à cette convention
le 23 mars 1987.
232 Ceci constitue une différence majeure avec la
Convention de New York précitée qui elle ne renvoie pas au droits
des Etats pour l'exécution des sentences. Elle pose ses propres
conditions de reconnaissance et d'exequatur.
233 Articles 993 et suivants du CPF.
234 Articles 668 et suivants du CPC.
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d'exequatur et celles du CPC règlent l'instance en
exequatur235. À ces dispositions, il convient d'ajouter les
dispositions de l'AUA du 11 mars 1999236 relatives à la
reconnaissance et à l'exequatur des sentences arbitrales237.
Les solutions retenues par les arbitres dans leurs sentences et qui doivent
nécessairement être exécutées sont puisées
dans le droit applicable choisi par les parties au contrat d'investissement, et
à défaut d'un tel choix dans le droit applicable que les arbitres
auront choisi eux-mêmes par divers procédés.
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