B.- Les difficultés inhérentes aux
clauses de stabilisation et d'intangibilité
Il est dorénavant connu que le propre des clauses de
stabilisation et d'intangibilité est d'assurer l'équilibre
contractuel et aussi de neutraliser ou de paralyser le pouvoir normatif de
l'État d'accueil, partie au contrat d'investissement en
l'empêchant d'exercer dans une certaine mesure ses prérogatives de
puissance publique. Or, l'État en plus d'être une personne morale
de droit public, est également un souverain ; alors que cet attribut de
l'État semble être remis en cause lorsqu'il accepte de se lier par
des clauses de stabilisation ou d'intangibilité dans le cadre d'un
contrat d'investissement. Ainsi la première difficulté que posent
les clauses de stabilisation et d'intangibilité est celle de la nature
de la relation qu'elles entretiennent avec la souveraineté de
l'État. En d'autres termes, les clauses de stabilisation et
d'intangibilité sont-elles une expression ou un abandon de la
souveraineté ?
Bien évidemment comme dans toute controverse, il existe
sur cette question de part et d'autre des arguments allant dans le sens d'une
expression de la souveraineté mais aussi des arguments qui penchent vers
un abandon de la souveraineté. L'on se bornera à présenter
la première série d'arguments. L'argument majeur de ceux qui
voient dans les clauses de stabilisation et d'intangibilité une
expression de la souveraineté de l'État est qu'en tant que
souverain, et en vertu de cette même souveraineté, l'État
peut librement décider d'autolimiter sa propre souveraineté.
Cette analyse est partagée et défendue par F. Riad qui affirme
que « l'État, par une clause contractuelle, renonce á
une ou plusieurs de ses prérogatives
196 Voy. dans ce sens Sent. ad hoc, 12 avril 1977, Liamco, Sent.
ad hoc, 24 mars 1982, Aminoil, Sent. CIRDI, 31 mars 1986, Liberian Eastern
Timber Corp. (LETCO).
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dans ce domaine (clause de stabilisation), cela n'implique
nullement l'abandon par l'État de ses prérogatives de puissance
publique(...) »197.
Cette opinion est également confirmée par la
jurisprudence arbitrale. C'est ainsi que dans la sentence Texaco
calasiatic, on a estimé que la signature de telles clauses, par
l'État libyen, n'était pas une atténuation mais une
expression de sa souveraineté198. De façon
générale, la jurisprudence arbitrale estime que les clauses de
stabilisation et d'intangibilité étant librement conclues par
l'État, elles n'affectent pas dans son principe sa souveraineté ;
et qu'elles sont bien au contraire une manifestation de la souveraineté
de l'État contractant199. En réalité,
l'État ne limite pas sa souveraineté en consentant à une
clause de stabilisation, mais il accorde tout simplement un régime
d'exception à l'investisseur. En outre, même si le fait
d'insérer des clauses de stabilisation et d'intangibilité dans le
contrat d'investissement peut raisonnablement être perçu comme une
atteinte à la souveraineté, il convient de faire remarquer qu'il
s'agit « d'une atteinte que l'État se fait subir
lui-même, ce qui revient à reconnaitre qu'il n'y a pas d'atteinte
du tout »200.
Un autre problème que posent les clauses de
stabilisation et d'intangibilité est le fait qu'elles empêchent
les gouvernements des États qui sont liés par elles d'adopter de
nouvelles législations en phase avec les objectifs du
développement durable. À cet effet, on a pu relever avec justesse
qu'elles « ont un impact significatif sur la capacité des
gouvernements à
197F. RIAD, « Les contrats de
développement et arbitrage international, Rev. Egy. Dr. Int.,
V. 42, 1986, pp. 253 - 281, spéc. 271. Cité par I. R. M.
EL-BEHERRY, Théorie des contrats administratifs et marchés
publics internationaux, op.cit., p. 149.
198 L'arbitre releva qu' « une telle disposition qui
a pour effet de stabiliser la situation du cocontractant ne porte pas dans son
principe une atteinte á la souveraineté de l'Etat libyen. Non
seulement celui-ci s'est engagé librement, mais le fait que cette clause
stabilise le régime législatif et réglementaire libyen
á la date de la signature de l'accord n'affecte pas dans son principe la
souveraineté législative et réglementaire de la Libye.
Celle-ci conserve ses prérogatives d'édicter des lois et
règlements en matière pétrolière á
l'égard de ceux avec lesquels elle n'a pas suscrit un tel engagement
[...] les modifications qui pourront résulter pour celui- ci
Texaco-Calasiatic' de l'adoption de nouvelles lois et
règlements devront pour l'éteindre obtenir l'accord mutuel de
deux parties. Il en est ainsi non pas parce que la souveraineté de la
Libye se trouverait réduite, mais simplement en raison du fait que cet
Etat s'est souverainement engagé dans un accord international qui durant
le temps prévu pour son application, est la commune loi des parties.
Ainsi la reconnaissance du droit international d'un droit á nationaliser
ne suffit pas pour l'habiliter á méconnaitre ses engagements
puisque le même droit reconnait aussi la faculté de l'Etat
á s'engager internationalement, notamment en acceptant l'insertion des
clauses de stabilisation dans un contrat conclu avec une partie privée
étrangère. ». Sentence Texaco-calasiatic
précitée.
199 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des contrats
administratifs et marchés publics internationaux, op.cit., p.
150.
200 Ibid.
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adopter de nouvelles mesures juridiques à des fins
de développement durable, notamment pour la protection et la promotion
des droits humains »201.
Dans ces conditions, plusieurs raisons sont avancées
pour discréditer et décrier ces clauses. On a entre autres le
caractère illégitime et inéquitable de la plupart des
accords (surtout en matière minière et pétrolière)
qui les contiennent, l'immutabilité excessive des législations
(ce qui est nuisible aux États), la corruption des gouvernements qui
représentent les États lors de la négociation de ces
accords etc.202. À ces raisons on peut ajouter le fait que
ces clauses sont rarement sollicitées par les investisseurs dans les
pays développés et leur nature
inconstitutionnelle203
L'idée qui se trouve derrière cette approche
protectrice des intérêts des États est celle selon
laquelle, les clauses de stabilisation et d'intangibilité en obligeant
les États à maintenir leurs législations en l'état,
ne leurs permettent pas d'intégrer dans leurs législations des
éléments nouveaux prenant en compte les questions de protection
de l'environnement et de la vie humaine en matière d'exploitation
minière ou pétrolière par exemple. C'est certainement un
tel esprit et une telle vision qui ont amené M. Mann à dire sans
détours que « le fait d'empêcher un gouvernement de
règlementer des questions clés de développement social et
économique ou liées à un environnement durable n'est
manifestement pas dans l'intérêt de la promotion du
développement durable et des droits humains
»204.
Pour que les clauses de stabilisation et
d'intangibilité soient habitées par un tel esprit,
M. Mann propose que l'on revienne à l'intention
originelle de ces clauses à savoir « protéger
l'investisseur contre les mesures considérées comme arbitraires,
discriminatoires ou reflétant la mauvaise foi du gouvernement ; en
d'autres termes, la conduite nuisible du gouvernement plutôt que des
mesures légitimes d'intérêt public
»205.
Les clauses de stabilisation et d'intangibilité ont des
avantages et des inconvénients. Il revient donc aux parties qui y
recourent dans le cadre de leur contrat de les adapter, pour qu'elles
201 H. MANN, « La stabilisation dans les contrats
d'investissement : repenser le contexte, reformuler le contenu », in
Investments Treaty News, Numéro 1., Volume 2, octobre 2011, p.6-8,
spéc. p. 6.
202 Op. cit. p. 7.
203 Dans la plupart des pays développés, il est
largement admis qu'une législature ne peut pas s'imposer à une
législature future, et qu'un acte exécutif du gouvernement ne
s'impose pas à un organe législatif alors que les clauses de
stabilisation violent souvent de tels principes.
204 H. MANN, « La stabilisation dans les contrats
d'investissement : repenser le contexte, reformuler le contenu », op.
cit., p. 7.
205 Op. cit., p. 8.
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prennent en compte leurs intérêts respectifs.
Lorsque les droits et obligations des parties sont clairement
déterminés dans le contrat, l'exécution des obligations ne
devraient en principe souffrir d'aucune ambiguïté Toutefois, il
existe des situations où les obligations ne sont pas
exécutées.
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