§2 : La stabilisation des droits et des
obligations
En vue de consolider les « droits acquis » que le
contrat d'investissement crée à leur profit, les investisseurs
étrangers s'investissent pleinement lors des négociations pour
obtenir l'insertion dans les contrats d'investissements de clauses dites
clauses de stabilisation et d'intangibilité183. Ainsi, ce
sont ces clauses qui constituent les « armes contractuelles »
à travers lesquelles les investisseurs étrangers se
protègent contre la remise en cause des termes du contrat et aussi
contre l'arbitraire de la puissance publique souveraine qu'est l'État
d'accueil des investissements. Il importe donc de clarifier le sens et la
portée des clauses de stabilisation et d'intangibilité (A) avant
de porter notre attention sur les difficultés que soulèvent de
telles clauses (B).
A.- Le sens et la portée des clauses de
stabilisation et d'intangibilité
Lorsque les parties au contrat d'investissement choisissent
comme loi applicable à leur contrat la loi locale, c'est-à-dire
la loi de l'État cocontractant, elles accompagnent ce choix de clauses
visant à neutraliser certaines incidences du pouvoir normatif de
l'État sur l'opération contractuelle. Cette neutralisation du
pouvoir normatif de l'État peut se faire à travers une
première modalité par une clause dite d'intangibilité et
une seconde modalité par une clause dite de stabilisation. En effet, la
clause d'intangibilité tend à pallier les inconvénients
que pourraient subir l'investisseur de par l'exercice éventuel par
l'État d'accueil de ses prérogatives de puissance publique en
matière contractuelle. Autrement dit, il s'agit d'interdire à la
personne publique contractante de prendre des actes unilatéraux tels
qu'autorisés par son droit national pour modifier le contenu du contrat
et même le résilier. L'objet de la clause d'intangibilité
est donc « le respect du caractère sacro-saint du
contrat
183 Sur ces clauses voir notamment P. MAYER, « La
neutralisation du pouvoir normatif de l'État en matière de
contrats d'Etat », JDI, 1986, p.5-78 ; P. WEIL, « Les
clauses de stabilisation ou d'intangibilité insérées dans
les accords de développement économique », in
Mélanges Ch. Rousseau, Pedone, 1974, pp. 301-328 ; A. GIARDINA, «
Clauses de stabilisation et clauses d'arbitrage : vers l'assouplissement de
leurs effets obligatoires ? », Rev. arb. 2003, p. 647-666 ; S.
MANCIAUX, « Changement de législation fiscale et arbitrage
international », Rev. arb. 2011, pp. 311-342 ; B. MONTEMBAULT,
« La stabilisation des contrats d'Etat à travers l'exemple des
contrats pétroliers. Le retour des dieux sur l'Olympe ? », RDAI
2003, pp. 593-645 ; N. DAVID, « les clauses de stabilité dans
les contrats pétroliers. Questions d'un praticien », JDI
1986, p. 79 ; C. TITI, « Les clauses de stabilisation dans les
contrats d'investissement : une entrave au pouvoir normatif de l'Etat d'accueil
? », JDI 2013, pp. 541-562.
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préservé des modifications encourues sans
l'accord des contractants »184. En d'autres termes, la
clause d'intangibilité a pour objet les stipulations mêmes du
contrat d'investissement. L'on retrouve une telle clause dans la concession
pétrolière libyenne ayant donné lieu à la
sentence Texaco calasiatic de 1977 où elle se présentait
sous la forme suivante : « The contractual rights expressely created
by this concession shall not be altered except by mutual consent of the parties
»185. C'est de cette façon que les parties ont
manifesté leur commune volonté d'écarter la possible
application du régime exorbitant que prévoyait le droit libyen en
matière de contrats conclus par ses personnes
publiques186.
La deuxième modalité de neutralisation du
pouvoir normatif de l'État se matérialise par la clause de
stabilisation qui, elle vise à remédier à l'aléa
législatif qui dérive du pouvoir législatif de
l'État et qui peut se manifester par des mesures constitutionnelles,
législatives ou réglementaires susceptibles d'avoir des
interférences avec le contenu du contrat passé par l'État.
En réalité, la clause de stabilisation fige le droit de
l'État contractant au jour de la conclusion du contrat. Ainsi, elle
permet de geler le droit applicable aux rapports contractuels entre
États et investisseurs en maintenant le contrat soumis au droit qui le
gouvernait au moment de sa conclusion, même si ce dernier venait à
être modifier ultérieurement.
On peut classifier les clauses de stabilisation selon leur
nature et selon leur champ d'application. Selon leur nature on distingue d'une
part, les clauses de stabilisation rigides qui interdisent de façon
catégorique tout changement de législation et d'autre part, les
clauses de stabilisation souples qui autorisent un changement de
législations moyennant une indemnisation versée à
l'investisseur de la part de l'État pour compenser les coûts
supportés par celui-ci. Dans de ce dernier cas, on parle de clauses
d'équilibre financier187.
Selon leur champ d'application188, il faut
distinguer les clauses de stabilisation générale qui
gèlent toute la règlementation dans son ensemble, des clauses de
stabilisation spécifique qui
184 I. R. M. EL-BEHERRY, Théorie des contrats
administratifs et marchés publics internationaux, op.cit.,
p.145.
185 « Les droits contractuels expressément
crées par cette concession ne doivent pas être
altérés sauf consentement mutuel des parties ».
186 Voy. dans ce sens M. AUDIT et alii, Droit du
commerce international et des investissements étrangers, op. cit.
p. 204.
187 Voy. dans ce sens H. MANN, « La stabilisation dans les
contrats d'investissement : repenser le contexte, reformuler le contenu »,
in Investments Treaty News, Numéro 1, Volume 2, octobre 2011,
p. 6.
188 Relevons que la question du champ d'application de ce type
de clause est parfois âprement discutée par la jurisprudence
arbitrale ( Sent. CIRDI, 11 décembre 2008, Aguaytia Energy c.
Pérou, aff. ARB/06/13. Sent. CIRDI, 1er février
2006, Duke Energy International Peru Investments N°.1 Ltd. c.
Pérou (compétence), aff. ARB/03/ 28.
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gèlent un domaine ou un aspect spécifique de la
règlementation189. Lorsqu'elle est générale, la
clause de stabilisation peut aller « au-delà du simple gel
« du droit contractuel » prévu par la loi locale
»190. Dans cette dynamique, la clause de stabilisation va
donc couvrir l'opération d'investissement dans tous ses aspects. Ainsi,
elle peut prévoir notamment la stabilisation du régime fiscal et
douanier191, du droit des sociétés, ou encore des
règles en matière de contrôle des changes.
Contrairement à la clause d'intangibilité, la
clause de stabilisation a pour objet la loi de l'État lato
sensu. L'utilisation d'une telle clause est autorisée à
plusieurs niveaux. À ce propos, l'article 3 de la résolution
adoptée en 1979 à Athènes par l'Institut de droit
international dispose que « les parties peuvent convenir que les
dispositions d'un droit interne auxquelles elles se réfèrent dans
un contrat doivent être entendues dans leur teneur au moment de la
conclusion de ce contrat »192. Dans le même sens, il
avait été relevé dans la sentence Aramco c.
Arabie Saoudite rendue en 1958 que « rien ne s'oppose à ce
qu'un État dans l'exercice de sa souveraineté, se lie
irrévocablement par les clauses d'une concession et attribue à un
concessionnaire des droits irrétractables »193.
L'insertion d'une clause de stabilisation dans le contrat signifie donc que les
éventuels changements législatifs postérieurs sont
censés être sans effets sur le contrat. À titre
illustratif, dans l'affaire MINE c. Guinée, le contrat était
soumis à la loi guinéenne, mais dans sa teneur à la date
du contrat194. La clause était rédigée ainsi
qu'il suit : « la loi de la présente convention sera la loi de
la République de Guinée en vigueur à la date de la
signature ». D'un point de vue téléologique, la notion
de stabilisation est considérée comme un objectif en ce sens
qu'elle vise le maintien de la volonté contractuelle initiale des
parties qui ont conclu un contrat d'investissement, en vue de le
sécuriser195.
La clause de stabilisation est loin d'être une
panacée en ce qui concerne la protection
des droits de l'investisseur car malgré la stipulation
d'une clause de stabilisation dans le
189 D'autres clauses peuvent être plus
spécifiques en précisant par exemple les éléments
qui sont stabilisés à l'intérieur d'un domaine
déjà spécifique.
190M. AUDIT et alii, Droit du commerce
international et des investissements étrangers, op. cit. p. 203.
191 Le code minier du Burkina Faso de 2015 prévoit une
stabilisation du régime fiscal et douanier à son article 169. Il
en va de même de l'article 18.1 de la Convention minière type de
2016.
192 Rev. crit. DIP, 1980 . 427.
193 Rev. crit. DIP 1963, p. 272, spéc. p. 315.
194 Sent. CIRDI, 6 janv. 1988, Maritime International
Nominees Establishment c. Rép. de Guinée, aff. ARB/ 84/4,
ICSID Rep. 1997. 61.
195 Voy. dans ce sens E. A. NKOUNKOU, la stabilisation des
investissements pétroliers et miniers transnationaux : Des contrats aux
traités, Thèse, Université Laval, 2012, p. 9.
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contrat, l'État souverain conserve sa capacité
d'exercer son droit à l'expropriation196 ou celui d'adopter
de nouvelles mesures fiscales affectant les droits de son cocontractant.
Lorsque l'adoption de telles mesures entre en contradiction avec la clause, il
revient tout simplement à l'État d'indemniser l'investisseur.
Dans la sentence Texaco par exemple, c'est la restitution in
integrum qui fut accordée par l'arbitre unique. La signification et
la portée des clauses de stabilisation et d'intangibilité
révèlent qu'elles sont indispensables pour la protection de
l'investisseur. Cependant, elles sont à l'origine de nombreuses
difficultés et divisent les acteurs du monde des investissements
internationaux quant à leur maintien dans les contrats
d'investissement.
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