B.- Les critiques à la thèse de
l'internationalisation du contrat d'État
La thèse de l'internationalisation du contrat
d'État a été vivement critiquée. L'une des
critiques essentielles porte de façon générale sur la
véritable utilité même de cette thèse et plus
particulièrement sur le droit international public comme ordre juridique
de base157. En effet, considérer le droit international
public comme fondement du contrat d'État a pour but de fonder
l'existence d'un choix de loi dans le contrat d'État afin que celui-ci
échappe au droit de l'État contractant, réputé
avoir une compétence de principe. Cependant, il est clair qu' «
en réalité, le recours à l'arbitrage international
justifie à lui seul cette faculté de choix, laquelle est
inhérente au fonctionnement de cette institution. Il rend donc inutile
tout ordre juridique de base »158.
Critiquant toujours le droit international public comme ordre
juridique de base du contrat d'État, M. Leboulanger affirme que l'on ne
peut pas admettre que le droit international public soit le fondement
nécessaire de la règle d'autonomie car cela revient à
faire de celui-ci un droit matériel que les parties, par leur
volonté, ne sauraient valablement écarter. Pour lui, cette
position ne résulte d'aucune démonstration théorique et
apparait fausse en pratique
156 Sentence précitée (Texaco Calasiatic) c.
Lybie.
157 Voy. dans ce sens P. MAYER, « Le mythe de l'ordre
juridique de base (ou Grundlegung) », in Mélanges Goldman, Litec,
1982, pp. 199-216.
158 M. AUDIT et alii, Droit du commerce international et
des investissements étrangers, op. cit. p. 202.
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puisque c'est au moyen d'un artifice servant à «
publiciser » le contrat, que les partisans de l'internationalisation
parviennent à leur fin159.
M. Mayer abonde dans le même sens mais avec une critique
plus virulente que la précédente en affirmant que «
(...) la juridicité d'une relation internationale se trouve
simultanément dans tous les États dont les tribunaux peuvent
être appelés à émettre une décision à
son égard, soit directement, soit à l'occasion de l'exequatur
d'une sentence arbitrale : aucun ordre juridique n'est fondamental pour la
relation, la Grundlegung est inexistante. D'autre part, les relations - en
particulier les States contracts - qui échappent en pratique à la
contrainte étatique ne posent pas à l'arbitre le problème
de la recherche d'une norme supérieure à la volonté
localisatrice des parties : la notion de Grundlegung est dans ce cas inutile
»160.
La qualification du contrat d'État en traité
international a été rejetée par la jurisprudence
internationale. Il en a été ainsi dans l'affaire des emprunts
serbes et brésiliens où la Cour Permanente de Justice
Internationale (CPJI) a majestueusement décidé que «
tout contrat qui n'est pas un contrat entre des États en tant que sujets
du droit international a son fondement dans une loi nationale
»161. Par ce célèbre dictum, la
juridiction internationale a souhaité signifier qu'un accord entre un
État et une personne privée est insusceptible d'être
qualifié de traité. Cette même analyse a été
reprise par la Cour International de Justice (CIJ) dans l'affaire de
l'Anglo Iranian Oil Company162, pour un contrat conclu par
un État avec un investisseur étranger. Pour la Cour, «
ce contrat n'est rien de plus qu'un contrat de concession entre un
gouvernement et une société privée étrangère
». Dans la sentence Aramco prononcée en 1958 et
relative à une concession pétrolière, le tribunal arbitral
a affirmé que la convention « n'ayant pas été
conclue entre deux États, mais entre un État et une compagnie
américaine, elle ne relève pas du droit international public
»163. Il faut souligner que tout comme en jurisprudence,
la qualification du contrat d'État en traité est également
rejetée par certains auteurs164.
159 Voy. dans ce sens Ph. LEBOULANGER, Les contrats entre
Etats et entreprises étrangères, op. cit., p. 228.
160 P. MAYER, « Le mythe de l'ordre juridique de base (ou
Grundlegung) », op. cit., p. 199 et s.
161 Arrêts n°14 et 15 du 22 juillet 1929, Rec.,
série A, n° 20 /21, spéc. p. 41 et p. 121 ; DP 1930. 2. 45,
note DECENCIERE-FERRANDIERE ; S. 1929. 4.17 ; Rev. crit. DIP, 1929. 427, note
NIBOYET ; JDI 1929, p. 572 et p. 837, comm. PRUDHOMME.
162 CIJ, 22 juillet 1952, Anglo-iranian oil co. (excep.
prél.), Rec., p. 93-113, spéc. p. 112.
163 Sentence Aramco précitée p. 33.
164 Voy. dans ce sens Ph. LEBOULANGER, les contrats entre
Etats et entreprises étrangères, op. cit., p. 381387.
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L'internationalisation du contrat d'État par la
reconnaissance de la personnalité internationale à l'entreprise
étrangère est aussi vertement critiquée par M. Verhoeven
qui soulève un certain nombre d'interrogations à ce propos :
cette théorie découle-t-elle d'un principe général
de droit international public ou d'une règle coutumière ? Quelles
sont ses conditions de mise en oeuvre ? En outre, limiter la
personnalité internationale de l'entreprise étrangère aux
besoins d'interprétation et d'exécution du contrat apporte-t-il
un élément complémentaire et nécessaire à
l'amélioration du régime juridique des contrats
d'État165 ?
L'auteur apporte une réponse négative à
cette dernière question car il considère que le résultat
recherché est atteint par la soumission du contrat au droit
international public. Aussi, fait-il remarquer que l'élévation de
la personne privée au rang de sujet de droit international pour les
besoins du contrat est peu compatible avec le mécanisme de la protection
diplomatique, qui ne pourrait plus dès lors être exercé au
profit de l'investisseur166. M. Verhoeven termine sa critique par
deux interrogations majeures à savoir quel est le sort de la partie
privée lorsque le contrat d'État n'est pas soumis au droit
international (par le choix des parties par exemple)? Ce contrat est-il tout de
même « internationalisé » parce que la volonté
des parties puise sa force obligatoire dans l'ordre juridique
international167 ?
Une dernière critique formulée à
l'endroit de l'internationalisation des contrats d'État résulte
du constat que la majorité des théories relatives aux contrats
d'État fondent une telle pratique sur la qualité de sujet de
droit international public de la partie étatique. Pourtant, un paradoxe
se révèle dans la mesure où ce constat est
opéré pour justifier la renonciation de la partie étatique
à ses prérogatives souveraines. Toute chose qui est en
porte-à-faux avec la notion d'État pris en qualité de
sujet du droit international public, c'est-à-dire de souverain. C'est
pourquoi, M. Audit estime qu' « en réalité, le contrat
d'État est plutôt la manifestation de la nécessité
pour l'État souhaitant accueillir des investissements étrangers
de se plier aux nécessités du commerce international, et donc
d'agir comme un sujet interne »168. Autrement, il s'agit
pour l'État de renoncer à ses prérogatives souveraines
dans le but d'établir un rapport plus égalitaire avec son
cocontractant privé. Une telle renonciation a pour garantie le recours
prévu à l'arbitrage international en cas de litige. Ainsi, «
c'est en prévoyant ce mode de règlement des différends
que ces contrats ont pu se départir de la compétence non
seulement du système juridictionnel de l'État contractant, mais
aussi le plus souvent de son droit
165 J. VERHOEVEN, « Droit international des contrats et
droit des gens », RBDI 1978-79, p. 219.
166 Op. cit., p. 220-221.
167 Ibid.
168 M. AUDIT et alii, Droit du commerce international et des
investissements étrangers, op. cit. p. 202.
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national »169. Quelle que soit sa
nature juridique (administrative et/ou internationale), le contrat
d'investissement doit pouvoir produire valablement les effets attachés
à la qualification qu'on lui confère et cela passe
nécessairement par son exécution.
169 Op. cit. p. 203.
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