5) L'inhibition : un rôle important dans les
apprentissages scolaires.
5.1 Définition.
L'inhibition est souvent définie comme un processus
général qui permet aux enfants et aux adultes de résister
aux habitudes ou automatismes, aux tentations, distractions ou
ingérence, et qui permet de s'adapter aux situations conflictuelles
(Houdé & Borst, 2015). Pour tester cette capacité, les
recherches en psychologie disposent de plusieurs tâches possibles, telles
que le Stroop ou des paradigmes d'amorçages.
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5.2 Effet Stroop.
Une des techniques utilisées pour montrer les
capacités d'inhibition cognitive est d'utiliser une tâche de
Stroop. La tâche de Stroop connaît plusieurs variantes, cependant
la plus utilisée repose sur le fait que les participants doivent
déterminer la couleur de l'encre d'un mot, qui est écrit dans une
couleur différente ou dans la même couleur. Cette tâche
constitue donc un effort cognitif important pour le sujet, car la lecture du
mot, fortement automatisé, entre en conflit avec la couleur. Cette
tâche est souvent utilisée pour démontrer les
capacités d'inhibition des adultes et des enfants. Par exemple,
Linzarini, Houdé et Borst (2015) ont montré que des enfants de 9
ans étaient plus performants pour inhiber l'heuristique « longueur
égale nombre» de la tâche de conservation du nombre
piagétienne lorsqu'ils avaient d'abord dû effectuer la condition
conflit de la tâche de Stroop (donner la couleur de l'encre du mot bleu
écrit en rouge, par exemple) que quand ils avaient d'abord
effectué la condition sans conflit (donner la couleur de l'encre du mot
rouge écrit en rouge). Cette étude a permis de démontrer
que les capacités inhibitrices peuvent se transférer à
d'autres tâches qui nécessitent également le contrôle
inhibiteur. Outre les tâches de Stroop, une façon simple de tester
l'inhibition consiste à utiliser l'amorçage négatif
(AN).
5.3 Amorçage négatif :
L'amorçage négatif est à dissocier de
l'amorçage positif. Dans l'amorçage positif, la
présentation d'une amorce va faciliter le traitement d'une cible
(activation). Dans l'amorçage négatif, à l'inverse la
présentation de l'amorce va perturber le traitement de la cible, car le
traitement de la cible nécessite de réactiver une
représentation qu'il a fallu inhiber lors de la présentation
antérieure de l'amorce (Tipper, 1985). L'AN permet donc de mettre en
évidence les effets d'inhibition. Dans le domaine scolaire, L'AN a
été utilisé notamment dans la lecture, les
mathématiques et la physique.
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Borst, Ahr, Roell et Houdé (2015) ont montré la
nécessité d'inhiber la généralisation en miroir
lors de la lecture chez des sujets adultes. L'une des nombreuses erreurs
commises par les enfants lors de l'apprentissage de la lecture et de
l'écriture concerne la confusion entre les lettres et leur
équivalent en miroir (« d et b »). Lors de l'amorce de la
condition test, les sujets devaient inhiber la généralisation en
miroir de deux lettres pour juger de leur non-similarité. Puis lors de
la présentation de la cible, une image d'immeubles ou d'animaux
était présentée. La généralisation en miroir
devait donc être activée pour juger de la similarité. Leurs
résultats démontrent que les sujets mettent plus de temps pour
décider que deux animaux en miroirs sont similaires (la cible) quand
deux lettres en miroir leur ont été présentées dans
une phase antérieure (l'amorce) que quand les lettres
présentées n'étaient pas en miroir. En revanche, comme
attendu par les chercheurs, aucun effet d'amorçage négatif n'a
été mis en évidence pour le jugement de similarité
sur les bâtiments. Ces résultats sont expliqués par le fait
que l'aire cérébrale utilisée pour la
généralisation en miroir des animaux est recyclée ensuite
pour la reconnaissance des lettres. Cette étude a également
montré que les lecteurs experts avaient toujours besoin d'inhiber, pour
éviter de commettre des erreurs de généralisation lors de
la lecture.
En mathématiques, Lubin, Vidal, Lanoë,
Houdé et Borst (2013) ont démontré l'implication de
l'inhibition lors de la présentation de problèmes
arithmétiques à des enfants, des adolescents et des adultes. Dans
une première phase test (l'amorce), les sujets étaient
exposés au problème suivant : « Marie a 25 billes, elle en a
5 de plus que John. John a 20 billes. » Les participants devaient
résister à l'heuristique : « Il y a le mot «plus»
dans l'énoncé alors j'additionne » pour activer l'algorithme
de soustraction. Puis dans une deuxième phase (la cible), les
participants devaient activer cette heuristique pour résoudre le
problème (« Marc a 25 balles, il en a 5 de plus que Jane. Marc a 30
balles ». Dans cette étude, l'amplitude de l'amorçage
négatif ne différait pas en fonction de l'âge. Ce qui est
en
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désaccord avec les études en AN de Borst,
Poirel, Pineau, Cassotti et Houdé (2013) et de Lanoë, Vidal, Lubin,
Houdé et Borst (2016) dans des tâches d'inclusion de classe et
d'orthographe, ces études ont en effet montré une amplitude de
l'effet d'AN différent selon les âges. Les adultes
présentent une amplitude moins importante que les enfants. Le niveau
d'expertise influerait donc, sur les capacités inhibitrices. Cependant,
les enfants, adolescents et adultes auraient tous besoin d'inhiber
l'heuristique pour résoudre ce type de problème.
En Physique, Potvin, Masson, Lafortune et Cyr (2015) ont
mesuré les temps de réaction d'élèves de 14-15 ans
dans une tâche où les sujets devaient déterminer parmi deux
balles (de trois masses et volumes différents) celles ayant le plus de
chance de couler une fois placée dans un récipient d'eau.
L'étude était constituée de 5 conditions
différentes; intuitive et très intuitive (le conflit entre la
masse et le volume de la balle n'interfère pas pour résoudre la
tâche), contre-intuitive et très contre-intuitive (le conflit
entre la masse et le volume interfère pour résoudre la
tâche) et neutre (aucun conflit n'est présent entre la masse et le
volume des deux balles). Leurs résultats montrent un effet
d'amorçage négatif, en effet lorsque la condition intuitive est
précédée par la condition contre-intuitive les temps de
réaction sont plus longs que quand ils sont
précédés par la condition neutre. Les adolescents qui
répondent en général correctement aux questions de
flottaison d'un corps ont donc toujours besoin d'inhiber la conception selon
laquelle « plus la masse de l'objet est importante plus l'objet coule
».
L'inhibition est donc impliquée dans les
apprentissages. Selon Houdé (2014), l'apprentissage se fait soit par
automatisation, assimilation, résonance ou à l'inverse par
inhibition. On doit pouvoir inhiber nos croyances erronées pour activer
un raisonnement logique lors d'une situation de conflit. Cette conception est
conforme à celle de Bachelard (1938, cité par Dantier, 2004) pour
qui les étudiants arrivent en classe avec les connaissances
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qu'ils ont construites sur le monde et il va leur falloir
penser contre ses connaissances pour apprendre des concepts scientifiques.
L'inhibition serait au coeur de l'apprentissage.
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