3.2.Une absence de consensus quant aux effets du genre
grammatical des noms de métiers.
3.2.1. Arguments en faveur d'un masculin
générique.
En français, les noms de métiers sont
majoritairement mis au genre grammatical masculin, les quelques rares
métiers mis principalement au féminin sont des métiers
dans lesquels on trouve une part importante de femmes (infirmière,
sage-femme, caissière, etc.). En 2002, l'Académie
française s'oppose à l'utilisation du féminin avec pour
principale raison avancée la neutralité du masculin dans la
langue. En 2014, l'Académie française tend à assouplir sa
position en spécifiant qu'il faut respecter le choix des personnes et ne
pas imposer une forme particulière. Elle stipule :
« L'Académie française n'entend
nullement rompre avec la tradition de féminisation des noms de
métiers et fonctions, qui découle de l'usage même
(...) Mais, conformément à sa mission, défendant l'esprit
de la langue et les règles qui président à
l'enrichissement du vocabulaire, elle rejette un esprit de système qui
tend à imposer, parfois contre le voeu des intéressées,
des formes telles que professeure, recteure, sapeuse-pompière, auteure,
ingénieure, procureure, etc. » (Académie
française, 2014).
Elle continue d'ailleurs à considérer que la
langue française peut «faire appel au masculin à
valeur générique, ou « non marquée
» et l'on trouve encore dans la
9ème édition du dictionnaire de l'Académie
française (s.d.) mis en ligne : «
(...) Pour les noms de titres, de professions, de fonctions
: le juge, le délégué, le
docteur, le président désignent indifféremment un homme ou
une femme; il n'y a pas lieu de créer des équivalents
féminins à ces termes».
S'agit-il pourtant vraiment de « féminiser »
des noms de métiers, c'est-à-dire de partir du genre grammatical
masculin pour créer un nouveau mot au genre grammatical
féminin?
En réalité, cette prédominance du genre
grammatical masculin en ce qui concerne les noms de métiers n'est
historiquement que très récente. En effet, jusqu'au XVIème
siècle les noms de métiers étaient mis au féminin
lorsqu'ils étaient exercés par des femmes, et ce quel que soit la
valorisation du métier. On trouvait ainsi des « marchandes,
fromagères, medicineuses, doctoresses», etc. (Lenoble-Pinson,
2006 ; Viennot, 2014). La Suisse (1988), le Québec (1991), la Belgique
(1993) et la France (1998) ont réinstauré l'utilisation des
formes grammaticales féminines dans les textes officiels. Cependant,
Lenoble-Pinson (2006) explique qu'il existe toujours des opposantes et
opposants. En effet, certaines femmes revendiqueraient l'utilisation du
masculin, ce que l'autrice analyse comme la tentative de femme, qui ayant
accédé les premières à des postes de haut statut,
majoritairement exercés par des hommes ne voudraient pas
dévaloriser leur métier en utilisant le genre grammatical
féminin. Cela renvoie directement
18
aux systèmes de normes hiérarchiques
établis entre les sexes (le genre) et à « valence
différentielle des sexes», c'est-à-dire au fait que ce
qui se rapporte à l'homme a plus de valeur que ce qui se rapporte
à la femme (Héritier, 2005, cité par Vouillot, 2014).
L'emploi de la forme grammaticale au féminin, tout comme la
représentation des métiers exercés majoritairement par des
femmes serait en effet perçu par les femmes elles-mêmes, comme
dévalorisante.
Les principaux autres arguments contre l'utilisation du
féminin reposeraient sur la linguistique, notamment dans l'utilisation
de noms de métiers qui font également référence
à des objets : par exemple (« cafetière » ou «
cuisinière »). La laideur de la forme grammaticale est aussi
souvent invoquée (« La forme écrivaine est laide parce
que l'on entend vaine»). Les opposant·e·s citent
également des hésitations dans la formation des mots (par
exemple, faut-il dire docteur, docteure ou doctoresse?) (Lenoble-Pinson, 2006,
p.643). L'étude de van Compernolle (2008) a par exemple
démontré que les français·e·s
interrogé·e·s sur les formes officielles au féminin des
noms de métiers ne les connaissaient pas et hésitent quant
à l'emploi des noms de métiers. De même, certains noms de
métiers ne sont que très rarement considérés comme
corrects quand ils sont écrits au féminin. Par exemple la forme
«femme policier » remporte 10 points de plus dans les choix
des participant·e·s sur la forme officielle à utiliser que le
mot officiel « policière». D'autres arguments sont
également mis en avant tels que la connotation sexuelle qu'auraient
certains mots : « coureuse » ou « sauteuse »
(Dister, 2004). En plus de considérer le genre grammatical masculin
comme neutre, l'Académie française (2002, cité par Gygax
& Gesto, 2007) stipule que l'emploi de forme grammaticale au féminin
accolée à la forme grammaticale au masculin alourdirait et
gênerait la lecture.
De nombreuses études ont été
menées en réponse à ces différents arguments.
|