3.2.2 Non, le Masculin n'est pas neutre.
Gygax et Gesto (2007) ont testé l'affirmation selon
laquelle l'emploi de la forme au féminin dans le langage alourdirait le
texte. L'étude consistait à mesurer la vitesse de lecture
d'étudiant·e·s qui devaient lire des descriptions de
professions de trois formes différentes (féminin ; masculin et
« épicènes »4). Les résultats ont
montré que la vitesse de lecture entre les formes au féminin,
« épicènes» et au masculin ne différait pas. Il
semblerait en effet que les lecteurs·rices s'habituent dès la
deuxième occurrence dans le texte. L'emploi de la forme dite
épicène n'alourdirait donc pas le texte. De plus, Gabriel, Gygax,
Sarrasin, Garnham et Oakhill (2008) ont démontré que l'emploi de
terme masculin n'est pas neutre. Dans cette étude les
4 Le terme épicène renvoie ici en
réalité à l'utilisation conjointe du masculin et du
féminin.
19
participant·e·s français·e·s,
anglais·e·s et allemand·e·s devaient estimer la proportion
de femmes et d'hommes de différents métiers qui leurs
étaient présenté·e·s soit avec une
forme grammaticale au masculin et au féminin soit avec une forme dite
neutre (au masculin). Les résultats ont montré que la
présentation des versions dites « épicènes» a
augmenté la perception de femmes dans le métier, cela
signifierait donc que l'utilisation du masculin seul ne serait pas neutre,
d'autant que l'augmentation du pourcentage de femmes perçu est
avérée essentiellement lorsque le nom de métier
au genre grammatical féminin a été présenté
avant le nom de métier au genre grammatical masculin. Les études
de Gygax, Gabriel, Sarrasin, Oakhill et Garnham (2008), ainsi que celle de
Sato, Gygax, et Gabriel (2016) arrivent aux mêmes résultats
concernant l'utilisation du genre grammatical masculin comme
neutre. En effet, Gygax et al. (2008) ont présenté à des
personnes deux phrases, qui incluaient dans la première partie un nom
de métier stéréotypé « masculin
», « féminin» ou « neutre»
(« The social workers were walking
through the station »). Dans la seconde, il était fait
référence au sexe des personnes exerçant le métier
(« Since sunny weather was forecast several
of the women weren't wearing a coat »). Les chercheurs et chercheuses
demandaient ensuite aux participant·e·s si la seconde phrase
était une suite plausible de la première phrase. Les
résultats montrent qu'en français et en allemand
(où ils existent des genres grammaticaux féminin et
masculin), les participant·e·s ont jugé la deuxième
phrase comme moins cohérente avec la première lorsque la phrase
faisait référence à une femme, et ce, quel que
soit le métier présenté. Alors qu'en anglais (où il
n'existe pas de forme grammaticale différente), les
réponses sont jugées moins cohérentes, uniquement lors de
l'utilisation d'un nom de métier majoritairement exercé
par un sexe. Ces résultats signifieraient qu'en français
l'utilisation du masculin active une représentation d'homme chez les
personnes, et ce même quand le métier est majoritairement
exercé par des femmes. Ce résultat est retrouvé
par Sato et al. (2016) qui dans une tâche d'amorçage ont
demandé à des participant·e·s
français·e·s et allemand·e·s si les photos
de deux hommes ou d'un homme et une femme, qu'elles et ils voyaient dans une
deuxième étape étaient représentatifs du
métier qui leur était présenté en amorce
(majoritairement exercé par des hommes, des femmes ou mixte). Cette
recherche a montré que les noms de métiers
présentés au genre grammatical masculin engendrent une plus forte
proportion de réponses « oui » lorsque ce sont deux
hommes qui sont présentés que lorsqu'il y a un homme et
une femme, de plus cet effet est renforcé lorsque le métier
associé en amorce est connoté comme étant « masculin
».
Il semblerait donc que le français et
l'allemand n'ont pas de masculin à valeur
générique et que l'utilisation du masculin renforce les
représentations sexuées.
20
En France, peu d'études se sont
intéressées à la question de l'effet du genre grammatical
sur les représentations. Brauer et Landry (2008) se sont
intéressés à cette question dans une suite
d'études. Ils ont par exemple démontré que la forme
grammaticale des noms de métiers pouvait avoir une influence sur les
représentations. En effet, les auteurs demandent à des individus
de citer des personnes qui pourraient être Premier ministre. La question
est rédigée avec l'emploi du terme « candidat »
ou « candidat(e)». Les résultats montrent que
l'utilisation de la forme « mixte» active trois fois plus de
représentation de femme pour le poste de Premier ministre. L'utilisation
de noms de métier au masculin activerait donc bien des
représentations d'hommes. Dans une autre étude des
étudiant·e·s devaient donner une description prototypique
(nom, âge, revenu et description complète) d'un «
individu » vs « personne » exerçant un
métier reconnu comme mixte. On présentait aux personnes
également une fiche métier avec les données statistiques
concernant les proportions de femmes et d'hommes de la profession
présentée. La fiche métier était soit écrite
sous la forme grammaticale au masculin (dite neutre) soit sous forme «
mixte ». Les résultats montrent que de façon
générale, les descriptions d'hommes sont plus nombreuses que les
descriptions de femmes. Ces descriptions d'hommes sont encore plus nombreuses
dans la condition au genre grammatical masculin par rapport à la
condition au genre grammatical masculin et féminin. C'est
également le cas dans la condition « individu » par
rapport à la condition « personne». «
Individu » étant au genre grammatical masculin et «
personne » au féminin, cela signifierait que le genre
grammatical des mots influe sur la représentation sexuée des
métiers, et ce quel que soit le sexe des participant·e·s.
Brauer et Landry (2008) ont également présenté un article
de journal qui décrivait un congrès de
professionnel·le·s à des participant?e?s. Les noms de
métiers étaient soit présentés dans le texte sous
la forme grammaticale au masculin soit sous forme grammaticale au masculin et
au féminin («Informaticien » ou «
Informaticien et Informaticienne»). Dans une seconde phase, les
participant·e·s devaient répondre à une série de
questions où on leur demandait notamment le pourcentage de femme
présente au congrès dans le texte qu'elles et ils avaient lu.
(Cette information n'était pas donnée dans le texte). Le
pourcentage de femme estimé est plus important lorsque le texte
était écrit avec les deux formes grammaticales que quand le texte
était écrit avec une seule forme grammaticale, et ce, quels que
soient le type de professions et le sexe du·de la participant·e.
L'utilisation des noms de professions au genre grammatical
masculin induit donc des représentations sexuées. Les
décisions d'orientation des personnes pourraient-elles être
influencées par ces représentations induites par l'utilisation du
genre grammatical masculin ?
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