1.2. Un facteur sexe prépondérant dans
l'orientation : la division sexuée de l'orientation.
Depuis la mise en place du collège unique par la loi
Haby de 1975, les classes sont mixtes. Selon cette loi : « Tout enfant
a droit à une formation scolaire qui, complétant l'action de sa
famille, concourt à son éducation » (Ministère
de l'Éducation nationale, 1975). Bien que cette loi n'ait pas
été spécifiquement promulguée pour promouvoir la
mixité des classes, la qualification « tout enfant »
suppose que les filles et les garçons ont le droit à une
formation scolaire unique. En revanche, passée la classe de
3ème, malgré la mixité affichée de
toutes les filières, une division sexuée s'opère tout de
même. Sous couvert de libre choix, les adolescent·e·s et leurs
familles se conforment à leurs représentations des métiers
et aux normes sociales de «
féminité/masculinité» (Vouillot, 2010 ; Vouillot,
2014).
En effet, après la classe de 3ème,
quel que soit le niveau d'étude (lycée ou supérieur),
selon la Direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la
Performance (DEPP, 2017) les filles sont majoritaires dans les filières
littéraires, de services et de soins et les garçons dans les
sections scientifiques et techniques. Il semblerait que les filles et les
garçons désertent certaines filières. Les garçons
ne vont que très peu en Littéraire (20,4 %) ou en Sciences et
Technologie de la Santé et du Social (10,9 %), où l'on trouve
donc une surreprésentation de filles. Ces dernières
années, les filles de 1ère générale
(66,6 %) se sont toutefois plus orientées dans les filières
où les garçons sont habituellement majoritaires. La série
Scientifique étant plus choisie (30,1 %) que la série
Littéraire (14,3 %) par ces dernières. Par contre, la section de
Sciences et Technologie de l'Industrie et du Développement Durable avec
une proportion de 6,2 % semble toujours désertée par les filles
(DEPP, 2017). De même, les garçons continuent à
éviter les filières connotées pour les filles.
Statistiquement, sur les 59,4 % de garçons présents en
1ère
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générale, 38,4 % ont choisi la filière
Scientifiques contre seulement 4,2 % la filière Littéraire (DEPP,
2017).
Les choix d'orientation sont donc sexués. Cette
division reproduit en l'anticipant la division présente sur le
marché du travail (Vouillot, 2014).
1.3. Division sexuée du travail.
Les sociologues situent régulièrement
l'expansion du travail des femmes dans les années 1950-1960. Schweitzer
(2002) exprime plutôt l'idée que les femmes ont toujours
travaillé, mais semblaient invisibles et peu recensées. En outre,
une partie importante du travail des femmes était selon cette autrice en
lien avec les travaux domestiques alors majoritairement exercés par les
femmes (assistante maternelle, couturière, femme de ménage,
etc.). En revanche, depuis les années soixante, on assisterait selon
elle à une augmentation des femmes dans les domaines majoritairement
exercés par les hommes et à une augmentation des qualifications.
Effectivement, les femmes n'étaient que 43 % à
l'université en 1960, contre 58 % en 2014, soit une augmentation de 15
points (Observatoire des inégalités, 2017). Il est vrai que le
nombre de femmes dans les filières menant à des fonctions
hiérarchiques supérieures telles que les écoles
d'ingénieur·e·s par exemple, a augmenté. Nous sommes
passés d'une proportion de 15,7 % de femmes présentes en
école d'ingénieur·e en 1985 à 28,1 % en 2014.
Cependant, ce pourcentage de femmes reste toujours inférieur à
celui des hommes (Observatoire des inégalités, 2017). D'ailleurs,
la part de femme cadre (14,7 %) et toujours inférieure à la part
des hommes cadres (20,5 %). De même, la part d'homme chez les
Président?e?s Directeur?rice Générale (PDG) d'entreprise
est toujours nettement supérieur (97 %) à la part des femmes (3
%) (INSEE, 2017 ; Ministère des droits des femmes, 2017). En outre,
lorsque les femmes accèdent à des qualifications
supérieures, elles se répartissent principalement dans les
métiers connotés pour les femmes. La fonction publique et les
professions des arts du spectacle comptent ainsi 62 % de femmes parmi ses
cadres hiérarchiques. En revanche, les femmes ne représentent que
22 % des cadres techniques d'entreprise (INSEE, 2017). La division du travail
est donc à la fois horizontale, les femmes et hommes ne se
répartissant par sur mêmes secteurs d'activités. Mais elle
est aussi verticale dans la mesure où un « plafond de verre
» semble opérer, puisque l'accès des femmes aux postes
hiérarchiques les plus élevés n'est pas le même que
celui des hommes (Vouillot, 2014).
Notons toutefois que les inégalités de sexe ne
sont pas les seules inégalités à influencer l'orientation,
la Profession et Catégorie Socioprofessionnelle (PCS) d'appartenance
vient parfois se conjuguer à ces inégalités. Pirus (2013)
montre que les demandes d'orientations des
7
familles diffèrent selon le milieu social. En effet,
pour une moyenne comprise entre 10 et 12 en 3ème, les enfants
d'ouvrier·ères demandent la 2nde GT pour 47 %, contre 91
% des enfants dont les parents sont cadres. Ces choix vont ensuite avoir une
influence sur l'accès à des postes à haut niveau de
diplôme. Par exemple, les étudiant·e·s du
supérieur sont pour 30,3 % des enfants de cadres contre 10,7 % des
enfants d'ouvrier·ère·s (Observatoire des
inégalités, 2016). Notons que les jeunes femmes cadres sont 21 %
à avoir deux parents cadres, contre 15 % pour les jeunes hommes cadres
(INSEE, 2017). Les filles auraient donc plus que les garçons besoin
d'être issues d'une PCS favorisée pour accéder à ce
statut.
Bien que les femmes soient plus qualifiées
qu'auparavant, les inégalités perdurent tout de même. Selon
l'INSEE (2017), les femmes (30,4 %) sont plus nombreuses à occuper des
emplois à temps partiel que les hommes (7,9 %). À qualification
égale, ces dernières ont de plus, un salaire moins
élevé (23,8 % d'écart; INSEE, 2017) et auraient moins de
facilité pour s'insérer professionnellement dans les secteurs
connotés pour les hommes (Petit, Duguet, L'Horty, du Parquet & Sari,
2013).
Les inégalités entre les femmes et les hommes au
travail ne sont pas uniquement la conséquence des
inégalités d'orientation. Le marché du travail est lui
aussi soumis aux stéréotypes de sexes. Vouillot (2014, p.43)
explique que même lorsque les femmes accèdent à des
métiers connotés pour les hommes, celles-ci peinent à
accéder à une reconnaissance de leur statut, car, elles seront
alors soumises à une « double contrainte », elles
sont contraintes de démontrer qu'elles sont tout aussi
compétentes que les hommes, tout en restant aux yeux de la
société une femme « féminine ».
Nous avons vu que les représentations des
élèves peuvent influencer l'orientation des jeunes, ainsi que le
marché du travail. Nous pouvons nous demander comment se
développent ces stéréotypes et pourquoi ils influencent
autant les choix de filières des adolescent·e·s.
1.4. Implications de l'environnement dans la division
sexuée de l'orientation et du travail.
Si les adolescent·e·s elles ?eux-mêmes se
conforment aux stéréotypes de sexe, c'est avant tout, car la
société se conforme à ces stéréotypes.
Très tôt, l'éducation est différenciée selon
que l'on soit une fille ou un garçon. Dès le plus jeune
âge, les parents, les enseignant·e·s et tout l'entourage vont
adapter leurs comportements selon le sexe de l'enfant. Les
différent·e·s éducateur·rice·s vont renforcer
positivement les comportements qui correspondent au sexe de l'enfant. Cela se
retrouve notamment dans leurs jeux (Block, 1984 cité par Zaouche-gaudron
& Rouyer, 2002 ; Dafflon Novelle, 2006 cité par Collet, 2016). Les
petites filles sont plus
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facilement dirigées par leur entourage vers des jouets
considérés comme étant conformes à leur sexe (la
dinette, la poupée). Ces jouets favorisent les jeux calmes et de
«faire-semblant » et permettent le développement de
qualités relationnelles. À l'inverse, l'entourage des enfants
renforcerait les jeux physiques, de construction et de logique pour les
garçons (Leaper & Gleason, 1996 ; Zaouche-gaudron & Rouyer, 2002
; Dafflon Novelle, 2006 cité par Collet, 2016). Cependant, le milieu
dans lequel vie l'être humain aurait une influence sur l'adhésion
aux stéréotypes de sexe, en effet, Papuchon (2017, p.88) explique
à l'aide d'une échelle d'adhésion au «
stéréotype de genre » que l'adhésion à
ces stéréotypes est différente en fonction de la
catégorie socioprofessionnelle d'appartenance. L'adhésion
à ces stéréotypes serait moins importante pour les PCS
favorisées.
Les enseignant·e·s aussi participent à la
socialisation différente des filles et des garçons. Par exemple
Mosconi (2004) a montré que les professeur·e·s ont plus
tendance à considérer que la réussite des garçons
serait liée à leurs capacités (et auraient donc un
caractère inné) alors que la réussite des filles serait le
résultat des efforts qu'elles fournissent. En d'autres termes, cela
revient à considérer les filles comme naturellement moins
intelligentes que les garçons. Pour réussir, ces dernières
auraient besoin de fournir des efforts. Certaines matières scolaires
sont également plus connotées « masculines » (les
mathématiques) et/ou « féminines » (le
français). Ces stéréotypes vont jusqu'à influencer
les résultats des élèves dans certaines matières.
En effet, Huguet et Regner (2007) ont montré qu'un même exercice
présenté à des élèves comme étant un
exercice de géométrie ou un exercice de mémoire d'un
dessin ne donne pas le même type de résultats. Ainsi lorsque
l'exercice est présenté comme une épreuve de
géométrie, les résultats des filles sont inférieurs
à celui des garçons, et ce même quand celles-ci
déclarent être plus compétentes en mathématiques que
les garçons. Lorsque la même épreuve est
présentée comme une épreuve de dessin, les
résultats des filles sont supérieurs à ceux des
garçons. Nous pouvons interpréter ce résultat comme la
conséquence de la « menace du
stéréotype» (Steele & Aronson, 1995). La «
menace du stéréotype» est définie comme les
effets négatifs que peut avoir un stéréotype sur la
performance d'un groupe soumis à ce stéréotype lorsque
celui-ci est activé dans la tâche à effectuer. Dans cette
tâche, on peut également supposer que les
stéréotypes de sexe pourraient avoir eu une influence sur les
sentiments de compétences en mathématiques des filles ayant
eux-mêmes une influence sur leur résultat.
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