Partie 2 : Cadre Théorique.
1. De la division sexuée de l'orientation
à la division sexuée du travail.
1.1. Les représentations des métiers des
adolescent·e·s : des représentations sexuées.
Les individus ont tendance à catégoriser le
monde afin de mieux pouvoir l'appréhender. La catégorisation
engendre des effets de comparaison et de hiérarchisation entre les
groupes et est ainsi le prérequis à toute forme de
stéréotypes (Berjot & Delelis, 2005). La complexité de
l'être humain semble ainsi plus facilement appréhendable,
lorsqu'elle est catégorisée en « féminin» et
« masculin ». Ces deux catégories construites sont soumises
à de nombreux stéréotypes. Les stéréotypes
sont définis comme « des généralisations
basées sur l'appartenance à une catégorie,
c'est-à-dire des croyances dérivées de l'inférence
que tous les membres d'une catégorie donnée partagent les
mêmes propriétés et sont donc interchangeables. »
(Leyens, Yzerbyt & Schadron, 1996, p.31). Certains traits de
personnalités sont ainsi plus communément
interprétés comme « féminins » et/ou «
masculins ». En effet, les hommes se décrivent et sont plus souvent
décrits avec des traits « d'utilité sociale »
(« indépendant, sûr de soi, dominateurs, agressifs»)
et les femmes avec des traits de « désirabilité
sociale1 » tels que « compatissante » ou
« chaleureuse » (Bem, 1977 ; Testé & Simon, 2005,
p.82).
Plusieurs critères sont donc utilisés par les
personnes pour catégoriser les êtres humains, mais
également pour catégoriser les métiers. Selon le
modèle explicatif de Gottfredson (1981), les choix d'orientation se font
via la création d'une carte cognitive de représentations des
métiers qui reposent sur trois domaines : « la
compatibilité du sexe perçu de chaque métier avec
l'identité de genre, la compatibilité du niveau perçu de
prestige de chaque métier avec le sentiment d'avoir les capacités
pour accomplir ce travail, et la volonté de faire le nécessaire
pour obtenir le travail désiré » (Stevanovic &
Mosconi, 2007, p.55). En accord avec ce modèle, une étude
islandaise de Vilhjálmsdóttir et Arnkelsson (2007) a
montré que les professions2 sont catégorisées
par des adolescent·e·s de 15 et 16 ans, en termes «
d'utilité sociale », de niveau de prestige et de «
féminité/masculinité ». Certains métiers
seraient connotés comme étant plus « masculin » que
« féminin » et vice versa. Dans cette étude, on
constate que les métiers dits « féminins » sont
classés par les garçons comme moins prestigieux, moins
intéressants et moins
1 Les concepts de « désirabilité sociale»
et « d'utilité sociale» s'appuient sur la théorie de la
valeur sociale des personnes (voir par exemple, Dubois & Aubert, 2010).
2 Le terme « profession » est ici utilisé comme
synonyme de « métier ». Pour plus d'informations sur la
distinction entre métier et profession, voir Dubar et Tripier (2008).
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utiles socialement. Les filles quant à elles accordent
un prestige plus important aux métiers dits « masculins »,
mais leur montrent un moindre intérêt.
Bosse et Guégnard (2007) ont démontré que
les adolescent·e·s français·e·s ont elles?eux aussi
des représentations sexuées des métiers. En effet, selon
leur enquête, ces dernier·e·s sont majoritairement d'accord
pour associer certains métiers à des traits de
personnalités et des qualités qui seraient propres au sexe des
individus. Par exemple, les femmes seraient considérées comme
douces avec des qualités relationnelles, de service et seraient donc
privilégiées pour les métiers en rapport avec le soin, les
relations sociales et les enfants. À l'inverse, les hommes auraient des
compétences physiques et des connaissances techniques. Ils iraient donc
plus typiquement exercer des métiers en lien avec la production et le
pouvoir. Bien que les lycéen·ne·s soient d'accord pour dire
que ces métiers ne sont pas exclusivement réservés
à l'un des deux sexes (elles et ils sont 90 % à considérer
qu'il n'y a pas de métiers exclusivement sexués), elles et ils
sont cependant 1/3 à se conforter à ces stéréotypes
de sexe lorsqu'on leur demande leur projet professionnel.
Les garçons indiquent également majoritairement
ne pas vouloir exercer un métier « habituellement occupé
par une femme » (Bosse & Guégnard, 2007, p.36). Leur
réponse montre une dévalorisation nette des métiers
typiquement exercés par les femmes et une conformité aux
stéréotypes de sexe : « c'est la honte! ! ! »,
« cela fait trop faible, pas capable d'exercer un métier
d'homme », «je ne suis pas un homosexuel»,
«je suis plus viril que la moyenne» (Bosse &
Guégnard, 2007, p.38). C'est ce que Vouillot (2014, p.43) appelle pour
les garçons « la double disqualification », en effet
si les garçons choisissent un métier dit «
féminin» alors ils sont susceptibles de craindre de ne plus avoir
une reconnaissance de « vrai homme » et doivent accepter de
subir une dévalorisation sociale. Les métiers dits «
féminins » étant souvent perçus comme moins
prestigieux socialement (Testé & Simon, 2005).
Les filles, elles seraient plus enclines à exercer des
métiers plus communément exercer par les hommes et auraient plus
tendance à citer le libre choix et la possibilité d'être
l'égal des hommes en exerçant les mêmes métiers
qu'eux. Elles citent cependant la difficulté d'accès à de
tels métiers face à la « domination masculine »
et aux pressions sociétales : pour « prouver que j'en suis
capable et que ce n'est pas que pour eux », « c'est ce que je voulais
faire au collège, mais à l'armée on m'a dit : «non
c'est un métier d'homme» » (Bosse & Guégnard,
2007, p.37).
Fontanini (2015) a également étudié la
représentation sexuée des métiers des élèves
de primaire et de 3ème. Les résultats de son
étude sont cependant plus optimistes sur l'évolution des
représentations des jeunes. En effet, elle note que si les
élèves classent les métiers en :
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« profession pour les hommes et les femmes,
profession plutôt pour les hommes et profession plutôt pour les
femmes et pour les deux sexes» (Fontanini, 2015, p.206), les
élèves de 3ème et encore plus fortement les filles ont
tendance à considérer que les métiers sont mixtes (10
métiers sur les 15 présentés) et se réfèrent
à l'importance de l'égalité entre les sexes comme
arguments. Il est à noter cependant que bien que n'étant pas
l'objet de cette étude, les noms de métiers qui étaient
présentés aux élèves étaient pour la plupart
rédigés à la fois au genre grammatical féminin et
masculin. Il est possible que cette façon de rédiger les noms de
métiers ait influencé la représentation des
élèves sur les métiers, comme nous le démontrerons
dans une autre partie.
Au regard des précédents travaux sur les
représentations des adolescent·e·s, nous pouvons nous demander
si les représentations sexuées des élèves
influencent leur orientation scolaire.
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