Partie 4 : Discussion.
1. Discussion des résultats du point de vue de
la théorie.
1.1. Liens SEP-Intérêts?
Un des objectifs de ce TER était d'établir
l'existence d'un lien entre SEP et intérêts comme le stipule la
TSCO de Lent et al. (1994). Nos résultats corroborent effectivement
l'existence d'un lien entre SEP et intérêts. Cependant, pour
valider le lien émis dans la TSCO, il aurait fallu effectuer une
recherche prédictive entre les SEP à un temps 1 et les
intérêts à un temps 2 afin de savoir si les SEP sont bien
prédicteurs des intérêts. Toutefois nos résultats
sont en accord avec Sheu et al. (2010) et avec Rottinghaus et al. (2003) qui
avait démontré que les intérêts et les SEP
étaient liés, mais distincts. En nous appuyant sur la TSCO, nos
corrélations pourraient montrer en outre que les SEP des métiers
avec un niveau de diplôme faible ont moins d'influence sur les
intérêts que les SEP des métiers avec un niveau de
diplôme élevé. Nous savons en effet que le niveau
d'exigence perçu de la tâche influence les SEP des
élèves (Bandura, 2003). Il se pourrait donc que les
métiers avec un niveau de diplôme faible soient perçus par
les élèves comme plus faciles, et augmentent donc ainsi leurs
SEP, mais pas forcément leurs intérêts pour ces
métiers. D'ailleurs, les analyses supplémentaires
réalisées étayent le fait que plus le niveau de
diplôme des métiers augmente, plus les SEP des
élèves à l'égard de ces métiers diminuent.
De même, la corrélation trouvée entre SEP et
intérêts pour les métiers majoritairement exercés
par les hommes est plus importante que la corrélation entre SEP et
intérêts pour les métiers majoritairement exercés
par les femmes. Si l'interprétation précédente est
correcte, cela signifierait que les élèves perçoivent les
métiers majoritairement exercés par les femmes comme plus
faciles, et donc plus facilement réalisables, mais moins
intéressants. Cette interprétation serait en accord avec la
« valence différentielle des sexes » de
Françoise Héritier (2005, cité par Vouillot, 2014) et avec
l'étude de Vilhjálmsdóttir et Arnkelsson (2007). Ce qui se
rapporte aux hommes a plus de valeurs et est plus intéressant aux yeux
des élèves que ce qui se rapporte aux femmes.
1.2. Apport du genre grammatical au masculin et
féminin?
Les études précédentes sur l'influence du
genre grammatical sur les SEP des élèves (Chatard et al, 2005 ;
Steinbruckner & Thiénot, 2015) étaient d'accord pour dire que
les SEP moyens des garçons étaient supérieurs aux SEP
moyens des filles. Notre étude ne retrouve pas ce résultat
pourtant communément accepté dans la littérature. En
effet, de nombreuses études
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montrent que les femmes se jugent moins capables et moins
performantes quand les tâches qui leur sont proposées sont
présentées comme en lien avec leur sexe (Betz & Hackett, 1983
; Dar Nimrod & Heine, 2006 ; Junge & Dretzke, 1995 ; Matsui &
Tsukamoto, 1991, cité par Steinbruckner, 2009).
En s'appuyant sur les résultats des études de
Chatard et al. (2005) et de Steinbruckner et Thiénot (2015), l'objectif
principal de notre mémoire était de montrer que l'utilisation du
genre grammatical au féminin des noms de métiers avait un effet
positif sur les SEP et les intérêts des filles et des
garçons. Dans notre étude les SEP des filles et des
garçons entre les différentes formes du questionnaire ne
diffèrent pas significativement. Quant à savoir si ce
résultat est dû à un effet des interventions menées
ces dernières années en faveur de l'égalité femmes
hommes9, il conviendrait de le vérifier par une étude
longitudinale. En outre, notre étude montre que les
intérêts des filles pour l'ensemble des métiers sont
supérieurs à ceux des garçons. Ce résultat
surprenant peut être expliqué par une possible plus grande
ouverture des filles à l'exploration des différents
métiers. C'est ce que montre Streitmatter (1988) dans une étude
sur la construction identitaire à l'adolescence. Son étude montre
que le moratoire psychosocial, stade de l'identité mis en
évidence par le psychologue Marcia (1966), où les jeunes sont
dans une phase d'exploration intense est plus rapidement atteint par les filles
que par les garçons. Il est possible que les filles de notre
échantillon soient plus concernées que les garçons par
l'orientation et aient une connaissance des métiers plus importante que
ces derniers. Toutefois, cette recherche de Streimatter (1988) n'a pas
été retrouvée par Lannegrand-Willems (2008), il est donc
possible que ce résultat soit seulement dû à un biais
d'échantillonnage de notre étude. Il est cependant
intéressant de noter que lorsque nous prenons en compte la forme du
questionnaire, les intérêts des filles et des garçons
diffèrent (en faveur des filles) seulement dans la forme au genre
grammatical masculin, et ne diffèrent plus dans la forme écrite
au masculin et au féminin. On pourrait interpréter ce
résultat par le fait que le genre grammatical masculin et féminin
aurait pour effet d'augmenter les intérêts des garçons pour
l'ensemble des métiers. Pourtant, les intérêts des
garçons ne sont pas significativement supérieurs dans la forme
grammaticale au masculin et féminin par rapport à la forme
grammaticale au masculin seul. Ce résultat pourrait donc être
dû au niveau de prestige associé à la forme grammaticale au
masculin chez les filles. Il est possible que ces dernières
dévalorisent elles-mêmes les métiers où une
représentation de femmes serait associée.
9 Notamment la loi n ° 2013-595 du 8 juillet 2013
d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la
République.
51
En revanche, nous retrouvons de façon tendancielle les
résultats des études précédentes (Chatard et al.,
2005 ; Steinbruckner & Thiénot, 2015) pour les SEP. Les
élèves augmentent leurs sentiments de compétences pour les
métiers entre la forme au masculin et la forme au masculin et
féminin. Notons toutefois que cet effet est faible et uniquement
présent pour les garçons alors que dans l'étude de
Steinbruckner et Thiénot (2015), c'était pour les filles que cet
effet était essentiellement présent. Nos résultats
signifieraient que les garçons se sentent plus capables d'effectuer un
métier quand une présentation de femme est activée par la
forme grammaticale au féminin, ce qui est en accord avec les travaux de
Chatard et al. (2005).
Notons que, les études de Steinbruckner et
Thiénot (2015) et de Chatard et al. (2005) n'obtenaient pas les
mêmes résultats pour les SEP des filles et des garçons pour
les métiers stéréotypés/majoritairement
exercés par des femmes/hommes. Les résultats de notre
étude semblent partiellement en accord avec Chatard et al. (2005). En
effet, Chatard et al. (2005) avaient mis en évidence des scores de SEP
plus importants dans la forme au genre grammatical au masculin et
féminin uniquement pour les métiers
stéréotypés de l'autre sexe, alors que Steinbruckner et
Thiénot (2015) avaient trouvé des résultats uniquement
pour les filles dans les métiers majoritairement exercés par les
femmes et mixtes.
Dans notre étude, les garçons se sentent quelle
que soit la forme du questionnaire plus capables de faire et sont plus
intéressés par les métiers majoritairement exercés
par les hommes, et les filles par les métiers majoritairement
exercés par les femmes. Ce résultat montre de nouveau à
quel point filles et garçons adhèrent par leurs
intérêts et leurs SEP aux normes de sexes. (Bosse &
Guégnard, 2007). Par contre, nos résultats montrent un effet de
la forme grammaticale au masculin et féminin sur les SEP des
élèves pour les métiers majoritairement exercés par
les femmes et mixtes, mais pas pour les métiers majoritairement
exercés par les hommes. Cela signifierait donc en accord avec Chatard et
al. (2005) que les effets positifs de la forme grammaticale au féminin
sur les SEP s'ajoutent à la représentation de femmes
déjà associée au métier majoritairement
exercé par les femmes. Le fait d'associer le métier à une
femme donnerait l'impression aux élèves que le métier est
plus faisable que s'il était fait par un homme. Cela renvoie de nouveau
à la « valence différentielle des sexes » de
Françoise Hériter (2005, cité par Vouillot, 2014). Lorsque
l'on distingue les résultats des filles et des garçons, on
constate que les résultats des garçons sont conformes aux
résultats trouvés par Chatard et al. (2005). En effet, ce sont
pour les garçons que la forme grammaticale au masculin et au
féminin a un effet sur les SEP des élèves relatifs aux
métiers majoritairement exercés par les femmes et mixtes. Pour
les métiers majoritairement exercés par les hommes, les SEP des
garçons ne bénéficient pas de la forme au
masculin-féminin. Cela pourrait vouloir dire que les
stéréotypes
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de sexe associés aux métiers majoritairement
exercés par les garçons ont une trop forte influence sur les
garçons pour que l'activation de représentations de femmes ait un
effet sur leur SEP. Les filles, à l'inverse de l'étude de
Steinbruckner et Thiénot (2015) ne bénéficient ni de la
forme au féminin pour les métiers majoritairement exercés
par les femmes, ni pour les métiers majoritairement exercés par
les hommes (Chatard et al., 2005). Cependant, les analyses qualitatives
montrent que pour un petit nombre de métiers, les résultats
peuvent être en accord avec Steinbruckner et Thiénot (2015). Les
résultats pourraient donc dépendre des noms de métiers
utilisés et de la représentation que les élèves ont
de ces métiers.
Pour les intérêts, aucun effet de la forme
grammaticale n'a été trouvé dans notre étude, cela
pourrait signifier que l'activation de représentation de femme
engendrée par la forme grammaticale du questionnaire n'influence pas les
intérêts des élèves. Il aurait même
été possible que cela diminue les intérêts des
garçons. En effet la comparaison à un groupe de femme pourrait
être synonyme de dévalorisation sociale pour ces derniers qui se
doivent de montrer, surtout à l'adolescence, qu'ils sont de vrais hommes
« masculins ». C'est ce que montrent certaines de nos analyses par
noms de métiers. En effet, c'est le cas des métiers de
monteur·euse de matériel électronique et de
professeur·e des écoles. Pour les filles, il était
également envisageable que la forme au masculin augmente leur attrait
pour le métier si elle y associait un prestige plus élevé.
Ce qui semble être le cas des métiers d'éducateur·rice
de jeunes enfants et de professeur·e des écoles.
Notre TER s'intéressait également aux effets de
la forme grammaticale au féminin sur les SEP et les
intérêts des métiers prestigieux. Nos résultats ont
montré que l'utilisation du genre grammatical féminin augmente
les SEP et les intérêts des garçons pour les métiers
à niveau de diplôme élevé et intermédiaire,
mais pas ceux des niveaux de diplôme faible. Ce résultat pourrait
signifier que l'activation de figure de femme exerçant un métier
prestigieux pourrait avoir pour effet de diminuer son niveau perçu de
prestige et éventuellement de difficulté associée à
son exercice. Les jeunes auraient ainsi plus de facilité à s'y
projeter. Ces résultats semblent en accord avec l'étude de
Chatard et al. (2005) qui avait montré un effet de la forme grammatical
au féminin et masculin plus important quand les métiers
étaient associés à un niveau de prestige
élevé.
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